— Je crois que nous changerons le directeur du Néfertiti incessamment, dit Kriss. Il est peu honorable d’être encorné par une ignoble Européenne.
Fouad hocha la tête en signe d’assentiment. Il haïssait les roumis.
— Continue ! intima l’ancien cireur de lattes.
— Nous avons donc observé d’assez près le comportement de l’Anglaise. Elle a porté des victuailles dans sa maison privée, tout un assortiment de mets et de bouteilles. De plus, elle a donné brusquement congé à ses domestiques. Je suis convaincu qu’elle a prêté sa demeure aux Français, en l’absence de son époux, et qu’ils se cachent chez elle en attendant une occasion de quitter l’Egypte.
Kriss remisa sa peau de chamois et contempla avec satisfaction ses pompes étincelantes. Elles l’emplissaient de contentement, comme une œuvre comble son auteur.
— C’est du très bon travail, Fouad.
Il alla ouvrir la porte d’un coffre-fort, y puisa des billets de banque égyptiens dont il fit un rouleau en utilisant son index gauche comme support. Il alla le présenter au vieux qui le cueillit sans se presser.
— Pourquoi ne t’achètes-tu pas des vêtements neufs, Fouad ? interrogea Kriss après un coup d’œil critique sur la mise du bonhomme.
— Parce que je ne suis plus neuf moi-même et que le vieux va avec le vieux, répondit le guide.
Son interlocuteur lui sourit.
— Je vais bientôt mourir, déclara Fouad. Que ferait mon épouse d’un costume neuf ? Elle n’oserait ni le vendre, ni le donner.
Il hésita, puis questionna en désignant du menton la pièce voisine :
— Ça va, de ce côté ?
— Pas des mieux. On cherche encore du… matériel.
Fouad haussa les épaules, fataliste.
— Il ne faut pas contrecarrer les décisions d’Allah, déclara-t-il. Lui, Il sait. Encore besoin de moi ?
— Pas pour le moment.
Les deux hommes se touchèrent rapidement le bout des doigts et appliquèrent leur main sur leur poitrine à l’emplacement du cœur.
Chapitre XI
LA GUERRE EN EST JETÉE
Dorothy est splendide dans sa robe rose praline qui lui colle aux noix comme une peau de banane à sa chair blanche et filandreuse. Une vraie fête pour les yeux ! Elle entre et se coule farouchement dans les bras du Gros. Béru opère une petite perquise expresse dans son soutien-gorge. Puis il dit que « Viens par ici, mon enfant, je vais te montrer la fusée volante ». Et, prenant sa conquête par la main, l’entraîne du côté des chambres. Mais le fameux commissaire Antonio ne l’entend pas z’ainsi.
— Hé ! minute, les amoureux. Avant de monter en ligne, j’aimerais savoir ce qu’a donné le téléphone de notre ami Trabadjalamouk !
— Ouhaoooô, yes ! ulule la dulcinée de mon pote. I omit an important thing .
Et de roucouler, en pigeon précolombien, que son histoire de paquet a fonctionné formidablement. Son vieux, la tête dans la musette, a dit de faire livrer le pseudo-paxif à l’adresse que voici marquée sur une feuille de bloc.
Merci, tantine, vite à la lime, occupez-vous du compte-gouttes gyroscopique de M. Bérurier dont l’envie de vous égoïner fait peine à voir.
Ils courent à la louche. Bravo ! Pour ma part, j’ai pointé Vera toute la noye, tant si fort qu’elle roupille encore, la gosse.
Magine-toi qu’elle exigeait que je lui fasse un enfant, tant tellement sa ferveur était intense, tant tellement elle voulait sacraliser la chose, la prolonger coûte que coûte à travers les avenirs. Mais les gosses, c’est des cons futurs donnés aux cochons, moi je trouve. Faut savoir réprimer son instinct de reproduction lorsqu’on vit nos temps de haulte merde. On verra plus tard, quand les Russes ou les Chinois seront là, qu’aura plus d’Occident, juste trois points cardinaux maçonniques. A ce moment-là, je reconsidérerai la question à propos de mon obole à la race humaine. Pour l’instant, je m’abstiens, je me garde pour moi, je me place le foutre sur un compte dépôts.
