Il enchaîne :
— Pour éclaircir tout à fait notre situation affective, laissez-moi vous dire que l’amour est devenu différent et qu’il risque de durer longtemps ; je puis même affirmer « toujours », en ce qui me concerne.
Son ton et son expression sont si pathétiques, à force de sincérité, que je sens mes châsses s’humidifier.
— L’avez-vous entendue parler d’un certain Pierre ?
Il réfléchit. Salami profite du silence pour se gratter l’oreille.
— Je crois bien que oui, répond enfin Luciano. Un jour, elle a appelé, depuis ma chambre, un homme portant ce prénom. C’était au milieu de notre conversation ; Valériane a brusquement poussé un cri et m’a demandé la permission de passer un coup de fil.
— Que lui a-t-elle dit ?
— Je crois qu’elle a décommandé un rendez-vous qu’ils avaient.
— Elle le tutoyait ?
— Il me semble. Mais ce fut très bref.
— Elle ne vous a fait aucune confidence au sujet de ce type ?
— Pas la moindre ; elle restait très… comment dire ? Désinvolte.
— Et c’est tout ?
— Absolument.
— Quelle sorte de gens pourraient attenter à ses jours, d’après vous ?
— Je ne vois vraiment pas ; ça paraît tellement invraisemblable ! Valériane est une fille active, au plan professionnel, mais infiniment détendue dans le privé. Elle vit en compagnie d’une vieille personne qui a été la nourrice de sa mère… Vous m’avez dit qu’on l’a tuée ?
J’opine. L’infirme s’agite :
— Donc Valériane risque sa vie ?
— C’est probable.
— Il faut coûte que coûte la prévenir !
— Elle ne l’ignore pas.
Un temps, meublé par les bâillements de Salami.
— Vous savez qu’elle venait d’acheter un appartement à Saint-Cloud ? demandé-je.
— Elle m’en avait vaguement parlé.
— L’on pense qu’il s’agit du cadeau de ce que l’on appelait jadis « un riche protecteur ».
— Je ne crois pas que ce soit son genre.
— Notez qu’il s’agit de « on-dit ».
— Les jeunes femmes seules y sont en bute.
L’ex-coureur automobile me semble désenchanté, soudain. Il avait déjà sa croix à traîner, et je viens le coiffer d’une couronne d’épines.
— Il y a une chose inexplicable dans tout cela, reprend Casanova. Si elle est traquée, pourquoi s’enfuit-elle, au lieu de demander l’assistance de la police ?
— Bonne question qui constitue sans doute le nœud du problème. Il est temps que je vous laisse. Voici mes coordonnées ; je mets ma carte à côté du téléphone, si vous avez de ses nouvelles, prévenez-moi, que celles-ci fussent bonnes ou mauvaises. Et dites-vous bien, cher monsieur, que l’on doit parfois assurer la sécurité des gens malgré eux.
J’ai un réflexe pour lui tendre la main. Hélas, il ne peut s’en saisir.
Il me dit d’un ton pitoyable :
— Tirez-la de ce tas de merde, inspecteur, je vous en supplie !
J’acquiesce avant de filer. Un étrange malaise me cigogne. Y a des moments qui ressemblent à un marteau mal emmanché.
12
LA MÈRE DAMBRANCHE
EST AU RENDEZ-VOUS
Et me revoici à Saint-Cloud, prêt à me rendre au rancard fixé à la môme des télécommunications.
Auparavant, je passe embrasser Féloche et changer de limouille. J’ai pour habitude d’aller à mes rendez-vous revêtu d’une pelure fraîche, dûment lotionné et coiffé. Dans ma chambre, j’avise Salami écroulé sur ma descente de lit, la truffe dans le fion. Il n’a pas perdu de temps !
— Mon cher, lui dis-je, je crois que vous devriez rester at home afin de récupérer une fois pour toutes. Ma mère va vous préparer à dîner.
Il ronronne, ouvre un œil et bat le plancher de sa flamberge.
Paré pour un éventuel examen prénuptial, je moule la casa et fonce au Panier Fleuri . C’est le genre brasserie de banlieue quiète. Le juke-box n’est pas à ébullition et la jeunesse dorée y consomme des boissons de bonne tenue.
