Nous stoppons à deux cents mètres du manoir.
Ah ! que c’est bon, en cette noye sereine, de retrouver les senteurs de la nuit, son crépitement d’élytres et la douce brise provenant de l’océan [22] Tu ne vas pas me dire, mais ça vaut du Proust, merde !
… Je respire à pleins poumons tandis que Salami compisse notre pneu arrière gauche, et César, le pneu avant droit. Toujours, les gens d’action avant de donner l’assaut.
Une loupiote « pour la nuit » répand une lumière fibreuse dans la zone du perron. Au premier, une pièce est éclairée. Les rideaux l’emprisonnent, mais ça forme un rectangle de clarté jaune.
J’ouvre la valise à soufflet, style trousse de médecin d’avant la Grande Guerre, et en retire ce dont j’ai besoin. Puis, je m’adresse à mes deux compagnons.
— Vous allez attendre à l’abri des arbres cernant la terrasse, leur dis-je. Restez calmes et silencieux jusqu’à ce que je vous expédie un signal avec ma loupiote de poche. Dans ce cas, César, tu iras sonner à la porte principale, laquelle est constellée de verrous la rendant allergique à mon traditionnel sésame. Compris ?
— Complètement ! assure le Loqueteux de la coiffe.
— Toi également, Salami ?
— Naturellement, répond-il. Mais il ne faut pas en profiter pour user d’un tutoiement auquel je répugne.
C’est à se demander si ce clébard ne serait pas un peu snob sur les bords !
Ce que j’ai prélevé de ma valdingue ?
Entre autres, une échelle d’alpiniste, large d’à peine dix centimètres. Elle est munie à son extrémité d’un grappin et d’une corde.
Ce qui suit, tu l’imagines sans difficulté, malgré la chose molle et visqueuse qui te tient lieu de cerveau.
Que dis-tu ?
Oui ! Exactement ! Je lance mon harpon en direction de la corniche surplombant la façade. Un premier essai pour du beurre ; elle retombe dans un massif d’hortensias, sans faire davantage de bruit qu’une pomme chutant dans l’herbe, les saxifragacées étouffant le choc. La seconde fois, exécutée après que j’aie mieux visé, les pointes du projectile se coincent entre deux blocs de pierre. Je tire : ça ne bronche pas. Lors, ton bel Antonio tend les échelons souples et s’y engage après avoir posé ses grollons.
Ascension rapide, aussi aérienne que celle d’un trapéziste de cirque. M’élever jusqu’au first floor , comme disent les anglophones, est un jeu d’enfant. Grâce et souplesse !
En moins de temps qu’il n’en faut à mon chibraque pour porter à l’incandescence le clito d’une rosière berrichonne, me voici à la fenêtre de la chambre où je fis l’amour à Hélène de la Liche.
Imagines-tu que ses volets fermés vont me résister longtemps ? Que non point ! Et sa croisée, dis ? La considères-tu réellement comme pouvant opposer un obstacle sérieux à l’intrépidité san-antoniaise ? Fichaise ! Diamant. Ventouse ! Tu lisais déjà mes aventures alors que je les signais « Bibi Fricotin » pour ne pas faire de peine à mes parents.
Il est dans la place, l’Antoine de tes rêves, ma chérie ; heureux comme un poisson dans l’eau, ou comme Ulysse qui fit un beau voyage organisé par le Club Med.
Je visionne l’extérieur : clair de terre de Verlune. Là-bas, sous les platanes centenaires, je devine la partie blanche de Monseigneur Salami, chien d’élite.
Doucettement, ce qui est duraille comme la bataille [23] Intraduisible pour les jeunes, les cons et les incultes.
car, dans cette demeure patricienne, les portes grincent et les planchers craquent, je passe dans le couloir, heureusement garni d’un tapis Sé Pârtou provenant d’un marchand de la rue de Téhéran.
Enfin, l’unique objet de mon voyage : la chambre de l’enfant adultérin du viticulteur.
