Pourquoi a-t-il agi de la sorte ? Mystère et boule de rogomme !
Qu’a-t-il fait, entre sa sortie de la gare à quatre heures dix et minuit, heure approximative de son décès prématuré ?
Il faudra que dès demain matin…
Mais le fichtre me prend. Moi je suis un impulsif. C’est tout de suite ou jamais. J’ai une profonde admiration pour les gnards qui emmagasinent de la rancœur et qui distillent leurs projets comme on distille un moka dans un filtre qui passe mal.
Zut pour Pinaud !
Je tube à la permanence en demandant qu’on note l’appel du cher vieillard et qu’on le fasse remplacer dans sa filature afin qu’il puisse aller se faire poser des ventouses par l’honorable Mme Pinaud.
Je me casse.
Une petite pluie crachoteuse glaviote sur Paname. Elle me réveille. J’aime Paris, à minuit, quand il flotte doucement. Ça devient vraiment Paris…
Je pilote mon char jusqu’à la petite rue de Verneuil, si doucement provinciale… Des carapaces d’autos, en stationnement pour la noye, luisent à la maigre lumière des lampadaires.
Les façades boursouflées des maisons dorment, à peine troublées par quelques fenêtres éclairées.
Je stoppe devant l’immeuble de Suquet. C’est une vieille construction dont la porte fonctionne encore au cordon.
J’oblitère, de mon index décidé, le timbre de la porte. Celle-ci s’ouvre. Je devrais balancer mon blaze à la pipelette, mais au lieu de me conformer à l’usage, je vais toquer à la vitre de sa loge.
— C’qu’ya ? mugit la voix de la chorégraphe.
— Police !
Comme ça, on évite les palabres.
Elle tourne le loqueteau et je mets le cap sur la cerbère !
La dame est en robe de nuit pour Roi mage, en molleton bleu de Bresse avec dentelles.
— Mince ! c’est vous ! chuchote-t-elle en me reconnaissant. Fallait le dire que vous étiez de la Poule !
— Pardonnez cette omission, chère madame. Elle fut involontaire !
— Ce qui se passe ?
— Une simple question… Hier après-midi, avez-vous vu Hervé Suquet ?
— Non !
— Vous en êtes certaine ?
— Je n’ai pas quitté l’immeuble, vu que j’attends la visite de l’Hygiène pour mon tout-à-l’égout qu’a des fuites !
— Parfait, c’est tout ce que je voulais savoir. Bonne nuit, chère madame, dormez bien ; et si vous rêvez à vos locataires, recommandez-leur de s’essuyer les pieds afin de ne pas souiller vos songes !
Sur cette boutade surréaliste et poétique, je prends congé de la perceveuse de termes. Elle est plutôt ahurie par ma visite éclair et dès potron-minette, elle fera des gorges chaudes dans sa taule…
Je remonte en direction de la gare Montparnasse. Maintenant il est près d’une heure, et excepté à Saint-Germain-des-Prés, les rues sont vides… Je fonce jusqu’à la boutique de disques où travaille Josée. Le marchand de bruits a ses appartements juste au-dessus de sa boutique. Je me fais déloquer la porte cochère et je vais tabasser à la lourde de l’entresol.
Au bout d’un moment, des pantoufles harassées gémissent sur le linoléum.
— Qui est-ce ? s’inquiète une voix d’homme.
— Police !
On fait fissa pour tirer la bobinette. J’ai devant moi le sosie de Tartarin. Un monsieur en forme d’œuf reposant sur sa pointe, avec une moustache à la Salvador Dalí, fripée par le dodo, m’ouvre. Il a une chemise de nuit qui pend par-dessus son falzar comme la peau d’un obèse qui s’est fait maigrir.
— Quoi, qu’est-ce, qu’y a-t-il ? bavoche le digne commerçant.
J’entre et referme la porte.
— Vous êtes le disquaire d’en bas ?
— Oui.
— Vous employez Mlle Josée Boyer ?
— Oui.
Il bredouille ses « oui » d’une voix lamentable… Il a l’œil atone, il regarde derrière lui fréquemment. Je vois une dame passer sa tête frisée par un encadrement de porte.
— Qu’est-ce qui arrive ? demande la dame, pas commode.
