Je ne reconnais plus aucun autre art. Et encore s’agit de s’entendre. L’unique authentique, le fabuleusement certain, c’est Magritte. Lui, oui. Lui : tout ! Un jour je raconterai Magritte. Très bientôt. J’expliquerai ce que c’est, la vie, la philosophie, tout ! TOUT ! Et moi, depuis lui, un acte de foi. Bientôt, je jure. Avant de me remarsienniser pour toujours dans les éthers.
Donc je souffle à m’en faire éclater la jugulaire et rien ne retentit. De quoi je conclus que l’instrument est aussi bouché qu’un contractuel. Je le retourne pour regarder sous ses jupes. Ça m’a l’air normal. J’arrache l’embouchure.
Et j’avise.
Un ruban de papier roulé serré.
On l’a comme vissé dans l’embouchure.
Je le déplie. Il s’agit d’un télégramme.
Et il vient d’Italie… Le texte est libellé en français et en italien. Je vous le livre in extenso (par délégation spéciale du ministère des Affaires culturelles et antidérapantes) :
« Demain minuit Lipp stop Cravate stop Donner ceci stop Chiesa S A de la G stop Dispositivo otto stop Maschera stop Donato. »
Le télégramme a été expédié hier de Rome.
Et bien reçu par San-Antonio.
Bravo, San-Antonio [11] Qu’est-ce qui me prend souvent ? Garde tes réflexions pour ta concierge, hé, lavement !
.
Je m’assois pour réfléchir sans fourmis dans les panards.
Avant tout, essayer de décrypter le télégramme.
« Demain, minuit, Lipp… »
Ça, c’est le pain-blanc-le-premier. Du sans bavure. Intelligible.
« Cravate… »
Un mot tout simple.
Trop simple. Donc, mystérieux dans cette occurrence où je barbote. Cravate quoi, eh, podzob ? Est-ce le nom du gars avec lequel Zoé Robinsoncru a rendez-vous ? Doit-elle se munir d’une certaine cravate ? S’agit-il d’un signe de ralliement ? Si t’as la réponse, j’ sus preneur à cent francs.
Poursuivons. C’est comme dans les mots croisés qu’on décroise : au lieu de s’obstiner sur un os, on a intérêt à l’enjamber.
« Donner ceci… »
C’est-à-dire le télégramme, naturellement.
En somme, Zoé était chargée d’aller porter les mots suivants à un correspondant que le dénommé Donato ne pouvait joindre directement.
Maintenant, voyons la partie italienne du message, prego.
« Chiesa S A de la G. »
Chiesa signifie église. Le reste est la désignation de l’édifice dont il est question. S égale probablement Saint.
A de la G veut dire quelque chose comme Anne de la Garde.
« Dispositivo otto… » ça, c’est du velours : dispositif huit.
Enfin : « Maschera » est la traduction de masque.
Je décroutaille le phophoneur et demande à la gentille eczémateuse de me virguler un numéro de toute affaire cessante. En précisant comme quoi, bien que flic, je lui rembourserai la communication.
Elle me répond que : pensez-donc-c’est-pas-pour-une-communication » et me glapaoute mon numéro.
Un brin de parlementation et j’obtiens le Big Boss de la D.S.T.
Il me déclare de but en gris qu’il s’apprêtait à partir pour assister à un cocktail donné en l’honneur de Machin, de passage à Paris. Ce qui revient à me dire que je lui parais aussi opportun qu’un bubon sur la zézette d’un monsieur devant se marier demain.
— Monsieur le directeur, fais-je, des éléments nouveaux me permettent d’affirmer que la sécurité du pape sera bel et bien menacée la semaine prochaine. Il est indispensable que je vous entretienne de cette question de toute urgence.
Cette sortie, madoué ! V’là qu’il me répond que ses dispositions sont prises ; que je devrais m’occuper de ce qui me regarde, que je donne dans la baliverne d’illuminé, et tutti frutti.
