San-Antonio
Du sirop pour les guêpes
Les personnages de ce récit ne sont que les fruits — savoureux — de mon extraordinaire imagination. Vu ?
S.-A.
A mon cher Albert PRÉJEAN
En toute amitié
S.-A.
PREMIÈRE PARTIE
AVIS AUX AMATEURS
CHAPITRE PREMIER
COMME QUOI ON PEUT SE TROMPER !
A première vue je l’ai prise pour un Martien (à cause de sa combinaison en matière plastique) ; à deuxième vue je l’ai prise pour une Martienne (à cause de sa plastique tout court) ; à troisième vue enfin je l’ai prise pour ce qu’elle était vraiment, c’est-à-dire pour une ravissante souris, bien sous tous les rapports, et affublée d’une tenue pour la pêche sous-marine.
Elle luisait au soleil comme l’intelligence d’un gardien de la paix à un carrefour. Elle portait des palmes peu académiques qui accentuaient son côté sirène, et des lunettes caoutchoutées pareilles à des hublots de bathyscaphe. Elle marchait sur la plage dorée de Golfe-Juan avec une grâce quasi monégasque et à la façon dont elle balançait son porte-bagages, on avait envie de s’engager dans la marine japonaise (sous les ordres de l’amiral Tavé-Kapa-Yalé), section des torpilles humaines. Il y a eu comme un frisson sous les parasols. Douze cents paires d’yeux, plus un œil (un borgne se faisait bronzer dans le secteur) se sont braqués sur la passante. Des soupirs ont fusé ; des poils se sont mis à friser sur des poitrines oppressées ; la tension artérielle de l’assistance a grimpé comme la tension diplomatique lorsque Johnson met du fluide glacial sur la chaise de Mao Tsé Toung ; bref ç’a été un instant solennel et capiteux à la fois. La naïade au fusillance-harpon est entrée dans une cabine. Un long moment s’est écoulé. Près de moi, des sportifs jouaient au volley-ball et je recevais parfois leur ballon sur la tronche et du sable dans les châsses — ce qui ajoutait à ma félicité. Lentement les occupants des transats, terrassés par le torticolis, se sont abandonnés à leur cuisson. Bientôt j’ai été le dernier zig du secteur à mater la lourde vernie de la cabine. Je me posais des devinettes dans les genres « Blonde ou brune ? Jolie ou tarte ? Yeux verts ou noisette ? » J’en salivais de curiosité. Vous allez dire que je me montais le bourrichon pour pas grand-chose, mais quand on est en vacances au soleil les réalités ne sont plus celles de la vie courante. Le sens des valeurs est aboli. Depuis quatre jours je n’avais rien d’autre à fiche qu’à exposer pendant un quart d’heure la partie pile de mon individu au mahomet et le quart d’heure suivant la partie face (la plus noble, aux dires des connaisseuses). Comme pour surveiller la cabine de ma Martienne j’étais mieux à plat ventre, et comme Mlle Vingt-Mille-Lieues-Sous-Les-Mers tardait, j’avais le dossard cuit à point lorsqu’elle est sortie. Mais ça valait le coup de se faire rôtir au troisième degré, croyez-en mon expérience ! Oh ! pardon ! Une sirène commak gagnait à se mettre en civil ! J’étais partant pour lui donner la réplique dans « Le Monde du Silence » (version revue par Jean Nohain !)
Quand on voyait défiler Mademoiselle, on remerciait le ciel de ne pas vous avoir fait tortue chez un marchand de peignes ou chamois chez un laveur de bagnoles. On se disait illico que c’était une bonté de la Providence que d’avoir un physique avantageux (comme c’est mon cas), deux bras musclés et le cadran solaire sur quatre heures moins dix (y en a tellement qui l’ont sur une heure et demie !)
Bref, que je vous décrive le lot pour vous montrer que c’est une affaire. La sirène en question est une brune avec des reflets châtains, bronzée à foutre des complexes à Joséphine Baker, et ses lèvres ont une modulation de fréquence parfaite. Quant à ses yeux, parlons-en ! Ils sont bleus à ne plus en pouvoir ! Plus bleus que la mer dont le bruit empêche les poissons de dormir. Bleu pervenche, avec des reflets d’azur, quoi !
