Il y a comme du flottement dans le clan des méchants. Ça ressemble à la dessoûlance des petits matins, après la nuit orgiaque.
Ils conseillent de guerre, les mecs. S’arrêtent sur la décision suivante : ils vont lester les jambes des deux Français de plots de ciment, puis ils prendront une vedette automobile et iront les débastinguer dans le Rio de la Plata, aux eaux jaunasses.
Le môme, ils vont le planquer en attendant de s’en servir comme argument pour obtenir une forte rallonge. Là c’est le chantage à l’envers : « Si vous ne payez pas, on le rend. Si vous versez le pognon, on le supprime ! »
L’un des deux arquebusiers a un tatouage au cou qui représente un serpent. C’est très décoratif et, une fois exécuté, ça ne coûte pas cher d’entretien. Il explique au blond que « l’opération » a été menée de main de maître. Ils ont endormi leur monde à l’aide d’une bombe soporifique introduite dans un gros bouquet de fleurs livré à dame Panar. Ensuite, c’était du gâteau.
— Vous avez planqué la came ? leur demande le blond vêtu de blanc.
Ils l’ont fait. Diabolique : une cachette sûre. Ils ont désencadré un tableau et filé les sachets d’héroïne entre la toile et le contreplaqué protecteur.
Je te le révèle tout de suite, que si on oublie par la suite tu viendras gueuler au charron, putois comme je te sais : ils ont, en dernier recours, décidé de faire croire que le môme chiquait les dealers et qu’il a été victime d’un règlement de compte. Astucieux, non ? Merci !
Mais le Noir, revenu une fois de plus du schwartz, ces palabres ne font pas ses bidons. Il demande au tatoué de lui prêter son soufflant. Il tient à dessouder personnellement Béru. Son programme est alléchant : il lui fait sauter les deux genoux de deux coups de feu à bout portant, après quoi il lui sectionne les joyeuses et lui colle tout le pacsif dans le groin en le faisant tenir avec de l’albuplast et en obstruant ses narines. Puis, il lui pisse dessus et le regarde crever. En fin de parcours, il finit de vider le chargeur à l’emplacement de son sexe ablationné. Il opère sur une bâche pour éviter de salir le parquet. O.K., tout le monde ?
Bon, ils ont rien contre. Conviennent même que ça peut être joyce, comme one man chauve. Le blond va personnellement chercher une toile cirée à la cuisine. Les autres font de la place.
Le Noir saisit l’arme de son pote, vérifie que le cran de sûreté est bien enlevé. Il est investi de la mission sacrée qu’engendre la vengeance. Il doit laver deux outrages : l’enfilade carabinée de sa dulcinée et la balle qu’elle a morflée au défaut de l’épaule. Alors tu penses s’il est pénétré de son rôle. Othello ! (« Elle bout ! » comme on ajoutait au lycée.)
Ses sbires aminches empoignent le Mastar pour le faire placer sur la toile cirée.
Mais il y a plus prompt ! Pinaud ! Oh ! pas dans une action d’éclat, crois bien. Plutôt une action d’éclaboussures.
Le voilà qui se précipite sur la toile, accroupi, pantalon tombé, et qu’il se met à déféquer à en perdre haleine.
Toujours fort civil, il gémit :
— Excusez-moi, messieurs, je suis navré ! Mais je ne parvenais plus à me retenir et je n’aurais pas eu la possibilité de me rendre aux toilettes ! Je suis détraqué de fond en comble : les saucisses pimentées de M meMarinette, comprenez-vous ? J’ai l’intestin si fragile ! Je relevais déjà d’une sérieuse indisposition… Oh ! Oh ! la ! Oh ! la la !
Et de tirer d’abominables salves que si je te les décrivais, je perdrais une partie de mes clients. Des choses inqualifiables, liquides et pestilentielles. Mousseuses, aussi ! Verdâtres à s’enfuir ! Il geint ! Il larmoie. Sa tripe s’exténue, entre en agonie boyassière.
Et tous regardent ce pauvre et triste cul gris, pointu, sans poils, qui pilonne des positions ennemies imaginaires. Le blond se met à gerber. Le tatoué amorce la pompe pour y aller de son voyage, lui aussi.
