La gosse m'explique que, dans sa famille, elles sont putains de mère en fille. Comme qui dirait une charge automatiquement transmise. Chez elles c'est pas la loi salique, mais la loi salingue. A dix-huit berges, hop, au travail ! Faut prendre la relève. Sa grande vioque tapinait sur le port d'Hobart. Sa mère a ouvert l’ In the pocket et Nelly projette de fonder un grand boxon à Sydney où l'on est plus puritain encore qu'en Tasmanie ; or les puritains et les putains vont bien ensemble. Elle engagerait du personnel chevronné, français de préférence. Elle a de l'ambition, Nelly. On la devine soucieuse de s'élever, affamée de promotion sociale. Bientôt elle se fera faire une fille par un beau mâle bien baraqué afin que la chaîne ne s'interrompe pas. Et cette gosse apprendra le turf dans une ambiance capitonnée. Elle ira se perfectionner à Paris, à Barcelone et à Rome. Elle fera un stage au Japon aussi, pour apprendre les délicatesses geishiennes ; bref, ça néone vachement dans la lignée à Nelly.
Elle me caresse le front du bout des doigts, me contemple avec une espèce de tendresse et me demande :
— Vous voulez bien me donner un enfant, darling ?
La requête est touchante, hein ? J'en suis tout remué. Et puis je pense à ma lointaine Félicie. Je vais tout de même pas, délibérément, rendre m'man grand-mère d'une prostituée. J'sais bien qu'il vaut mieux avoir une enfant catin plutôt que dame patronnesse ou femme de lettres (bien que l'une n'empêche pas les autres) mais y a des moments où je me montre horriblement rétrograde, nies amis. Je mea-culpise. J'ai des bouffées de bourgeoisie, que voulez-vous. L'hérédité c'est pernicieux, c'est une sorte de haut mal qui vous tombe dessus et vous fait tomber. Ça ressemble à une maladie de peau familiale. Y a des plaques qui vous ressortent dé temps en temps et qui laissent perplexes les dermatos.
— Ce serait avec plaisir, mon petit cœur, réponds-je, seulement y a un hic : je ne fais que des garçons.
Ayant de la sorte satisfait à mon hypocrisie naturelle, je me refringue, car je viens d'avoir une idée et cette idée, vous l'allez constater, n'est exécutable que par un individu vêtu.
Nelly regagne sa chambre tandis que pour ma part je gagne la sortie. Une fois de plus je me dirige vers la maison de feu Wolfgang Hourrou. Je me suis dit, dans ma petite tête surmenée, que notre défunt correspondant devait avoir une voiture et que, par conséquent, son véhicule est désormais disponible. Il ne me reste qu'à le récupérer si je veux quitter ce bled dans les plus brefs des laids.
* * *
J'éprouve une vive inquiétude en apercevant du feu chez notre camarade tasmanien. En effet, je suis certain d'avoir éteint avant de partir de chez lui tout à l'heure. Une voiture stationne devant la maison. M'est avis que ça va barder pour notre matricule.
La découverte rapide du meurtre risque de nous attirer de gros ennuis avec toutes nos allées et venues. Les autorités locales vont nous questionner et si je suis certain de pouvoir me disculper sans trop de peine, je suis par contre moins sûr d'arriver à temps à Hobart pour le départ du sous-marin, si bien que notre long voyage se solderait par la victoire de Béru à un jeu télévisé. Faire vingt mille bornes pour mettre un kangourou K.O., c'est pas le genre d'exploit dont notre carrière de poulagas peut s'enorgueillir.
Je me tapis dans un coin d'ombre et j'attends la suite des événements, pensant voir réapparaître un quidam affolé, ou peut-être — qui sait — déjà le shérif du patelin ?
