Je me tourne vers Achille.
— Vous savez, boss (le terme m’a échappé, force d’une vieille mais tenace habitude), je sens que l’entrevue va dégénérer et qu’un ou deux de nous cinq va voltiger sur les Champs-Elysées par cette baie, sans même qu’on se donne la peine de l’ouvrir !
Talleyrand à ses heures, le dabuche !
— Laissez-moi faire, dit-il, je vais leur trouver une occupation de diversion, cessez de les asticoter et ayez l’air d’entrer dans leurs vues.
Je bougonne :
— Quel genre d’occupation ?
— Je connais une personne sympathique, formée à la dure école de Mme Claude, qui va nous envoyer de la main-d’œuvre experte. Ces trois taureaux ne sont tout de même pas des bœufs, j’espère.
Là-dessus, le biniou grésille.
Je décroche.
— Ecce homo , m’annonce sobrement Mathias qui parle le sanscrit couramment.
— O.K., je prends.
Le voyant lumineux de mon poste s’éclaire. La voix qui m’a déjà titillé le tympan se pose dans mon entonnoir à sottises comme une libellule au cœur d’un lys.
— Alors, où en sommes-nous ? demande-t-elle.
— On se prépare ! réponds-je laconiquement.
— Vos préparatifs, je m’en torche, c’est que vous soyez prêt qui nous intéresse.
J’enregistre le « nous », encore qu’il ne veuille pas signifier grand-chose.
— Je vais l’être.
— On vous a prévenu, Jérôme, que tout doit être réglé aujourd’hui ?
Sa familiarité voulue, un peu crasse, me fait soudain tressaillir. Je crois reconnaître la voix. Il me semble l’entendre proférer avec humeur cette noble sentence : « l’heure, c’est l’heure ! ». Je me mets à l’attribuer au gros gusman en peignoir qui attendait la sortie de Prince de la cabine à UV. Elle colle parfaitement, crois-je. Peut-être que je m’offre des berlues ?
— Oui, oui, je sais. Tout peut l’être ! réponds-je.
— Trois unités ?
— Comme au théâtre.
Il ne comprend pas l’astuce, mon lecteur non plus, mais ça importe peu, somme toute, si tu songes que dans quatre-vingt-quatorze ans personne n’y pensera plus.
— A partir de quelle heure serez-vous en mesure de… concrétiser ?
— On dit seize heures ?
— Banco.
— Mais où ?
— On vous le fera savoir, attendez près du téléphone. Pas d’arnaque, évidemment, sinon les bocaux seront en miettes.
Il raccroche. Les trois Ricains attendent. Le Vieux m’adresse un sourire entendu.
— Ça biche ?
— Faut voir. Tout ça me paraît trop simple.
Il passe commande à la dame pourvoyeuse de sensations tarifées qui promet pour illico un commando d’amazones. Elle crèche boulevard de Courcelles, c’est-à-dire à cinq minutes de là.
Je tube à la Brasserie Bibine pour alerter la fine équipe.
— Rabattez sur les Champs-Zé et tenez-vous prêts, les éclaireurs de France ! enjoins-je à Lurette. Répartissez-vous dans deux tires et gardez le contact par talkie-walkie. Je veux une bagnole avenue George-V, nez sur nous. Une autre sur les Champs, face à l’Etoile. Surtout arrêtez de vous poivrer les naseaux, j’entends gueuler le Gros depuis ici ! Exécution !
Je raccroche, regarde ma tocante.
— Achille, soupiré-je, dans une demi-heure vous allez quitter ce bureau, muni d’une grande serviette ou, mieux, d’une sacoche. Vous vous rendrez à la succursale de la G.D.B. située avenue de la Grande-Armée. Là, excipant de votre prestigieuse personnalité vous demanderez à parler au fondé de pouvoir. En cas d’absence du bonhomme, demandez un autre chef de la banque. Que cet entretien dure un quart d’heure. Parlez-lui de ce que vous voudrez, de placements par exemple. Ensuite, revenez ici à pied, ce n’est pas trop vous demander ?
— Du tout, mon cher ; mais j’avoue ne pas bien comprendre la finalité de cette petite manœuvre.
