Pas la peine de m’y engager, j’aurais meilleur compte de m’engager dans les méharistes. C’est pas sur cette côte que je découvrirai mes potes, elle est en effet constamment arpentée par les chercheurs de crabes, et il y a belle lurette que ces bonnes gens auraient repéré les vieux crabes que je cherche.
Alors ?
Eh bien alors, mes paquets de nouilles fraîches, je dois me rendre à l’évidence, en attendant mieux : mes bonzes à roulettes se trouvent peut-être dans l’une des maisons qui jalonnent la route.
Elles m’ont toutes paru fermagas, mais il faut y regarder de plus près.
Je fais machine arrière, toute ! En tout, il y a une dizaine de propriétés. Je commence par le commencement, c’est-à-dire par mater leur cheminée. Bien que le soleil répande ses rayons de miel (en vente dans toutes les bonnes épiceries et chez le producteur) sur la nature engourdie, il fait un temps à ne pas oublier son lardeuss au portemanteau des bistrots. Pour pouvoir habiter une carrée de la côte, en cette saison, faut pas chialer sur l’anthracite de la Ruhr, parole !
Mais va te faire lanlaire, comme le dit si pertinemment la duchesse Lagout-Gnote du Monocle. Pas plus de nuage de fumée s’élevant, rectiligne, dans un ciel dégagé, que de Dunlopillo dans le pageot d’un fakir.
On peut parier Une nuit sur le mont Chauve contre une chauve-souris que si des naturels crèchent dans le quartier, ils se chauffent par catalyse.
Je suis plus perplexe qu’une dame ayant le choix entre André Claveau et Suzy Solidor. Que doit faire votre San-Antonio bien-aimé ? Hmm ? Je suis là, je vous pose des questions et vous ne me répondez jamais. Tout ce que vous êtes foutus de faire, c’est de tourner la page suivante pour voir comment je me suis débrouillé !
Ah ! vous alors, vous me la copierez. J’ai justement la crampe de l’écrivain depuis que je me suis fait une entorse en jouant à la belote !
Mais vous le savez pour l’avoir appris par voie d’affichage, je suis l’homme des grandes décisions (la dernière que j’ai prise mesurait deux mètres de long sur cent trente de large).
Je me chope par le revers du veston et je me tiens le langage suivant : « Mon San-Antonio joli. Puisque ton renifle-mystère t’a amené ici, c’est qu’il y a eu du louche dans le coin. Or, le louche, avec le Rouge Baiser, c’est ce qui laisse le plus de traces. À toi de les découvrir en faisant gaffe qu’elles ne prennent pas froid. »
Aussitôt pensé, aussitôt fait. Me v’là au labeur, les mecs. Je joue à la Gestapo sur le sentier de la guerre. Mon Cézame à la main, je commence l’exploration systématique des baraques alignées le long de cette petite route.
C’est un drôle de jeu, mais je suis vaillant [25] Astuce compréhensible uniquement par les lettrés. Inutile que les autres prennent de l’aspirine.
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J’entre dans la première et je trifouille la serrure avec application. Si jamais le proprio se la radine, ça va faire un drôle de pet !
Pour expliquer mon business, faudra certainement que je lui fasse de la géométrie dans l’espace avec mon poing. Mais qui ne risque rien n’a rien, assure ma chère Félicie qui n’a jamais osé traverser une rue au feu rouge.
J’inventorie la carrée sans résultat. Elle est vide. Il y a des toiles d’araignée, des plaques d’humidité, une odeur de moisi et de renfermé et des traces de boue sèche… That’s all !
Je passe à la suivante, à la troisième, à la quatrième… Ballepeau !
Ce turbin me prend un temps inouï. Lorsque j’ai terminé la visite des dix crèches, l’après-midi est très avancé pour son âge. Et moi je me retrouve comme une cloche qui se serait paumée le jour de Pâques en rejoignant sa base. Non seulement je n’ai découvert âme qui vive, mais z’encore ces dix casbas ne contiennent pas la moindre trace humaine récente. La poussière les saupoudre comme du sucre en poudre saupoudre des gaufres.