Et tandis que Béru aligne sa rombiasse, que Vera dort, que le juge et sa greffière continuent de morfondre au sous-sol, ligotés avec du fil de fer, moi, le Tonio joli, j’examine ma précaire position.
Mohamed Kriss , « Sherazade House », El Al Hachiass . Avant tout, m’occuper de cet homme. Ensuite, on avisera. Seulement j’ai besoin de certaines indications et du concours actif de Dom Béru.
Me faut attendre. Je branche la télé. Ça passe un dessin inanimé américain. Toujours pareil à ceux qui l’ont précédé et qui le suivront : un chien qui court après un chat, ou un chat après un rat, ou un flic après un voleur. Y z’ont trouvé que ça à animer, depuis le tout début. Courir, emplâtrer des murailles qu’ils trouent en y imprimant leurs silhouettes. Moi, le dessin animé, c’est comme l’opéra ou la politique, ça me fait archichier, c’est toujours du kif : le bull-dog, le chat de gouttière, le rat des villes, le flic capitaliste, le socialiste à la rose entre les miches, le communiste qui reste accroché à sa faucille par le fond de son bénouze, et cinquante-trois ou quatre millions de Français qui se branlent devant la téloche ou au buffet campagnard des Galeries Barbès, Meeeeeeerde ! Bon, le dessin animé, il glapit en arabe. Moi, ça m’amuse un instant, Popeye qui jacte bédouin. Et puis quoi ? Le général de Gaulle causait bien mexicain, lui. Manofrance dans le mano ! Sombre héros et lentilles ! Heureusement que ça ne dure qu’un moment. Au suivant : Grand pif, Gros sourcils, l’Ampoule-électrique, le Masque-aux-dents-blanches… A suivre ! Mais de loin. Trois petits tours de con et ils s’en vont ! Y a que Poher qui reste. Tu vas voir qu’il nous fera encore un petit tour de piste septennal quand il arrivera un turbin au petit Néron (du bey du radada) ; je le sens revenir, le Popo, sur ses roulettes de cérémonie. Moi, je vais te dire, en définitive, y a que lui. Toujours prêt. Il moufte jamais, serre des louches, toutes les louches, fait chier personne, mais reste à dispose. T’as besoin d’un extra pour faire le président ? T’appelles le palais du Luxembourg. M’sieur Alain, vous voulez-t-il bien nous interpréter un petit bout d’intérim, on vous paiera le taxi pour venir ? Et, poum, l’vlà ! Impec. Souriant. C’est le grand-père de la France, cet homme. On serait moins chiens, on devrait se cotiser pour y offrir quéqu’chose : des charentaises, une pipe à son effigie, un presse-papiers de verre avec la tour Eiffel dedans. Mais je t’en fous, on est trop ingrats, les hommes. Ou alors on se rend pas compte. On néglige les vraies valeurs, on leur passe outre, fiers comme Barabbas. Moi, je vous aime bien, m’sieur Poher, parole ! Des fois, je pense à vous, le soir en m’endormant, ça me rassure, j’ai moins peur. J’oublie les bruits qui courent, comme quoi ce serait pas Tino Rossi qui serait mort, mais le président et qu’on aurait profité de leur ressemblance pour continuer de faire croire, jusqu’aux élections. Vous devriez vous gaffer, m’sieur Poher. Parce que si par hasard c’est fondé, là on vous fait tricard d’intérim. A votre place j’exigerais une expertise, je lui ferais chanter Marinella , au président.
Mais je suis là qui dis, débloque, divague, tartine.
Et pendant ce temps, Popeye fait chouïa barka avec ses épinards.
Et Béru déglingue le plancher de la chambre, lequel sert de plafond au salon, manière de rien laisser perdre. Il la hussarde à mort, son héroïque Albione. Elle a pas froid aux châsses, la mère ! Elle sait prendre des risques quand la rage du fion la mène.
Bon, les meilleures choses, naninanère…
Béru radine après son essorage. Guilleret, l’apôtre, beau neuf, comme on dit en Suisse.
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