Sa grand-peur qui paraît au discours que je tiens
Par mes yeux pleins d’amour se découvre aux siens
Et croyant voir en moi l’honneur de la bourdille
Tout son corps me dédie son âme qui grésille
Juste pour se marrer.
Mais c’est pas marrant.
Bon, on en rate, c’est pas grave. Deux cent quarante pages, c’est pas avec du Claudel fumé ou du Valéry en civet que tu les remplis, merde !
Qu’alors donc, bon, très bien, la dame se met à jacter. Je gaze. On y va. Ajuste ta cervelle, pas qu’elle flotte. Tu la bloques jamais suffisamment lorsque je débloque.
Oui, elle est au courant pour le coup de la G.D.B. Prince en est le cerveau. C’est lui qui a tout goupillé. Un organisateur accompli. Il a mijoté le casse, a constitué son équipe. Pas nombreuse, ils n’étaient que cinq : Prince, Pedro, Bout-de-Zan, l’Ongulé, un petit arcan connu des services de police et ainsi surnommé parce qu’il a des ongles de mandarin chinois, longs d’au moins cinq centimètres, comme quoi ça l’aide pour fric-fraquer. C’est devenu des sortes d’outils naturels, les antennes de ses doigts. Et pour finir le lot, Robert-le-Pieux, un ancien séminariste qui a tourné chasuble. Elle me décrit l’homme. Ça ne ressemble pas du tout au gars en peignoir de l’Apollon Club.
Ils ont réussi le coup sans problème, après une mise au point parfaite. Chacun à son poste, un pour tous, tous pour un. Prince a aussitôt partagé l’or et les billets de banque trouvés dans les coffres. Pour le reste, tout le reste, il l’a livré à un receleur avec lequel il s’était mis en cheville avant le coup. C’était un prudent, Flavien. Il ne voulait pas risquer un turbin à cause d’un bijou conservé, d’un titre ou autre valeur à négocier. Il avait fait admettre ce point de vue à ses scouts. Alors il négociait avec leur consentement.
— Avec qui ? je demande.
Marie-Anne lève sur moi son beau regard noyé.
— Sur la mémoire de mon homme, je vous jure que je l’ignore. Je suis au courant pour ses complices parce qu’ils se réunissaient ici, mais je ne sais rien du receleur.
— Pedro voulait quoi, tout à l’heure ?
— Il passait simplement aux nouvelles, savoir quand ils toucheraient le carbure de la fourgue.
A l’expression, je comprends que la merveilleuse est vraiment une authentique ressortissante du Mitan, habituée à messieurs les hommes, vivant leur vie de façon plus ou moins marginale.
— Bon, il me faut maintenant les points de chute de l’Ongulé et de Robert-le-Pieux ; pour les autres, ça boume, ils sont déjà dans mon collimateur…
— Je ne saurai vous donner que leurs téléphones, Flavien les avait notés.
— Je m’en contenterai, assuré-je.
Marie-Anne se lève pour gagner le poste téléphonique. Elle soulève l’appareil et me désigne des morceaux de papier collant plaqués sur son socle. Elle les arrache délicatement et les fixe sur une feuille de bloc.
— Voilà, tout est là.
— Merci.
Nous la quittons un peu plus tard, non sans lui avoir recommandé de n’ouvrir à personne ; quand nous reviendrons, on cognera six coups à la porte après avoir sonné à trois reprises ; banco ?
* * *
— Lurette et Lefangeux ont appelé, annonce Mathias. Le plus cocasse, c’est qu’ils sont ensemble parce que leurs « clients » respectifs, à savoir Pedro et le Jockey, se sont rejoints dans un restaurant des Ternes ; ils déjeunent en compagnie de deux autres mecs dont l’un répond au signalement du type qui accompagnait Pedro au Bar des Morues .
— C’est trop beau pour être vrai ! m’exclamé-je. Toute la bande dans une seule charretée, on croit rêver ! Bon, appelle mes gonziers, dis-leur qu’on va emballer ce beau monde, qu’ils se tiennent prêts.
Béru commence à pourlécher, en bon chien de chasse qui voit son maîmaître décrocher le fusil.
— Dans quoi t’est-ce tu vas les mettre ? s’inquiète l’Abondant.
— Comment cela ?
— On va pas prendre chacun l’sien dans une tuture, non ? C’est des coriaces, faut d’la main-d’œuvre pour les surveiller.