Ayant remisé ma tire à quelque encablures, je me dirige pédérastement (Béru dixit) vers l’établissement. J’aperçois l’objet de ma convoitise « en terrasse ».
Elle a voulu se mettre en frais, comme toujours, les frangines qu’on sort. Le trente et un, tu penses ! Joli tailleur orange avec un chemisier bleu, collier d’or massif fourbi au Miror. Elle en jette ! D’autant qu’elle n’a pas lésiné sur le maquillage. De loin, elle ressemble à un masque de carnaval, et de près, à une réclame pour un fabricant de peinture. Mais son conditionnement du soir ne s’arrête pas là : c’est surtout le parfum qui est agressif. Un truc pas possible qui te fait éternuer à vingt pas. Même chez les fourreurs assurant la garde d’été des manteaux, ça renifle avec moins de véhémence. Moi qui ai tendance à l’allergie olfactive, ça va être joyce ! Je risque de jouer le nain Atchoum en la tirant.
T’as déjà été en proie à une attaque de rhume des foins pendant que tu calçais une sœur, toi ? Ah ! dis donc, la maison Dégode se met de la partie. Je me rappelle une petite escaladeuse de pafs que je grimpais en danseuse, un aprème, dans une chambrette cretonnante de l’ Hôtel Beauvallon , en Touraine. Les murs disparaissaient sous les glycines en fleur. En pleine euphorie sexuelle, v’là que me biche une série d’éternuements longue durée. Et pas des minces ! À chacun de mes spasmes je déjantais.
La petite médème poussait un cri de détresse dès que mon pollux déjaugeait. J’avais beau tenter de me retiendre, ma poire explosait littéralement et je la vaporisais à tout berzingue. La gerce d’un huissier ! Une petite brune style mijaurée qui devait se servir d’une pince à sucre quand elle recevait, et aussi, pourquoi pas, d’un manche à gigot en argent.
J’ai libéré une salve de huit ou dix « ternuages ». Croyant la crise terminée, j’ai remis mon panoche à tremper car il conservait encore une consistance dont se serait régalée l’épouse d’un avocat-conseil. Et puis patatras ! Me revoilà à éternuer à m’en faire éclater le blair et l’os frontal. Dès lors, finita la furia amoureuse ! Je brandeloquais du cigare !
À la longue, la dadame en a eu quine d’une partie de jambons aussi foireuse. Elle s’est rafraîchi la moulasse, au trot, a réintégré sa culotte et ensuite l’étude de son connard. Une rifouille monstre m’a biché ; je continuais d’éternuer en me marrant. Franchement, on est peu de chose. Et même moins que ça !
— Vous avez l’air tout joyeux ? remarque la belle au tailleur tango.
— Le bonheur de vous revoir, ma douce tentation. Au fait, quel est votre petit nom ?
— Muguette.
— Ravissant.
— Vous voulez aussi mon nom de famille ?
— Oh ! non ; il appartient à votre époux, restons corrects. À ce propos, vous n’avez pas eu de mal à prendre votre soirée ?
— Je fais partie d’une chorale mixte, et ce soir est précisément celui de la répétition hebdomadaire.
— Vos partenaires risquent de s’inquiéter de votre absence ?
— C’est monnaie courante, vous savez.
Je pige que ce groupe vocal sert à fournir des alibis aux conjoints disjoints.
Albert, le serveur que je connais, s’enquiert de ma commande.
— Une forteresse volante ! réponds-je.
— Ça consiste en quoi ? demande Muguette.
— Mettez-en deux ! dis-je au loufiat.
Puis, à ma conquête :
— Une gorgée de la chose vous en apprendra davantage qu’une heure d’explication.
Elle me poche avec l’eau bouillante de son admiration, comme l’a écrit Jean-Jacques Rousseau dans Y a pas le feu au lac .
Après tout, son parfum n’est pas aussi dramatique que je le redoutais. À preuve, il ne me provoque pas de crise respiratoire. Mon cocktail la comble ; il peut. J’en donne ici la composition à l’intention de mes lecteurs appartenant au cercle des « peinturlurés de l’intérieur » : 1/4 de cointreau, 1/4 de liqueur de mandarine, 1/4 de vodka, 1/4 de chartreuse verte ; ajouter quelques gouttes de crème de banane et servir glacé.
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