C’est elle qui siffle le coup d’envoi. Elle m’embrasse comme mord un chien méchant. C’est pas un cadeau pour mes labiales, cette frangine. Jusqu’aux gencives, je ressens l’impact. Notre baiser a un goût de sang. Pour le coup, je me connais plus ; vous crieriez San-Antonio que je ne me retournerais même pas. On m’annoncerait que je viens d’avoir le Prix Goncourt que je dirais de le glisser sous la porte.
La frénésie sensorielle me saisit. C’est une vraie championne de l’amour vertical, la petite madame. La reine des étreintes forestières. L’art de pas se faire de mousse (sur sa belle robe du dimanche) elle le connaît et le pratique. Ça se pige illico que la Suisse est un pays boisé, mes fils, où l’on trouve plus d’arbres que d’hôtels discrets. Tout en lui aménageant le hangar antiatomique je me fais la réflexion. C’est vrai, j’ai déjà eu des relations avec des Suissesses et chaque fois on s’offrait une cérémonie au garde-à-vous. Elles ont un sens de l’équilibre que les hérons leur envieraient. Sur un pied, le prendre, comme dirait Béru, c’est savant, non ? Ça impressionne le Parisien qui va d’un meublé à l’autre et qui dispose d’autant de cinq-à-sept que de bistrots ! Le Parisien, il sera tué par le confort ; ses facultés athlétiques baissent. Il aime de plus en plus à la paresseuse, le côté « fais-moi le ménage, tu seras gentille ». Il fait de plus en plus l’amour sur le dos. Pour compenser, il s’ingénie. Il en appelle aux palliatifs, c’est mauvais signe. Il utilise du matériel annexe. Dangereux ! Je crie casse-cou.
Marysa, franchement, c’est la championne helvétique du vertical. Je resterai proscrit, voulant rester debout ! qu’il clamait depuis son île, Totor. Cette gonzesse, je vous la prescris, vous la prescris d’urgence, mes gars ! Un petit coup de va-comme-je-te-pousse avant les repas, et vous m’en direz des nouvelles. Pas feignante au labeur, la dame Saint-Gervaise. Elle va devenir Louis XV des membres inférieurs, à ce rythme-là. Le dramatique, c’est qu’au moment où elle largue les amarres, elle se met à clamer sa liesse ! Le côté pipe pipe pipe, hurrah ! Vive M. le maire ! Vive les paires de France ! Je peux pourtant pas lui mettre une main sur la bouche ; l’obstruer entièrement à moi tout seul ! Et puis, mes deux mains, j’en ai besoin pour la cramponner, vu qu’elle a quitté le sol, Marysa. Elle se croit dégagée des lois de la pesanteur, elle se berlure dans ses transes sibériennes ! C’est le gars Bibi, homme orchestre courageux, qui, non seulement la félicite, mais lutte pour elle contre la pernicieuse attraction terrestre. Une attraction pas ordinaire, que je compose. Sur la scène d’un music-hall suédois, je ferais fortune ! Les gens feraient la queue ! Surtout aux heures de pointe !
Pour lui endiguer le sublime, c’est coton. Elle appelle sa maman, son papa, son oncle Aloïs, le président de la Confédération, les édiles de la commune, ses petites filles, son domestique et même, oui, même son époux. J’espère qu’il entendra pas les clameurs, le tennisman. Ça me décuple l’énergie, le danger. Faut éteindre à tout prix ce bel incendie pour éviter un incident. Activement, l’emménagement !
Ça y est ! À nouveau l’hymne suisse ! Une patriote ! « Suisse chéri i ie, toi ma patri i ie » qu’elle s’égosille, M meChemugle, un pied dans la poche de ma veste, l’autre derrière ma nuque. On compose un drôle de groupe allégorique, pauvres de nous ! La France et l’Helvétie opérant leur jonction, scellant leur amitié, emmêlant leurs atomes crochus, jetant les bases des États-Unis d’Europe. Elle gueule de plus en plus fort, en plein fade apothéotique. Pour lui couvrir la clameur, je dois user de moyens extrêmes : chanter plus fort qu’elle. Je renonce à la Marseillaise, propriété d’État, pour me rabattre sur le domaine public. J’entonne à pleines éponges : « Paris sera toujours Paris ! » On arrive au terme du voyage cosmique. On se dégéminise. Je la largue : la crampe de l’écrivain. Elle s’effondre sur le tapis de haute laine qu’on n’a pas encore fauché. Elle y demeure prostrée, haletante, en chienne de fusil.