C’est indescriptible, insoutenable. Le second mercenaire a la présence d’esprit d’ouvrir les fenêtres. Les méchants n’ont même pas la force de protester. Il les a par trop de sincérité, Pinaud ; trop de candeur diarrhéique. Un mec qui chie, dans une situation pareille, c’est qu’il ne peut se contenir. Il explose. Tu morigènes une bombe qui éclate, toi ?
Non, non : y a rien à dire. Béru, comme les copains, spasme à tout va. Il titube en faisant des beurghh ! vraougggg ! saisissants de vérité. Dans la confuse ambiante, les autres ne l’ont plus en point de mire.
Pinaud a déjà repeint les deux tiers de la toile cirée, car il se déplace en déféquant, le chéri ! A pas minuscules, trottineurs, comme pour s’éloigner du désastre qu’il crée. Pareil au bombardier : il fuit l’impact des projectiles qu’il largue ! Il va peut-être décéder de sa bédolanche excessive, le pauvre biquet !
— Foutez-le dehors ! inarticule le blond entre deux gerbes.
O.K., mais par quel bout l’attraper ? Tel, il semble insaisissable, César. On a davantage envie de s’éloigner de lui que de l’éloigner de soi.
Et puis, dominant cette effervescence faite de nausée, de dégoût grondant, de panique sensorielle, l’organe claironnant de Sa Majesté sonnant la diane française :
— Les pognes en l’air, tous, où j’vous astique les os au jus d’plomb !
Ils le regardent y compris ceux qui ne comprennent pas le français car tout le monde lit le pistolet dans le texte. Le gros marle est parvenu à subtiliser les pétoires des deux kidnappeurs de Salvador et il en a une dans chaque paluche, comme dans les ouesternes. Faut le voir, en veston, les fesses à l’air, la queue pendante (enfin !), les chaussettes tire-bouchonnées sur ses souliers qui bâillent. Ivan le Terrible !
Comme le tatoué lui fonce dessus, il le praline sans barguigner. L’homme tombe dans les flaques pinulciennes, une quetsche dans le col du fémur !
— J’ai dit les mains en l’air ! Hands up ! Manos levantade !A capito ?
On lui obéit.
Il s’adresse alors à Salvador :
— Qui c’est qui t’a mis les m’nottes, gamin ?
Le frêle boutonneux désigne l’ami du tatoué. Béru se tourne vers l’incriminé :
— Open the door, mec ! Et plus quickly que ça ! Menottes du bambino ! Schnell !
L’interpellé finit par comprendre et va délivrer Salvador.
— Ecoute-moi, Tarte aux fraises, lui lance alors Béru. Y a le téléphone dans cette masure, au fond du livinge. Appelle la police, tu dis qu’c’est d’la part de Carmen Abienjuy, le directeur d’la flicaille de Mardel. Dis où qu’on est et qu’ç’urge ! Tu mords l’topo, Burnes vides ? Les poulagas vont ramasser tout’ la bande dans son r’paire. Dis-y qu’y z’amènent une ambulance, du temps qu’y z’y sont.
Tout flageolant, pâle sous ses boutons nacrés, l’héritier du fils del Panar obtempère. Il décroche le téléfon, demande aux renseignements le numéro de la police.
C’est alors que la copine de Veronica entre en scène pour le trois. Elle tient une mitraillette dans ses bras, non pas comme un bébé, mais comme une mitraillette quand on sait s’en servir.
— Laisse tomber ! jette-t-elle au paumé.
Il se grouille de remettre le combiné sur sa fourche (comme on dit toujours dans les romans policiers pour que ça fasse documenté et plus long).
La gonzesse pétroleuse apostrophe Béru :
— Amigo con la gorda cola, lâche los pistolas si tu pas vouloir que je tue lui !
Elle désigne le pauvre Pinaud dans ses œuvres.
Béru évalue la topographie. Elle se tient derrière Salvador et braque le chieur de fond. Il ne peut rien tenter qui ne soit une folie. D’autant qu’elle paraît tout à fait déterminée, la gueuse !
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