— C’est la police ! explique sobrement Tartarin.
— Oh ! mon Dieu !
Oubliant toute décence, la personne se produit dans son entier. Un entier que dissimule mal et partiellement un baby-doll arachnéen. Elle a une paire de roberts du type roploplos tels qu’on les faisait en 1910. Le mignon baby-doll lui va comme un abat-jour à une bicyclette. Mais elle est soucieuse d’entretenir les élans de son ovoïde époux et tous les moyens lui sont bons, même lorsqu’ils sont d’inspiration américaine.
— C’est au sujet de Josée, dit le renflé, piteux.
La dame exulte !
— Quand je te disais que cette petite garce nous attirerait des ennuis. Elle a fait des bêtises, je parie ?
Je hoche la cabèche !
— Hélas, oui, madame !
— Quelle sorte de bêtise ? demande la débiteuse de Moreno en tranches.
Je réalise alors que c’est moi qui suis venu icigo pour poser des questions.
— Hier après-midi, attaqué-je…
Mais le carillon Westminster de l’appartement sonne une heure. Je réalise que nous sommes déjà demain, et que l’hier dont je parle a droit à l’appellation contrôlée d’avant-hier !
Je rectifie le tir.
— Mlle Boyer vous a demandé son après-midi ?
— Parfaitement ! explose Mme Tartarin. Mon mari avait toutes les faiblesses pour elle !
L’homme-bonbonne rougit. Sa moustache horizontale frémit comme une antenne de télé dans la brise.
Je vous parie n’importe quoi contre autre chose qu’il paluchait la petite péteuse derrière les rayons, quand son exciting wife avait le dos tourné. Et l’autre, l’enjôleuse aux yeux d’ange, se laissait fourbir le fourbi afin d’avoir barre sur lui. Elle promet ! Que dis-je ! elle tient déjà !
— Donc, elle n’a pas passé son après-midi d’avant-hier au magasin ?
— Non. Elle a prétendu qu’elle allait chez le docteur… Vous pensez ! Si elle allait chez un médecin, cette grue, ce serait chez un gynécologue.
La baby-dolleuse s’y entend pour les coups cinglants.
— À quelle heure est-elle revenue au magasin ?
— Une heure avant la fermeture ! s’écrie la houri. Il pouvait être cinq heures et demie !
— Et ensuite, elle est ressortie ?
— Non, dit vivement le mari.
Lui, il joue la défense. C’est l’avocat de la gosse.
Oh ! un avocat timoré, qui n’ose pas couper la parole du ministère public, mais un avocat plein de belles intentions.
— C’est juste, convient sa rombière. Cette coureuse qui rentre à des quatre heures du matin plus qu’à moitié saoule est restée chez nous toute la soirée d’avant-hier. Elle nous a même honorés de sa présence au dîner…
— Et vous êtes certaine qu’elle n’a pas quitté votre logement, dans la nuit ?
— Oui ! affirme Mme Reluquezmoi. Je me suis levée plusieurs fois dans le courant de la nuit.
Elle se tourne vers son mari.
— Tu sais, Étienne, les sardines m’avaient détraquée. Chaque fois, j’ai regardé dans sa chambre : elle dormait…
— Après son retour dans l’après-midi, a-t-elle reçu un coup de téléphone ?
— Non…
La dame trouve que ça se présente trop bien pour Josée et elle enfourche un nouveau dada, tout fringant et bourré d’avoine !
— Seulement elle est partie hier après le déjeuner et nous ne l’avons plus revue depuis. Qu’a-t-elle fait ?
Je fais la grimace.
— Des idioties. Il est prématuré pour en parler…
— Nous aimerions tout de même savoir… Son père qui est un camarade de régiment de mon mari nous l’a confiée et…
Je renaude :
— S’il vous l’a confiée, votre devoir était de la surveiller.
Sur ces paroles pertinentes, je laisse le couple à ses remords.
* * *
Une brasserie encore ouverte m’accueille. Je commande un demi et un jeton de téléphone, je mets le premier dans mon gosier et le second dans celui d’un taxiphone. Les mecs de la permanence m’ont l’air d’avoir le coup de pompe de la mi-nuit.
Читать дальше