A la fin, je ronchonne quelque chose qui peut passer pour des excuses, mais qui ne sont que des imprécations traduites du San-Antonio furax et je raccroche. Tu sais ce que je vais faire, dis, poilauc ? Un petit rapport tapé en quatre exemplaires. Un pour le ministre de l’Intérieur, l’autre pour le patron de la D.S.T., le troisième pour mon vénéré chef (dont je déplore l’absence) et un quatrième pour mes archives. De la sorte ma responsabilité sera à couvert et j’en connais un qui ira vendre des moules devant Saint-Lazare si un pépin papal se produit.
Avant de vider les lieux je m’y rends : à savoir que je vais dans la salle de bains de mam’zelle Zoé. Je te passe les flacons nombreux (tu me passeras le séné quand tu te seras déconstipé le territoire), les pots de crème, les trucs à tifs, les choses à z’œil, et autres…
Du classique. Ultra-féminin, donc émouvant pour un gaillard qui aime mieux pénétrer dans une pin-up que dans une mosquée (pour les deux t’es obligé de te déchausser, mais une mosquée ne t’appelle pas chéri).
Un coup de sabord par-ci, une œillade par-là… Je ne néglige rien, pas même la lunette des ouatères. Un flic, c’est un flic, que veux-tu. Même martien d’origine, il a le côté « Vise-un-peu ». Je te parie la case de l’oncle Tom, contre la tome de l’oncle Lacaze (1860–1955) [12] Car l’amiral est l’animal chez lequel on peut constater la plus grande longévité, après le maréchal.
que tu serais dans la volaille, t’en ferais autant.
Si je te narre les chichemanes de la belle suicidée, c’est pas par souci de scatologie, malgré que tu connaisses ma conscience professionnelle à ce propos. Mais parce que mes scrupules vont porter leurs fruits, comme disait un maraîcher.
Magine-toi, grande guenille, que je vois flotter un papier imprimé sur l’eau dormante de la cuvette.
Tu vas essayer de me contrer, rapport qu’il y a trop de bouts de papiers consécutifs dans cette affaire. Je te connais comme si je t’avais fini, sale branque ! Seulement tu l’as dans le Laos, vu que le papelard dont j’allusionne n’est qu’un simple prospectus pharmaceutique. Genre ceux que tu trouves, pliés menus, dans les boîtes de médicaments et que tu dévores plus ardemment que la une de France-Soir, histoire de te persuader que la saloperie qu’il accompagne va te guérir de tes pourrissements.
Celui-ci a trait (à longs traits) au Burnorectal, ce barbiturique (Ave Cesar, barbiturique te salutant) dont s’est utilisé Zoé Robinsoncru pour tenter de mettre fin à ses jours.
Je sais que c’est le prospectus du Burnorectal, car je l’ai repêché. Et l’ayant posé sur le rebord du lavabo, j’ai découvert qu’il enveloppait encore quatre gélules de Burnorectal.
Une minute de réflexion, assis sur l’abattant des chiottezingues, à mirer ma prestance dans la grande glace placardée derrière la porte ; et puis Santonio se dresse comme un seul homme et va prendre un grand congé de la matrone de l’établissement, dont l’eczéma rougeoie à mesure que la soirée s’avance.
Si tu crains les remugles d’éther, vieille fiente, attends-moi devant la porte de l’hôpital Albert-Brunerie. Justement, y a des bancs sous les marronniers qui l’entourent. Comment ? T’as le nez bouché ? O.K., alors amène ta rognure à ma suite illustre.
Est-ce un homme, une ogresse ou un gendarme en blouse blanche ? S’agit-il d’une jument ou d’un dragon échappé à la fourchette de saint Michel ?
Toujours est-il que ça gronde. Que ça fume. Que ça piaffe. On dirait soit le frère aîné de l’impétueuse Fernande, soit sa tante à moustaches. Ça s’interpose dans le couloir vert-cadavre-avancé, les coudes aux corps. La pâle clarté qui tombe de la veilleuse sculpte durement les traits de la personne.
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