A présent, nach Bruxelles, cocher ! Et fessa !
* * *
La pension de famille où s’alcoolise Fayol est réservée à des marins sans retraite, à des putes eczémateuses et à des poètes, car elle se situe entre l’asile de nuit et l’hôtel de passe pour manars yougoslaves sans permis. C’est sombre, ça malodore, ça s’anéantit dans le tanin de l’humanité. Une résignation totale, libérée de tout sursaut, rend ce lieu évasif et purgateux.
Béru salue la taulière, une ivrognesse en fichu, avec un peigne garni de strass dans ses tifs huileux et une bouche entartrée par la vinasse.
— Ça va, là-haut ? il demande d’un ton dégagé.
La cancrelate émet un grognement propice à toutes les interprétations, et nous nous engageons dans un escalier plus branlant que la denture d’un boxeur octogénaire.
Le Gravos pousse une porte.
L’odeur me bouscule et je faille tomber à la renverse. Ça fouette la vomissure, la chierie, le pipi et l’alcool répandu, plus d’incertains remugles qui, actualité faisant loi, ne sont plus à l’ordre du jour !
Le Gros tâtonne pour l’électrac.
— J’ai idée qu’y s’est répandu dans ses toiles, le frère ! marmonne le Casanova des friteries.
Fectivement, le gars Fayol est en piteuse posture. Il pend à demi de son lit, les bras ballants, la tête dolente. Des flaques nauséabondes cernent son grabat. J’ai déjà confronté mon sens olfactif à de sales odeurs, mais une comme celle qui règne ici, j’avais encore jamais respiré. Un qui viole une sépulture, il a l’impression de folâtrer par les monts d’Auvergne à côté de moi présentement.
Pas gêné le moins du monde, car il évolue dans la sanie comme un louveteau en forêt, le Gravos redresse le malheureux et lui tapote les joues.
— Eh ben, mon Mignard, lui dit-il, comment t’est-ce douille houx doux ? Véru vouel Saint-Cloud ou pas des mieux ?
Mais son ton engageant ne circonvient pas l’inanimation du pauvre Fayol.
— T’es sûr qu’il n’est pas out ? m’inquiété-je.
Bérurier lui palpe la cage à serin.
— Cézigue ? Penses-tu ! Il a le poule d’Eddy Merdsk…
Je domine ma répugnance pour vérifier. C’est vrai, le guignol du drôle continue son petit bonhomme de chemin. Mais comme un métronome quand tu files le poids tout en bas du balancier. Si le grand Eddy avait le palpitant qui traîne les pieds aussi lamentablement, il se ferait battre par le premier écureuil en cage venu.
Je soulève la paupière crapauteuse et fais la moue devant cette rétine jaunasse.
— C’est pas Byzance, Gros. Il faut lui refaire une santé d’urgence. File à la première pharmacie de garde et dit qu’un pote à toi est dans le coaltar pour avoir trop biberonné. A ton retour, soigne-le énergiquement. Dès qu’il aura repris conscience, raconte-lui ce qui s’est passé et demande-lui s’il connaît un gros mec barbu qui roule en Porsche blanche. Tâche d’être persuasif.
Le Mammouth conserve un regard angélique et même évangélique pour me répondre :
— J’ferai t’au mieux, espère.
— Surtout ne le rendors plus à la picole car il y resterait.
— Et alors, qu’est-ce j’en doive fiche ?
— File-lui le traczir. Quand il sera au courant de l’assassinat de l’Anglais et des attentats dont nous fûmes victimes, il n’aura qu’une idée : s’évaporer. D’ailleurs, fais-lui remarquer qu’en le placardant dans ce palace tu lui as peut-être sauvé la vie.
— Toi-même, personnellement, tu vas z’où ?
— Z’où le devoir m’appelle, mon Mignon. J’ai hâte d’en terminer avec cette purée de gogues. Elle sent vachement le faisandé, notre histoire.
Et je renfile l’air empuanti de la misérable chambrette.
* * *
C’est un vaste de clapier de douze étages où doivent exister et proliférer une belle centaine de foyers entre des cloisons arachnéennes.
Ça se trouve dans un quartier modeste où s’obstinent encore quelques maisons basses, mais que la prolifération du béton asphyxie car elles sont drôlement pâlottes.
