À part ça, si je puis dire, le visage est gracieux, la bouche charnue te composerait tout un repas (et toute une nuit). Les nichebabes ne concurrencent pas ceux de Lolo Ferrari, mais au moins on peut les sortir dans le monde sans provoquer d’émeute. Corps admirable ; de quoi se mettre le pénis en tire-bouchon et des rubans adhésifs aux roupettes, pas qu’elles sonnent le tocsin.
Retour à ma tire où Salami s’est endormi. Il doit faire un rêve car un léger mouvement régulier de ses pattounes indique qu’il arpente des landes. Peut-être chasse-t-il le renard, tout comme ses ancêtres ?
Quai-aux-Fleurs, je dégote une place superbe devant une porte casher.
Ma manœuvre tire le bandonéon de son sommeil. Il bâille tel un crocodile, sort de voiture avec la dignité de Mme Deux (Elisabeth de son prénom) descendant (car on en « descend ») de son carrosse. Une petite giclette contre une façade et il s’engouffre à ma suite dans l’immeuble.
Consultation du tableau des locataires accroché à la loge pipeletteuse. Des fiches s’inscrivent sur un bioutifoul carton bleu.
Je trouve aisément ce que je cherche : « ELEONORE », en majuscules et, juste dessous, en caractères mignards « Valériane de la Liche ». Faut-il en conclure que cette mirifique donzelle est « sang bleu », palsambleu ? Il semblerait. En tout cas elle se montre modeste, compte tenu de la minusculité des lettres formant son véritable blase.
Second étage droite. Je presse une sonnette en faux marbre, obtenant ainsi une fausse note qui se répercute longuement.
Je convictionne qu’il n’y a personne et prépare déjà mon sésame quand, à ma (grande, vive, profonde) surprise, la porte s’entrouvre avec une lenteur que je vais séance tenante te qualifier de spectrale pour en faire chier plus d’un en les prenant sur leur propre terrain.
Sort alors du néant un ectoplasme blafard qui, en fin de compte, doit être humain, les fantômes ne portant pas de lunettes et se déplaçant sans l’aide de canne.
L’être (donc) demande inaudiblement quelque chose, se rapportant à l’objet de ma visite. Il est privé de ses cordes vocales pour des raisons que je subodore cancéreuses. Ses besicles, équipées de verres bleus, me refusent son regard.
— Bonjour, madame, fais-je après avoir constaté que le zombie est vêtu d’une robe.
Une sorte de rot caverneux me répond.
— Merci, dis-je à tout hasard, c’est gentil à vous. Pourrais-je parler à Mlle Éléonore ?
La créature émet un gargouillis qui évoque le bruit produit par un gamin achevant son Coke avec une paille. Je sens que nos rapports vont être soit très délicats, soit très brefs.
— Elle n’est pas ici ? insisté-je.
L’écordée vocale secoue négativement la tête.
— Vous savez quand elle rentrera ? poursuis-je.
Elle renégationne derechef et du.
— Mademoiselle est en voyage ?
Acquiescement. Puis la vieillarde fait un écart et gronde méchamment pour la raison (valable) que mon cador vient de la bousculer pour pénétrer dans l’apparte.
Furax, le spectre à binocles m’agresse afin que je rappelle mon animal effronté.
— Salami ! le hélé-je.
Soudain, un aboiement féroce, que je ne lui connaissais encore pas retentit.
— Ici, Salami ! Ici tout de suite ! m’emporté-je.
Comme son concerto pour chasse à courre s’amplifie, je me précipite après avoir bousculé la mémé décordevocalisée.
Je n’ai pas parcouru trois mètres qu’une voix masculine retentit :
— Arrête, connard !
Je volte.
Je face !
Stupeur : la vieille a retrouvé son organe de jeune homme.
Elle me braque avec un calibre sorti de ses brailles, tellement énorme qu’Al Capone serait parti d’Alcatraz à la nage pour aller l’acheter.
« La vie est un flot de merde tranquille », songé-je.