Force m’est de revenir à la mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs.
Je joue ma décision à pile ou face, comme on doit toujours le faire dans les cas graves. La pièce retombe sur le buste d’une aimable jeune fille au tifs longs, portant un bandeau au front (lequel a dû lui glisser sur les yeux depuis quelque temps) et qui s’appelle, paraît-il, République française.
D’après les conventions récentes prises avec moi-même, ça signifie que je dois prendre à gauche. Dont acte. Voilà donc le valeureux San-Antonio, l’homme qui remplace l’index et le café décaféiné en route pour Berck !
Au loin, je vois la localité nichée au bord de la Manche comme les galons rouges d’un caporal [26] Et cette comparaison, elle est pas belle, dites ?
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Je fonce, le nez traînant à terre, les yeux soudés au chalumeau sur la sente herbue.
Je parcours cent mètres, deux cents mètres, trois cents mètres, quatre cents mètres, cinq cents mètres, six cents mètres, sept cents mètres [27] Faites excuse, mais on m’a demandé que mes livres soient plus longs !
, etc. Lorsque soudain, je tombe en arrêt, sans me faire de mal heureusement, sur un minuscule objet qui me laisse plus rêveur que si on venait de me jouer la Berceuse de Jocelyn au fifre harmonique ou à la moulinette à légumes.
Cet objet minuscule, ce rien du tout plié dans du papier mou, cette futilité, cette virgule de déchet, cette fiente du néant, c’est un mégot de cigarette. Pas un mégot normal, non, oh ! non… Un mégot de Pinaud, c’est-à-dire un morceau de papier écrasé, jauni, mal brûlé, qui ressemble (je l’ai écrit par ailleurs dans ma thèse sur la prolifération du scarabée débonnaire dans la faune septentrionale) qui ressemble (répété-je pour les ceusses qui se paument à la faveur d’une parenthèse) qui ressemble à la carapace de quelque insecte bouffé aux mites.
Je ramasse le mégot. Pas d’erreur, il est pinuchard en diable.
Mon battant frappe les trois coups. Je continue de suivre le bon chemin. J’ai renoué avec le fil conducteur…
Hardi !
Je deviens fébrile… Ici, s’est produit quelque chose d’anormal, savez-vous pourquoi ? Parce que le dénommé Pinaud, digne homme s’il en fut, promoteur émérite d’une politique de farouche économie, Pinaud le brave, le gâteaux, le navré, le navrant, le cradingue, le malodorant, le mité, le miteux, le sénile, l’empêché, l’empêcheur, la ganache, le résidu, le fossile, le reliquat, le débris… Pinaud fume ses cigarettes jusqu’à la moustache incluse. C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire. Or, le mégot qui repose dans le creux de ma main est encore comestible. Jamais, sauf dans un cas de force majeure, mon subordonné ne s’en serait séparé.
Je bigle autour de moi le paysage. Pas de maison. Mais les ruines d’un blockhaus ayant appartenu au fameux mur de l’Atlantique.
Je m’y dirige. L’endroit est peuplé d’excréments… Il est bon de souligner au passage l’ironie de ces constructions faites pour braver les bouches à feu et qui servent de chiottes. Juste retour des choses ! Rommel, le titanesque maçon de l’Atlantique, n’était pour la postérité qu’un bâtisseur de goguenauds ! Vous trouvez pas ça rassurant, vous ? Que dis-je, vengeur ! La voilà, la vraie vengeance des paumés que nous sommes, des subisseurs, des résignés, des petits, des humbles, des sans-grades !
Les grands hommes de guerre tout-puissants édifient nos ouatères sans le savoir. Ils les coulent dans l’airain, ça fait plus d’usage ! Et au bord de la mer, pour que ça fasse plus gai.
Ah ! les braves gens ! Bien glorieux, bien galonnés, perpétués sur des timbres-poste, manière comme une autre de se faire lécher le dargeot !
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