Les Sambrémeuze (c’est le blaze de famille à Gertrude) crèchent au 69 B virgule 18. Le dedans de l’immeuble est dans les tons vert d’eau, et l’ascenseur de tôle est sobrement décoré d’une bite grande commak, qu’on se demande si nos amis belges seraient pas aussi dégueulasses que nous et même pire, j’crois bien.
A l’étage B virgule 18, ça se présente comme dans un pénitencier, en moins joyeux. Au-dessus de chaque cellule, le numéro de celle-ci est éclairé par une petite veilleuse du plus heureux effet.
Partout, la télé surchauffe. En ce moment, c’est, comme en France : des gens qui causent d’eux à d’autres qui ne les écoutent pas parce qu’ils préparent ce qu’ils vont raconter à leur propos dès que le jacteur fera relâche pour s’humidifier la menteuse. Tu connais ? Les gonziers en lice parlent du fameux tunnel sous la Belgique qui permettrait d’aller de Paris à Amsterdam sans passer par le royaume du roi Boudin. Ça fait cent vingt-huit ans qu’il en est question. Les crédits sont votés, mais y a les marchands de cartes postales belges qui mettent leur veto rapport que cette réalisation les conduirait à la ruine.
Bien, tout ça, parfait…
Je frappe au numéro 69.
J’demande pas Mam’zelle Angèle, mais Mam’zelle Gertrude au mec pantouflé et gileté de laine qui vient m’ouvrir, tenant son bénouse à deux mains, pas qu’il choit, car il a les bretelles sur les talons pareilles à une queue bifide. Selon ce que je pense, de lui voir en plus des lunettes sur le front, je déduis que messire Papa se trouvait aux gogues, à lire son journal en efforçant de l’entraille.
— Faut toujours que c’est moi que je me dérange avec cette bon Dieu de conne, m’explique-t-il. Entre, sais-tu, tu la trouveras dans sa chambre avec Marcellin.
Et Papa rengouffre dans les cagoinsses pour tenter de terminer ce qu’il avait commencé.
Moi, j’atterris dans une pièce à vivre, encombrée et fleurant le sur. La maman mate les débloqueurs télévisés depuis un fauteuil d’osier qui prend de la gîte. C’est une personne assez finie pour son âge, munie d’un appareil acoustique qui ne doit pas fonctionner, ou du moins insuffisamment, car ma venue ne la fait pas tressaillir.
Fort des recommandations paternelles, je traverse le séjour pour frapper à l’une des deux portes le concluant. Comme on ne me répond pas, je frappe à la deuxième. Me semble qu’on y joue une nouvelle version de Cris et Chuchotements . Mais il ne m’est point répondu d’entrer, alors j’entre.
Me trouve nez à raie avec un fessier masculin souligné d’un slip dans les tons bleu rêve. Un pantalon tombé compose le premier étage de la fusée, le dernier jouant à la lime folingue. La gente Gertrude est en train de se faire embroquer comme une reine au bord de son canapé-lit.
Ne s’est même pas déchaussée et ses mules mordorées sont comme les extrémités fléchues des aiguilles d’une montre indiquant dix heures un quart (sa jambe gauche forme un angle droit).
Elle profère des exhortations syncopées, pareilles à celles que je lui ai arrachées lorsque je me trouvais dans la position de Marcellin. La scène est pour moi une leçon de modestie. Ce derrière allant et venant constitue une sorte de projection de moi-même et son activité pistonnante me montre crûment la dérision de cette danse bestiale et si peu glorieuse lorsqu’elle est considérée de l’extérieur.
Marcellin fait « hanhanhan ». Puis il a un magnifique spasme qui lui permet de mettre sous presse et il s’exténue en beauté. Un léger temps mort lui permet de remettre de l’ordre dans ses idées. Après quoi, il débouche Gertrude pour en mettre dans sa toilette. Justement, la chambre de la pure jeune fille est pourvue d’un lavabo. Sans m’avoir encore vu (dans cet appartement, je me fais l’effet d’être le Passe-Muraille) le beau jeune homme aux cheveux carotte et à la carotte déconfite va se briquer Coquette au robinet. Il fourbit en conscience, comme une cuisinière lave une truite qu’elle vient de vider, soubresautant aimablement des noix pour que ses aumônières soient également de la fête, tout en chantant un petit air content de lui.
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