— Elle a pour but de conforter l’adversaire sur la pureté de nos intentions, boss. Au cas où il nous observe, il faut qu’il croie que nous allons bel et bien chercher la rançon.
— Pas mal, admet le Vénérable ; pas mal du tout.
L’arrivée de son trio de pouffes met fin à ses compliments. Joli lot à emporter (au plumard). Rousse, brune, blonde. Les trois évêchés ! Saboulées pour la guerre (en dentelles). Tu croirais des dames du monde, et pas du demi (bien tiré). Elles se pointent dans le burlingue. Nous les débarrassons de leurs manteaux. Les trois Ricains contemplent avec des yeux comme des portes de grange. Je fais mine de ne plus m’occuper d’eux et je prie les chères petites arrivantes d’agir pareillement. On démarre une séance de lutinage very fantastique, Achille et moi. On a tout soudain dix fois plus de paluches que bouddha et elles vadrouillent de partout sur les formes des jolies jeunes filles.
Nos amis d’Outre-Atlantique, comme on dit dans les revues spécialisées, congestionnent à toute vibure. Tu les croirais atteints de couperose effervescente. D’autant que les chéries délurent vachement. Y en a une (la blonde) qui m’a déjà dégoupillé la trappe de vidange pour me turluter le déberlingueur de fermière. Elle a eu l’excellente idée, avant de s’agenouiller, de remonter sa juperie. Elle porte des bas noirs, avec jarretelles mauves, siouplaît, des bottes vernies noires et tu ne peux pas savoir le combien c’est poétique, cette vision ; bien plus bathouze qu’un coucher de soleil sur les Monts Grampians ou que le portrait de M. Helmut Kohl, le chandelier d’Allemagne.
Achille, lui, toujours fringant, a étalé la brune sur le burlingue et la déguste kif un entremets franco-russe, en ponctuant d’une légère tyrolienne de politesse, cependant que la rouquine, flambante comme le drapeau malawien, attise les passions d’à la ronde en se fourbissant le clapet de sécurité à l’aide de deux doigts joints (son médius et son annulaire me semble-t-il) qu’elle n’aurait qu’à s’introduire dans la bouche pour lancer un coup de sifflet à la voyou.
Cette mini-scène orgiaque, t’as beau être amerloque, je te mets au défi d’y résister. La tronche carrée la première saute le pas en décapsulant son futiau pour présenter à la dame rouquine un appareillage touristique qui ferait hausser les épaules à mon charcutier. Qu’ensuite, l’Asiatique dégénéré dégage les régions sud, à son tour pour entrer dans ce grand concert des nations. Y a que le tout gros qui demeure barricadé dans son slip, violet mais stoïque, et des fois qu’il connaît des problos avec miss Zézette, ça arrive fréquemment chez les obèses. Ils sont mahousses comme des baleines et leurs génitoires tiennent dans un verre à liqueur. Bon, pour te dire que ça part dru.
Bientôt, je fais signe au Dabe. Il aperçoit mon geste à travers les broussailles de sa brune, lui dégage le compartiment fumeur, essuie avec grâce ses lèvres avec sa pochette de soie et quitte le bureau sur mes talons.
Avant de partir, j’ai chuchoté à la rouquine qu’elle et ses potesses doivent faire durer le plaisir des Ricains. Alors, ouf !
Avant que le Vioque ne s’en aille, sa coquette sacoche en peau de viande à l’épaule, je contacte mes équipiers. Ils répondent présent. Banco, ils se trouvent en poste.
— Achille va sortir d’ici et se rendre à l’agence Grande-Armée de la G.D.B., vous me le filochez de près. S’il y a un os en cours de route : intervention immédiate.
Pépère, qui a entendu, prend un cachou pour se refaire un palais et me demande ce que je redoute.
— Que nous soyons observés par les détenteurs de la valise, dis-je. Ils espèrent une rançon. Vous voyant gagner la banque et disparaître dans le bureau du fondé de pouvoir ou dans celui de son adjoint, ils croiront que vous allez chercher l’argent. Dès lors, leur intérêt consistera à vous détrousser au retour. Ainsi, pas de remise de rançon dangereuse pour eux.
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