Ça, j’aime.
Je le bloque d’un coup de savate auvergnate dans les roustons, puis l’anesthésie localement d’un crochet au menton. N’ensuite, l’ayant biché par le pull, aux épaules, je l’éloigne un peu de moi et le rapproche précipitamment en ponctuant d’un formide coup de boule taurin dans la clape. Ecroulage de monsieur. Pas prêt à fumer des tiges, l’artiste. Pour lui, pendant quelques temps, ce sera le narguilé, et encore, en tenant la canule avec les dents qui lui restent. Ça forme bouillie bouillonnante sous son pif, lequel a dérouillé idem. Le raisin dégoule avec des morves en attente. Dans ce qu’il glaviote, t’aperçois des incisives plus ou moins jaunies par la nicotine. Sa langue part en reconnaissance derrière les brèches. Sa denture, c’est le mur de Berlin après le k.-o. des dirigeants est-allemands. Tu vois sa menteuse déterminer les dégâts. Il est sonné complet, envapé pire que par la forte dose qu’il s’administre en intraveineuses si j’en crois ses avant-bras.
— Ce sera le régime lacté, annoncé-je. Ajoute du miel, ça fortifie.
Je vais le bicher sous les brandillons pour le hisser sur son paddock.
— Tu vois, je suis un peu ta petite maman, fais-je. Ce qu’il y a de bonnard dans cette taule, c’est qu’on y est plus peinard que dans les catacombes. À présent, malgré tes difficultés d’élocution, on va s’expliquer. Sinon je t’arrose le museau avec le contenu de ce flacon de whisky que j’aperçois sur le plancher, histoire de te cautériser les plaies avant de te le casser sur la tronche. Tu ne comprends pas que les énergumènes comme toi constituent un régal pour un flic d’action comme moi ?
Il me roule des yeux de dingue. Je le pressens au bord des folies extrêmes, ce nœud. D’instinct, je glisse la main sous son matelas et je ramène un feu plutôt monumental que j’enfouille aussitôt. Je poursuis néanmoins mes recherches et c’est un lingue que je déniche sous le traversin.
— Ben dis donc, rigolé-je, tu crains les insomnies, mon pote ! Et plus encore les mauvaises visites.
Je me dis que j’ai été bien inspiré de faire ouvrir la lourde par Madeleine. Avec ce genre de branque, un coup dur est vite arrivé. Il était capable de m’organiser un petit Verdun vite fait en signe de bienvenue.
— T’as pas la téloche, ici, poursuis-je. Quelque chose me chuchote que t’es pas au courant des nouvelles du jour. Sais-tu que ton pote Fluvio est défunté à la fleur de l’âge, place de l’Opéra, en allant rambiner une dame distinguée que tu dois connaître ?
Non, il ne savait pas. Son expression incrédulo-stupéfaite l’atteste, et ce n’est pas le genre de gars capable de jouer Lorenzaccio en matinées classiques.
Pour bien asseoir l’événement dans sa comprenette, j’y vais au narratif.
— Il était au volant de sa Golf décapotable, malgré le temps chiatique. Et puis deux gentils motards casqués sont survenus, qui devaient le guetter. Le gars placé à l’arrière tenait un feu encore plus mahousse que le tien et a craqué la tronche de Daniel. Tu le verrais ! À la place de son physique de théâtre, ne reste plus qu’un tartare peu ragoûtant. Si t’as envie de venger ton pote, c’est le moment, mec. Unissons nos efforts pour que je puisse serrer ses assassins.
Il reste à faire des bulles rouges avec sa bouche tuméfiée, le grand glandu sauvage. Il pourrait être irlandoche. Il a une tête pour pub cacateux de Dublin : tendance au roux, frime cabossée, cils d’albinos raté.
— D’abord, bébé, faut que tu me donnes l’identité de la femme blonde car, de toute certitude, c’est elle qui a programmé l’assassinat de Fluvio. Par elle, on remontera aux meurtriers, tu piges ?
— Je la sais pas, répond Marien.
Je secoue la tête en faisant des « Tst, tst », commisérés.