La porte s’ouvre brusquement, et Benito paraît, l’œil rigolard. Il mate sa deux fois maîtresse, deux fois assouvie qui gît, qui gémit, LA sur le SOL, sur le DO, Mi-figue, mi- raison, SI comblée, FArouche, enamouREe [5] On ne sait plus à qui solfier !
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— Je croyais que madame avait appelé, fait-il d’un ton mutin.
— Elle a appelé, mon pote, lui rétorqué-je. Mais tellement de gens que si tous répondaient présents, la chambre serait trop petite. Alors, va faire une partie de plumeau ailleurs, ça te donnera des couleurs !
Marysa sourit. Elle récupère.
— Regardez dans l’armoire, pour les vêtements de tennis.
Chemugle a décidément le compas dans l’œil, car ses shorts me vont comme un gant, ses polos idem, et jusqu’à ses godasses. Un rêve !
Je redescends le premier. Les messieurs discutent, scotch en main.
Ils parlent chasse.
— Je suis votre homme ! dis-je au mari, après avoir prouvé à l’épouse que cette déclaration la concernait aussi.
— Je vais chercher des raquettes, vous choisirez !
— Je m’en vais m’en aller, déclare son ami Kidordine en présentant sa dextre à serrer.
Béru lui claque les endosses car ils ont sympathisé, pendant mon absence.
— Ménage-toi, Riri, lui dit-il. Et c’est promis : si qu’on passe par La Chaux-de-Pise en rentrant, on va te serrer la pince à sucre !
— Pas La Chaux-de-Pise, La Chaux-de-Fonds ! rectifie le montreur. Tu te rappelleras l’adresse, Alexandre ?
— Rue du Quatrième-Top, je peux pas me gourer, mon pote !
L’industriel part. Nous restons seuls, le Gros et moi.
— Vous vous connaissiez ? m’étonné-je.
— Pas du tout, rigole le Gros ; mais on a fait chmolitz, les deux !
— Qu’est-ce que c’est que cette bête ?
Il verse deux whiskies carabinés.
— Tiens, cramponne, on se plie le coude et on boit. Après on est forcé de se tutoyer, c’est sympa comme coutume, non ?
Je remarque que mon ami souffre d’un début de biture très avancé.
— Stoppe la biberonnanche, Gros, c’est pas le moment de te blinder.
— Je me blinde pas ! proteste l’Hénorme avec cette délicieuse mauvaise foi des ivrognes.
— T’as déjà les carreaux qui se dévissent…
— T’es bon, je bois des scotch sans avoir rien dans le bide, mon pote ! Je me sens devenir le fakir Bey-Rû à une vitesse super-conique. Tel que je te cause, j’ai déjà dû larguer un kilo depuis qu’on se trémousse sans refaire du carburant !
— Avec l’autonomie dont tu disposes, ça n’a encore rien d’inquiétant.
Il me pousse du coude en matant ma tenue.
— Dis, chef vénéré, qu’est-ce que t’as branlé là-haut ?
— Personne, affirmé-je, car c’est l’expression même de la vérité.
— Vingt minutes pour enfiler un short ! Tu me prends pour un pigeon de lait ! Y a pas que le short…
— Brisons là, messire ! m’emporté-je, je suis un gentleman pour qui l’honneur d’une femme est sacré. Mais trêve de billevesées, pendant que je vais tenniser avec M. Chemugle, tu vas foncer au bourg et téléphoner à l’Agence Éden-Côte d’Azur d’Antibes…
— Pour dire quoi t’est-ce ?
— Pour demander à la vieille si c’est Chemugle en personne, tu m’entends bien ? EN PERSONNE ? qui lui a loué la villa Rio Negro et lui a rendu les clés ce matin.
Le retour de mon hôte, bardé de raquettes, met fin à l’entretien.
Dès les premiers échanges, je comprends que je ne suis pas de force.
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