Un rai de lumière filtre sous la porte ; or, moi, contrairement à beaucoup, j’ai le culte du rai [24] Jeu de mots étourdissant : « culte du rai », « raie du culte ». Un auteur qui en arrive à ça, sodomise ses pairs, crois-moi.
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Le bon Mathias, rouquin de son état et bricoleur de génie par vocation, m’a confectionné un petit instrument d’optique tout à fait remarquable dans sa simplicité. Il s’agit d’une plaquette réfléchissante qui se glisse sous les portes. Un astucieux système permet au miroir inquisiteur de se soulever à sa partie extrême, une fois qu’il a dépassé l’huis, transmettant ainsi ce qu’il capte de la pièce…
Mon réglage est très affiné.
N’en fin de compte je saisis, tout ce qu’il y a de parfaitement, l’occupante de la chambrette. Elle est installée devant son poste de téloche, comme cinquante-huit millions de Français en ce moment. Elle mate une émission pleine de rebondissements consacrée à la tuberculose de l’escargot. Je visionne la personne de trois quarts face : intéressant. Lovée dans son fauteuil, en chemise de noye inciteuse, un long drink — probably du gin-tonic — à portée de main, elle se masse nonchalammment les bouts de seins. C’est étourdissamment beau.
J’attends, espérant que sa caresse va se prolonger et, qui sait, « déboucher sur quelque chose ». Mais foin ! Sa dextre retombe kif l’aile d’un moulin à vent, métaphoré-je toujours, depuis que M. Montmayeul, mon instituteur, m’a fait apprendre du Verhaeren dans le texte et en version originale.
Elle écluse une gorgée de son breuvage.
Le temps passe. Je me sens emporté par une magie suave. Et pourtant j’ai les bourses à peu près vides ! Ma bitomanie qui court sur son erre.
La notion de mes deux compagnons poireautant sous les arbres me déléthargit. À regret, à mille regrets, je retire mon instrument de sous la porte.
Je t’ai déjà raconté que j’imitais le chaton à la perfection ? J’ai des dons. Tiens : le cri du le pen en colère, je te l’ai jamais fait ? Et çui de l’arlette-laguillier prenant son peton ? Non plus ? Mon gros succès c’est quand j’imite le pasqua des garrigues traquant le juppé à tête de chibre. Tu crois y être !
Mais pour t’en reviendre à cet instant culminant de l’action, c’est le chaton en manque de lolo que je reproduis. À peine un « miaou ». Un infime couinement. Une mouche prenant son pied ! Même pas : le gémissement du protozoaire constipé.
Assis en tailleur dans le couloir, style Happy Bouddha, j’émets à fréquence répétée mon tout petit miaulement. Elle va bien finir par le percevoir, malgré le bruit du téléviseur ?
Oui ! Hip ! Pipe, pipe ! Avale !
Je l’entends qui se déplace dans la chambre. Le loquet tourne. Elle apparaît.
Ma vue la tétanise, comme disent les grands du polar, quand ils chatoient du style à s’en craquer les hémorroïdes.
— Bonsoir, lancé-je gentiment. On se rencontre enfin. Comment dois-je vous appeler : Valériane, Éléonore ou Mina ?
D’un de ces rétablissements dont j’ai le secret, je me mets à la merveilleuse, mais temporaire hélas, verticale.
Nous voici nez à nez. Dedieu qu’elle est superbe. Et quelles lèvres ! Doit t’affûter le plantoir avec grâce.
On se charbonne des prunelles, indéfiniment.
— J’ai visionné des photos de vous, mais je ne pensais pas que vous fussiez si belle ! déclaré-je pour commencer.
Elle demeure verrouillée telle une braguette de pasteur anglais. Ne s’est pas remise de mon coup de théâtre. Alors, doucement, d’un geste enveloppant, je passe mon bras sous le sien.
— Allons ouvrir la porte à mes assistants, proposé-je ; ils n’ont pas mon talent de funambule.
Nous descendons. J’ai l’impression d’emmener au bal un automate de Vaucanson (lequel était dauphinois comme moi).
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