— Vu !
— Alors, vous arriverez à toute vibure et vous cernerez l’hôtel. Faites gaffe aux issues secondaires.
— T’en fais pas.
— Vous ne laissez sortir absolument personne.
— Tu penses !
— Très bien, maintenant, va me chercher ma boîte à maquillage dans l’auto.
— Pour quoi faire ?
— Je veux modifier un peu mon aspect.
Tandis qu’il s’évertue, je demande à Pranmoitoux :
— Qu’est-ce que tu as comme bagnole ?
— Une Studebaker, dit-il.
Je lui donne une tape affectueuse.
— Fais pas cette tronche, on te la rendra intacte, ta dame, Ludo. Est-ce que tu deviendrais jalmince en vieillissant ?
— Penses-tu…
Sur ce, la dame, qui s’était éclipsée pour se recoiffer, réapparaît.
— Je suis à vous ! dit-elle.
Cette déclaration n’est pas faite pour dissiper la maussaderie de mon condisciple.
Si vous me voyiez débarquer de la pimpante Stude crème, au bras de Mme Ludovic Pranmoitoux, vous ne me reconnaîtriez pas. Je me suis affublé de petites moustaches à la Clark ; de lunettes cerclées d’or et j’ai fourré dans mon renifleur deux petites boulettes de caoutchouc qui en élargissent les ailes. Ça me transforme radicalement.
— Je vous préfère au naturel ! me dit ma compagne en cours de route.
— Merci !
— Cette aventure est étonnante pour une pauvre petite bourgeoise comme moi… On s’ennuie tellement en banlieue… Le cheval, le tennis… C’est fatigant à la longue.
Ce qu’il lui faut, à la ravissante, c’est surtout un chouette gosse bien baraqué pour meubler ses après-midi creux.
Toutes les femmes aux as sont commak : ce qui leur est fatal, c’est le tantôt. Un après-midi, c’est immense, c’est déprimant lorsqu’on n’a pas de vaisselle à faire, de linge à laver ni de plancher à encaustiquer.
Je franchis un large portail grand ouvert, sommé d’un panonceau en arc de cercle annonçant : Hôtel-pension des Fleurs.
Des fleurs, y en a partout. De chouettes massifs bien entretenus. Au bout d’une allée cimentée, il y a le pavillon enlierré avec, devant, une esplanade de gravier rose poulies chignoles. Je laisse la mienne entre une Cadillac décapotable et une Bozon-Verduraz carrossée par Chapron et, tenant tendrement ma partenaire factice (qui m’a dit se prénommer Patricia) par la taille, je pénètre dans l’hôtel.
Un grand hall propre, avec des fenêtres à petits carreaux pourvues de rideaux également à petits carreaux… Des meubles anciens, de style normand… C’est extrêmement cossu.
— Je ne pensais vraiment pas venir ici un jour, chuchote Patricia.
Une dame bien vêtue, grisonnante, cordiale, lunettée, s’avance.
— Messieurs-dames !
Elle ne pose pas de questions. Simplement, elle presse un bouton et une servante radine. Bien roulée, appétissante.
— Conduisez ces messieurs-dames au 23 ! fait l’hôtesse.
— Vous désirez boire quelque chose ? me demande-t-elle.
— Champagne, réponds-je, jouant le jeu.
— Pommery ?
— Brut !
Tout en échangeant ces belles répliques, je me colle dans l’œil la topographie des lieux. Mieux encore : je m’imprègne de l’atmosphère. Très important, l’atmosphère !
Je constate que le pavillon est divisé en deux parties : il y a le côté exploitation, le plus grand. Et puis une aile réservée aux propriétaires et aux gens du service. Je vous parie la Tour de Londres contre la Tour-d’Argent que les petits camarades que je cherche logent dans la seconde partie. Il a été bien inspiré, le Méhariste, en me disant que ses complices étaient des amis du gargotier.
La dame de la réception a un petit accent d’Europe centrale qui me fait comprendre pas mal de choses.
— Vous réglez maintenant ? demande-t-elle.
— Mais comment donc.
