Je sens qu’on frôle mon genou. C’est le basset-hound qui y pose sa tête de veuf éploré.
— Bizarre, n’est-ce pas, mon bon ami ? lui murmuré-je.
Clin d’œil.
Nous avons un instant d’abandon, lui et moi, et nos idées s’agencent en sourdine. Bouge pas, Éloi, t’auras des surprises avant qu’on ait installé des stations Shell sur la Lune !
Me lève pour musarder à la cuistance. La fenêtre est fermaga, mais mes collaborateurs ont laissé l’échelle dressée contre le mur. Une échelle par laquelle le meurtrier est reparti, mais qu’il n’avait pas empruntée pour venir.
— Tu viens avec moi, grosse bite ?
Le clébard feint de ne pas comprendre ; il déteste les surnoms grossiers autant que le tutoiement.
Cette fois, je ne céderai pas !
— Bien, dis-je, j’irai donc seul !
Il me considère avec une certaine exaspération. Lui aurait fallu un maître plus rompu aux bons usages que je ne le suis. Il subsiste en moi des relents « peuple de France » qui lui éclatent les burnes.
Le jour s’éternise, malgré le soleil voilé par les écharpes du crépuscule, disait Max du Veuzit, un fameux romancier (ou cière ?) qui poétisait la jouvencellerie de ma Féloche, autrefois.
Ce périple, je commence à le connaître. La vaste zone engazonnée, les sapins verts (plus un bleu-qui-coûte-chérot) ainsi que d’autres essences. Puis les plates-bandes à droite. Et ça enchaîne sur le jardin public. Au fond, la fosse à compost où Salami a trouvé les godasses.
Soudain, une chose me trouble. Comme chaque fois, c’était « la vue d’ensemble » qui me manquait.
Un halètement, derrière moi.
Me retourne pour voir radiner Salami bite à terre, oreilles en envol d’albatros, babines retroussées sur un ricanement canin.
Il me rejoint, le regard un peu torve.
— Môssieur a fini de me faire la gueule ? je demande.
Il affecte de ne pas entendre.
— Mon cher, poursuis-je, vous avez mauvais caractère et je n’en ai pas toujours un bon : nous sommes quittes. J’étais en train de faire une constatation : vous voyez la fosse où vous découvrîtes des souliers d’homme, tout là-bas, près de la sortie du square ? Maintenant retournez-vous et regardez le petit immeuble que nous venons de quitter, puis, par la pensée, tirez un trait imaginaire allant dudit à l’excavation : vous vous rendez aisément compte que celui-ci est loin de passer par la partie florale ? D’où je conclus que c’est sciemment que l’assassin a foulé la terre meuble, afin d’y laisser des fausses empreintes . Juste ?
Le chien acquiesce avec raideur, puis va lever la patte contre le tronc argenté d’un bouleau. On ne peut affirmer que cette brève émission représente un soulagement pour lui, mais elle lui permet de maintenir une autorité qui avait tendance à prendre de la gîte.
Ragaillardi par cette manifestation péremptoire, il me réclame audience d’un jappement convenu et, usant de notre « code », déclare :
— Mon cher, vous ne m’apprenez rien. Il y a un moment que mon siège est fait et je ne comprends pas que vous tergiversiez à proclamer des choses qui s’imposent d’elles-mêmes.
Quelques coups de klaxon feutrés interrompent ce début d’animosité entre nous. Ils proviennent de la Rolls. Nous regardons en direction du parking et apercevons La Pine qui exécute des gestes sémaphoriques à notre intention.
— Qu’arrive-t-il encore à ce Déchet ! soliloqué-je en me dirigeant vers la vénérable Guenille.
Guilleret, le businessman franco-ricain nous consent quelques pas de rapprochement.
— Du nouveau ? m’enquiers-je.
— Nos services techniques te cherchent pour t’annoncer deux nouvelles. La balle que tu as extraite du saule a été tirée par le pistolet ayant tué Mme Maubec. Quant aux fameuses boucles d’oreilles, elles ont été achetées au début de l’année à la bijouterie Haulmann-Riveur, avenue de l’Opéra.