— Banco ! Je me fais expédier une fourgonnette devant le restau.
Là-dessus, j’appelle le dirluche de la Poule pour qu’il me débloque un véhicule de travail.
Il est en plein cirage, le Rubis-Con.
— San-Antonio, mon cher ami, de grâce, venez à mon aide, ces foutus Américains de merde me sont sur le poil et me menacent de tous les maux ! Ils veulent qu’on récupère leur valise à tout prix et immédiatement.
— Ça va venir, ne vous tracassez pas. S’ils rouscaillent trop fort, envoyez-les rebondir en leur disant qu’après tout ils avaient qu’à ne pas se la laisser piquer comme des enfants de chœur se font piquer leur porte-monnaie par une pute !
— Vous avancez ?
— Des deux pieds à la fois, mon bon !
— Vous pensez obtenir un résultat avant longtemps ?
— Bien avant longtemps, dormez tranquille !
Je raccroche.
— En route, Gros. Tu as ton matériel ?
Il palpe plusieurs étages de poches, procède à une rapide check-list mezza-voce , et me rassure d’un mouvement de bajoues qui imite le bruit des canards touillant la vase.
— Alors, en route !
— Eh là ! Pas si vite, messieurs ! Pas si vite ! s’écrie Achille en sortant du studio où il était allé faire un petit coup de rebelote à sa dulcinée défraîchie. Pas si vite, messieurs : j’en suis !
Parfait ! Du moment que M. de Tréville désire se joindre à ses mousquetaires, faut pas qu’y s’gêne.
* * *
Lefangeux, de loin, tu dirais qu’il est en train de pécher la truite de torrent. La manière qu’il a de se tenir contre un mur, l’œil braqué sur l’intérieur du restau. Je l’imagine, acagnardé de la sorte à quelque saule plus ou moins chialeur, guignant les ébats d’une saumonée dans l’eau limpide.
Il ne sourcille pas en nous voyant déhotter.
Je cherche Jean Lurette et finis par le découvrir, mâchant son caoutchouc au volant d’une Mini plus pourrie que sa mère. Me reste plus qu’à attendre le mignon fourgon réclamé en haut lieu. Justement, ce jour étant harmonieux comme du Mozart, le voici qui se pointe, drivé par le brigadier Poilala, fait très exceptionnel car Poilala sert d’huissier au dirluche.
Il m’adresse un grand signe, ce con ! A demi défenestré. Et il est en uniforme, pour couronner !
— Où me mets-je-t-il ? s’écrie l’éminent fonctionnaire.
Je bondis.
— Pourquoi ne vous faites-vous pas précéder d’une escorte de motards et n’avez-vous pas une sirène et un gyrophare ?
Il bredouille.
— Mais, m’sieur le commissaire, m’sieur le directeur m’a pas causé de ça.
— Alors ôtez votre képi et votre veste, tenez-vous en double file à dix mètres de là, et attendez que nous sortions de ce restaurant en compagnie d’un bath quatuor à cordes (à nœuds) !
— A v’s’ord’, m’s’ l’com’s’r ! répond-il d’un ton piteux comme le pet d’un diarrhétique [4] Le mot n’existait pas avant moi. Il y avait bien diarrhéique, mais c’était un malheureux adjectif pour noces et banquets. Puisqu’on tolère hépatique dans le sens de « personne souffrant du foie », le mot n’est au demeurant qu’adjectif, lui aussi ; pourquoi ne créerais-je pas « diarrhétique » hein ? Excusez-moi de te faire chier avec ça, mais faut bien que, de temps à autre, je me justifie aux yeux des lettrés. S-A
.
Pardon d’employer si complaisamment le mot pet, mais il est dans le vent.
— Achille, fais-je au Vieux, vous qui êtes la classe personnifiée, entrez le premier et demandez au maître d’hôtel une table pour quatre. Faites-le à la cantonade, comme si vous étiez dur d’oreille afin que nos petits protégés ne se doutent de rien. Vous vous assoirez face à l’entrée. Je pénétrerai quelques minutes plus tard en compagnie de Béru et du petit Jeannot. Vous vous écrierez bien fort « Ah ! les voilà ! », en hôte ravi d’accueillir ses invités. Vous vous lèverez pour vous avancer à notre rencontre. Et alors nous bondirons tous quatre vers la table des malfrats.
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