Elle gagne la caisse située au fond du hall, discrète derrière des philodendrons géants.
— 100 F ! fait-elle.
Je me dis que la discrétion coûte chérot, de nos jours, et le champagne aussi. Je m’exécute et la soubrette nous grimpe.
Les chambres valent le voyage. Si Michelin répertoriait les endroits de ce genre, celui-ci aurait droit à quatre bidets. C’est tendu de cretonne à fleurs, meublé de façon très cossue. C’est riant, c’est ouaté, c’est sympa…
Patricia pose son sac à main sur une table basse. Elle est rose d’émotion.
— Que fait-on en pareil cas ? questionne-t-elle d’une voix aux inflexions gondolées.
Je souris.
— Eh bien ! je crois qu’on embrasse la dame. On la fait asseoir sur le canapé que voici. On lui dit qu’on a désiré cet instant avec tant de ferveur qu’on croit vivre un rêve. On lui fait remarquer qu’il fait chaud et on lui conseille de se mettre à son aise…
Elle rit.
— Vous semblez bien documenté !
— J’ai lu ça dans des romans !
— Vous avez de drôles de lectures !
Toc-toc à la porte. C’est la soubrette qui revient avec un seau d’argent d’où émerge le capuchon doré d’une rouille.
— Je vous sers ? demande-t-elle.
— Non, nous l’aimons bien frappé.
Je lui glisse un raide qu’elle fait disparaître instantanément.
— C’est charmant, ici, fais-je. Ça fait des années que je n’y suis pas venu…
Elle me sourit.
— Ah ! Oui…
— Le propriétaire a changé, non ?
— Oui, l’an dernier…
— Il s’appelle comment, le nouveau ?
— Pabst !
— Il n’est pas là en ce moment ?
— Si, mais il a du monde…
Tout en parlant, je distribue de petits baisers mutins dans le cou merveilleux de Patricia, histoire de donner le change à la servante.
Voyant que je ne pose plus de questions, elle se retire discrètement.
— Alors, qu’allez-vous faire, maintenant ? demande ma compagne.
— Attendre une demi-heure pour donner le temps à mes collègues de se mettre en place.
— Et puis ?
— Et puis l’inspiration dictera mes actes, ma chère amie…
Je m’approche de la croisée pour soulever le rideau. La fenêtre donne sur le devant de la propriété. J’ai une large perspective du jardin, du boulevard et des rues agaçantes.
Patricia s’est assise sur le divan.
— Vous faites un métier extraordinaire, dit-elle.
Je me retourne. Elle a croisé ses jambes tellement haut que je suis au bord de l’infarctus. Un voile curieux assombrit son regard clair. De toute évidence, elle est sensible à l’ambiance un peu capitonnée de la chambre.
Pour me donner une contenance, je vérifie celle de la bouteille.
— Un doigt de champagne, chère amie ?
— Vous prenez votre rôle au sérieux ! gazouille-t-elle.
Nous trinquons en évitant de nous regarder.
— Est-ce vrai que vous preniez toutes les petites amies de Ludo ? demande-t-elle, en s’efforçant d’émettre un rire convenable.
— C’est vrai, j’en ai honte, d’ailleurs !
— Pauvre Ludo ! Vous savez qu’il ne vous en veut pas du tout ? Il trouve ça farce, au contraire.
— Il a un très bon tempérament, dis-je…
Je pense que sa femme en a un du tonnerre ! Elle se renverse sur une pile de coussins.
— Vous êtes très séduisant, il est vrai, murmure-t-elle, même avec cette ridicule moustache.
Moi, que voulez-vous, quand on me fait des appels, que ça soit à la belote ou dans le privé, je réponds. Et la plus belle réponse que je puisse faire à cette blonde incendiaire, c’est de lui jouer la Valse des patineurs. Elle me repousse juste ce qu’il faut pour corser l’intensité de la scène.
— Vous êtes un démon ! râle-t-elle en nouant ses bras à mon cou.
Je me dis que si Ludo n’a jamais gagné à la Loterie, le moment est venu pour lui d’aller acheter un billet.
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