La pin-up se dirige vers le bar en cannisse de la plage, se juche sur un haut tabouret de rotin et commande d’une voix mélodieuse un Coca-Cola-citron. Elle a troqué son inhumaine combinaison contre un maillot de bain rouge qui cache d’elle ce que j’aimerais précisément le plus contempler.
Moi, j’ai un côté taureau très poussé. Je réagis au rouge ! Je me lève, renvoie le ballon des joueurs de volley sur la brioche d’un gros bouddha chauve qui se fait bronzer le nombril, et, ayant épousseté le sable chaud pour légionnaire en perm’ qui me recouvre, je me dirige vers le bar.
La donzelle est seulabre. Le barman, insensible au beau sexe, compulse le dernier numéro de Tintin avec l’air extasié d’un hépatique découvrant sur son oreiller une boîte de pilules Carter. Je m’installe sur le tabouret et je fouille ma cervelle à la recherche d’une phrase d’attaque percutante. Comme elle est quasi à loilpé, je ne puis lui demander l’heure. Ce serait là, d’ailleurs, une piètre manœuvre très au-dessous de mes possibilités. Il me vient alors une idée explosive. Je vous la refile gratuitement, libre à vous de m’exprimer votre reconnaissance en m’offrant l’apéritif !
— Ça a biché ? lui demandé-je en affichant mon sourire dents-blanches-haleine-fraîche mis au point par Mariano.
Elle condescend à me regarder. Elle le fait sans enthousiasme, mais sans ennui.
— Pourquoi ? rétorque-t-elle.
— Ben, je vous ai vue arriver, tout à l’heure. Vous n’allez pas me dire qu’avec tout votre fourbi vous veniez du thé de la marquise de Bouffémont ?
Elle hoche la tête.
— J’ai raté un mérou.
— Il n’était pas galant ! Ça doit être un plaisir d’être pêché par vous !
Elle possède une sérieuse expérience du baratin car elle semble allergique au mien. Son regard est aussi glacé qu’un wagon frigorifique.
Elle tire sur la paille de son Coc’ en me présentant résolument son profil gauche.
— Vous marquerez ! fait-elle au loufiat en glissant de son siège comme un rayon de lune glisse d’un toit.
La voilà qui se dirige vers la mer, histoire de se saler l’épiderme.
J’interpelle le lecteur de Tintin :
— Dites donc, Haddock, qui est cette beauté en liberté ?
Le décapsuleur de sodas lève sur moi des yeux égarés. Il en était à un passage capital de sa lecture. Là où Tintin franchit le grand cañon du Colorado en patinette. Ça le fait claquer des dents. Ses puissantes épaules en bouteille d’Evian sont secouées de frissons.
— C’ qu’il y a ? grogne-t-il, les prunelles encore tapissées d’émotions fortes.
Je lui montre d’un coup de pouce la croupe ondulante de la sirène qui serpente entre les parasols.
— La môme qui vient de s’abreuver, vous la connaissez puisqu’elle a une ardoise !
Ses cils palpitent comme une enseigne au néon détraquée. Ce zigoto est autant porté sur les femmes que l’épée d’Eraste. Il a la bouille anguleuse, avec des pommettes proéminentes, des yeux enfoncés, les tifs couleur de panne d’électricité et une bouche sans lèvres.
Vous la connaissez pas ? s’étonne-t-il.
Je m’abstiens de lui rétorquer que dans l’affirmative, cette interview serait sans fondement.
— Non.
— C’est la maîtresse de Bitakis…
— L’armateur ?
— Si, signore ! fait le plaisantin.
J’évoque la frime faisandée du Bitakis. Un vieux jeton déplumé, avec une tronche qui ferait peur à des rats malades. Il doit rôder autour des soixante-dix carats, l’armateur. Pas plus tard qu’hier au soir, j’ai eu l’occasion de tortorer à deux tables de la sienne chez Tétou. Il présidait une table nombreuse avec l’autorité d’un Louis XIV. Et il avait une armada (nature !) de porte-cotons qui lui refilaient ses pilules pour le foie, l’œsophage et le pancréas à glissière. Un drôle de déjeté, beau comme un caveau de famille.
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