— Voilà que tu dérailles d’entrée de jeu, Marien. Après tu t’étonneras de te retrouver à l’hosto avec des plaies que tu cherchais à fuir ! Car tu vas passer par la fenêtre, mon pote, je te le promets solennellement. Je t’estourbe d’un coup de crosse et je te propulse sans même me donner la peine de l’ouvrir ; légère comme je la devine, elle résistera pas. Note que nous ne sommes qu’au premier étage, y a pas de quoi en faire une potée auvergnate. J’alerterai Police-Secours et madame, ici présente, confirmera que t’as voulu m’échapper. J’ai un pedigree au-dessus de tout soupçon. Ma parole est cotée au prix de l’once d’or.
J’extrais son feu en le bichant par le canon.
— Au fond, avec une tronche de lard comme toi, c’est pas la peine de tergiverser. Je profiterai de ton séjour à Cusco pour te faire le gag du sérum de vérité. Le médecin-chef est un pote à moi.
Il commence à avoir les flubes. Faut dire que je suis crédible. La façon que je comporte laisse pas de doute quant à ma belliquosité.
— Bordel, je vous dis que je ne connais ni son nom ni son adresse ! proteste-t-il.
— C’est cependant toi qui as placé une manchette à la nuque du mari, l’autre soir, au cinoche !
Là encore je marque des points.
— Oui, reconnaît le forban, c’est moi.
— Et tu ne connaissais pas ces gens ?
— Daniel m’avait demandé de l’aider. Il avait préparé son topo et on s’est filé rancart devant le ciné.
— Tu veux me faire croire que tu estourbis un bourgeois à la demande, sans savoir qui il est ni de quoi il retourne ? Eh ! dis, petit père, tu me chambres à mort ! Dans votre couple c’était toi le julot, c’est tézigue qui fourrais Daniel et pas le contraire.
Là encore il en revient pas que je sois au parfum de sa vie dans les moindres recoins (si je puis dire).
— Daniel m’a seulement dit qu’il voulait lever une gonzesse b.c. b.g. et qu’il lui fallait bien marquer l’objectif d’entrée de jeu.
— Pendant que tu te faisais le cornard au narcotique de paluche, Daniel roulait une pelle à sa morue, puis il lui a dit quelque chose que tu n’as pas pu ne pas entendre puisque des spectateurs situés deux travées derrière l’ont perçu.
— D’accord.
— Il lui a dit quoi ?
— De se trouver à 15 heures place de l’Opéra le lendemain.
— Sinon ?
— Sinon il révélait à la presse des choses relatives à la soirée du 28 janvier.
— Bravo ! Là, oui, tu files bon vent, Marien. T’as trouvé le cap ! Maintenant viens pas prétendre que ton giton ne t’a pas raconté ce qui s’est passé le fameux 28 janvier.
— Il m’a dit que la gonzesse était en partouze avec lui. Déchaînée, prétendait-il. Elle aurait enfoncé une fourchette à dessert dans les couilles d’un des participants.
— Le 28 janvier, il était à Singapour pour son film à la con !
Mon objection frappe Marien. C’est un esprit violent et fruste qui ne réfléchit pas plus loin que sa queue.
— C’est juste, admet-il.
— À moins que les faits n’aient eu lieu en Asie, me dis pas qu’une partouze organisée à Singapour est susceptible d’intéresser les médias parisiens. Sauf si Lady D. ou la reine Fabiola y participait, à la rigueur.
— Ben oui, grommelle le tuméfié. J’ai pas pensé à ça. Le 28 janvier, c’est déjà loin, je me rappelais pas que Dany était en tournage là-bas à cette époque.
Il paraît sincèrement troublé.
— Il t’a raconté ce qu’il a manigancé en Asie ?
— Ben, il a fait la doublure, et puis il s’est bien marré avec des gonzesses du coin.
— Au plan business ? Il aurait pas levé quelque affaire juteuse ?
Dubitation de Marien.
— Je crois pas, non.
— La petite radasse pourrie qui loge chez lui prétend qu’il était sur un coup intéressant.
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