Une douce chaleur baigne soudain mes précieuses, comme lorsqu’une jeune fille de la bonne société les enveloppe de son haleine parfumée.
— On a le nom de l’acquéreur ? risqué-je.
— Évidemment : M. Rigobert Panoche, 11, quai Flaubert.
— Tiens, me dis-je, après cette affaire j’irai passer quatre jours en Italie avec Félicie et je relirai Madame Bovary .
Je suis commak, moi, que veux-tu, et personne n’y pourra rien !
— Bonté divine, le labo, ça me revient à présent ! s’égosille Pinuche.
— Qu’est-ce qui te revient, cerveau moisi ?
— En étudiant à fond le foyer de la chaudière, ces messieurs se sont aperçus qu’il contenait les fragments de plusieurs cadavres antérieurs à celui que nous y avons trouvé.
Ma jubilation fait le grand écart.
— Rien que ça !
Il me produit son ineffable sourire radieux.
— Notre histoire tourne à l’affaire Landru, dirait-on !
* * *
Dernier tour du proprio. Regard chez la veuve de l’ancien ministre, puis à l’apparte de la belle Éléonore. Je sais que je n’y reviendrai plus. Lorsque je quitte des lieux définitivement, les objets inanimés ont une manière spéciale de me dire « bye-bye ».
La Royce (pourquoi toujours Rolls, puisqu’ils sont deux ?) décolle en souplesse, avec un fléchissement de son gros cul qui exprime sa puissance. Nous quittons cet endroit douillet où les deux copropriétaires auraient dû connaître des jours paisibles. On franchit la zone privée pour emprunter la douce voie arborisée.
Je guigne au passage l’officier de police Hanoudeux dans une Renault de couleur violine. Il prépare sa décarrade pour nous suivre.
On file. Cent mètres. Deux cents ! Un vacarme de tôle meurtrie retentit. Je mate par la lunette arrière.
— Stoppez ! crié-je au driver de Pinaud.
Message reçu. Il pile.
Je me dérollsse à toute sauce. Deux tires se sont emplâtrées derrière nous : une japonouille aux faux airs sportifs que la voiture du Clermontois a emboutie avec violence.
Le conducteur de la guinde sculptée au pare-chocs, bien que se trouvant dans son droit, jaillit de sa pompe et se met à fuir.
Alors là, tu verrais Salami à l’œuvre, t’en oublierais les Rintintin et consorts. Un cador qui a le pot d’échappement au ras des pâquerettes ! Il court pas : il deltaplane ! Tu jurerais un Walt Disney ! En moins de temps qu’il n’en faut à ta femme pour changer de Tampax quand elle a rancard avec son amant, il a rejoint le lascar, fait ni hound ni deux, lui empoigne l’intérieur du falzuche. Le v’là avec les crocs bien arrimés dans le cul du fuyard.
Le gars tourne pour lui faire lâcher prise, mais Hanoudeux vrille le canon de son arme de service dans cette cavité si utile aux porte-drapeaux. Que, n’en plus, je viens renchérir d’une manchette à la glotte.
Le gussier n’insiste pas. Sonné, mordu, braqué, cerné, il se laisse passer les menottes.
C’est un mec type « Sur un Marché persan ». Brun, basané, avec de grands yeux noirs qui doivent ensorceler les gambilleuses de bals populaires.
— Je n’ai rien fait ! déclare-t-il d’une voix perturbée.
Si tu raisonnes de près, c’est exact : il n’a rien fait. Peut-être qu’on s’est emportés à tort, nerveux comme nous le sommes.
Pour dédouaner ma conscience, je le fouille rapidement. Trouve un riboustin de gros calibre dans une gaine de cuir fixée à l’intérieur de sa jambe gauche.
— Et ça ? je lui demande. C’est pour la pêche au thon ?
Fin de l’épisode turbulent.
32
LA MEILLEURE FAÇON
DE MARCHER…
… C’est de mettre un pied devant l’autre et de renouveler l’opération jusqu’à ce qu’on soit arrivé à destination.
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