Mais le temps passe et rien de semblable ne se produit. Cependant il y a quelqu'un à l'intérieur car je vois remuer une ombre derrière le rideau de la baie vitrée. Sont-ce messieurs les poulardins qui officient, ou bien…
Précipitamment je me blottis derrière une cabine téléphonique, car la porte de la maison vient de s'écarter. Une silhouette féminine se détache à contre-lumière. Elle traverse rapidement le jardinet et s'engouffre dans l'auto. Le véhicule démarre, tous feux éteints, et disparaît au coin de la street. Il ne m'a pas été donné de voir le visage de la visiteuse. Tout ce que je sais d'elle, c'est un imperméable noir, en matière plastique brillante, un petit chapeau forme casquette, à longue visière, surmonté d'un pompon, un sac à main style sacoche et des lunettes dont j'ignore, toujours à cause du contre-jour, si elles sont ou non à verres teintés. La dame en question est-elle une amie de Hourrou et fonce-t-elle chez les roycos pour les parfumer ? Quelque chose (mon sixième ou septième sens, je suppose) m'affirme que non. Lorsqu'on découvre un copain assassiné, on se précipite sur le téléphoné si on a du self-contrôle, ou on se met à glapir au secours si l'on n'en a pas ; mais on ne passe pas du temps à se balader autour du cadavre avant de sauter dans sa voiture ; du moins c'est mon avis à moi, et croyez-moi, il en vaut un tas d'autres.
Par mesure de sécurité, j'attends une douzaine de minutes, manière de voir ce qui va se passer. Or, rien ne se passe. Alors je me décide à coltiner ma fraise sur les lieux du crime. Le cadavre est toujours à la même place et le perroquet qui le veille patiemment m'accueille d'un allègre :
— Hello, garçon, vous prendrez bien un whisky ?
— Toi, mon pote, tu es de bon conseil, lui dis-je en raflant une bouteille de Red and Black de la distillerie Stand Hall. Je tutoie le goulot et j'ai l'impression que mon moral regrimpe. Je me dis qu'après tout la fille à l'imperméable est peut-être la meurtrière de Hourrou, revenue sur les lieux de son forfait pour récupérer quelque truc compromettant. Qu'importe ? Je ne suis pas chargé d'enquêter sur un assassinat mais sur le mystère du pôle Sud. Fort de cette évidence, je contourne la maisonnette et je trouve ce que j'espérais trouver : un garage. Et dans le garage il y a une voiture noire, plus anglaise que la Tour de Londres, haute sur pattes, rébarbative, mastoc. Admirez connue le dieu des romanciers fait bien les choses : la clé est justement au tableau de bord.
* * *
Il est deux plombes du matin lorsque nous débouchons sur le port d'Hobart. Béru est toujours dans le sirop, mais sa respiration régulière m'indique qu'il récupère.
Je gare ma chignole dans une zone d'ombre, entre une petite grue et une grosse bitte, et je pars à la recherche de notre valeureux submersible. Ça doit pas être fastoche à repérer un sous-marin, dans l'obscurité. Et les quais sont très mal éclairés… Je vadrouille le long de l'eau noire où d'énormes paquebots ventrus se pressent en formidables grappes. Leurs drapeaux mouillés pendent misérablement. Les drapeaux mouillés se ressemblent tous (à l'exception du drapeau japonais qui peut passer pour celui de la Croix-Rouge lorsqu'il est roulé comme un pébroque). Ils devraient tremper leurs oriflammes dans l'eau, les belliqueux, avant de belligérer, histoire de ramener leurs passions à un commun dénominateur. Alors ils pigeraient peut-être combien il est truffe de se chicorner pour un morceau d'étoffe. Les fusils n'oseraient plus parler chiffon.
Je suis le môle à petits pas. Mes yeux s'habituent à l'obscurité progressivement et enregistrent mieux les formes sombres amarrées là à marée haute [6] Je suis le dernier musicien de la littérature !
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J'ai beau me foutre les lampions en cornes d'escargots, je né découvre pas le moindre Impitoyable dans la rade. Il a dû rester en rade. A moins qu'il n'ait déjà appareillé, allez savoir…
J'en suis là de mes pérégrinations portuaires lorsque j'éprouve le désagréable contact d'un truc dur et rond dans mon dos.
— Hands-up ! murmure une voix.
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