10
IL VAUT MIEUX
UN AMI INTELLIGENT
QU’UN ENNEMI CON
Elle s’est redressée, la mamie. Malgré les verres bleutés de ses lunettes, je crois distinguer un regard aigu aussi dangereux que sa seringue.
— Lève les bras bien haut ! m’intime la mère-grand transformée en loup.
Force m’est d’obéir.
— Maintenant, recule lentement jusqu’à la porte ouverte derrière toi.
Tout en obtempérant, je songe que mon ami Tutues se trouve sous mon aisselle gauche, prêt à me secourir. Seulement le gazier ne me perd pas de la prunelle et paraît farouchement déterminé à me pratiquer plein de trous dans la viandasse si je bronche. J’exécute un pas en arrière, un autre.
Me voici dans la piaule. Il y a quelque chose en tas, par terre, sur le tapis. Un bref coup de saveur en chanfrein me renseigne : la vieille ! La vraie. On lui a praliné le chignon d’importance. La balle a fait sauter la boîte crânienne depuis le haut du front jusqu’à la nuque.
— Va t’allonger sur le lit, tu seras mieux pour canner ; et puis j’aime bien tirer à travers un oreiller : ça fait moins de barouf.
— Écoutez ! tenté de biaiser.
— J’ai rien à entendre et rien à dire, obéis.
Bon, je recule, en pensant qu’il est urgent de réaliser un truc sympa pour ma pomme.
Alors que j’étudie le problème à la vitesse de l’éclair, il se produit un machin-chose pas ordinaire. Une forme noir-blanc-jaune, tout en longueur, bondit de derrière un fauteuil avec une sauvagerie capable de guérir le hoquet d’un marteau-piqueur. Mon agresseur se met à hurler, biscotte Salami vient de saisir ses génitoires à travers la robe. L’odorat, probable, qui l’a guidé droit au but.
Le malfrat travesti en chaisière veut le faire lâcher prise. Fou de douleur, égaré, il n’a pas largué sa pétoire ; ou alors il veut plomber Médor. Quoi qu’il en soit, les bastos qu’il dégage à la volée lui perforent le baquet. Il émet un cri géant, lequel se mue en borborygme. Cette fois, il continue de jouer l’ablationné des ficelles vocales pour son propre compte.
— Je crois que vous pouvez donner du mou, mon cher, indiqué-je à l’héroïque Salami. Il semblerait qu’il ait son taf. Votre intervention vient sans doute d’éviter un deuil irréparable dans ma famille.
Mon pote met un temps à desserrer sa mâchoire (en comparaison de laquelle, celle de Samson n’était qu’une mâchoire d’âne).
Quand, à regret, il s’exécute, le squatter de l’appartement est rigoureusement mort.
— Qu’en dites-vous, cher d’Artagnan ? demandé-je au prodigieux basset-hound.
Au lieu de me répondre, il halète, car l’effort fut rude.
— Un lien nouveau vient de nous unir, fais-je en caressant son crâne à deux pentes. Ne croyez-vous pas que nous devrions nous tutoyer, désormais ?
Il me considère sans complaisance et secoue négativement la tête. Décidément, il a un caractère de chien, le bougre.
* * *
Une équipe du labo radine à mon appel, flanquée de l’Identité judicieuse. Également le commissaire Mayeul, de la Crime, un jeune, promis à une grande carrière, auquel s’est joint l’inspecteur Cervin.
Quand ils se pointent, je mets vingt bonnes minutes à leur récapituler les neufs premiers chapitres de cet ouvrage si riche en rebondissements.
Je commence par la communication captée à la faveur des travaux sur le réseau et je développe la bobine des événements venant de se produire.
Mon éminent subordonné m’esgourde avec attention. Émerveillé par mon verbe autant que par ces péripéties périphériques, que je passe en revue avec une maestria oratoire auprès de laquelle celle de Bossuet n’était que bredouillis de demeuré bègue affligé d’un bec-de-lièvre.
Ma péroraison met un terme à ce récit. Il branle le chef (il ne s’agit pas de moi, bien que je le sois) et lisse ses épais cheveux blond cendré.
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