Pinaud revient de la salle de bains, chancelant mais vide et nettoyé. Même, pour te dire : il sent bon, s’étant lotionné copieusement d’eau de toilette. Il dit :
— Qu’est devenue la personne avec laquelle tu t’es isolé pour forniquer, Sandre ?
Bérurier dresse l’oreille, la queue, les paupières et deux ou trois autres parties amovibles de son académie. Puis il fonce à la chambre où se perpétrèrent ses amours inconclues.
Le lit est vide. Il devient donc livide. Des traces de sang, consécutives à la blessure subie par Veronica, se lisent sur les draps blancs. Mais la personne de son cœur a disparu et une profonde meurtrissure laboure l’âme si noble de cet être délicat.
— E s’est cassée, balbutie-t-il. Dieu de Dieu ! elle a enfui en roulant sur la jante, la pauvrette, qu’on n’aura pas fini d’prendr’ not’ pied, moi z’et elle ! Se peut-ce ? Une gonzessse qu’ pour la première fois d’ma vie j’ai z’eu l’coup de foutre ! Mais ell’ va mourir si on n’la sogne pas, la chère chérie ! Ou bien les perdreaux d’ici risquent d’lui défourailler cont’. Faut qu’ j’vais la sauver, l’Amour ! Y la ramèn’rerai dans l’droit ch’min d’abord, en France ensute. J’l’épous’rerai, j’y f’rai des lardons. On r’tourn’ra à Saint-Locdu-leVieux, mon village natal. J’r’prendrerai la ferme à mes vieux et on f’ra l’cochon. Un él’vage modèle. Ça pue l’été, mais ça rapporte. J’prendrai la variété Babylas : les gros roses qu’a la queue noire. On s’ra primés dans les commissures agricoles ! Not’ entreprise, j’la baptiserai « Béru-porc-export ». La Véro, j’la saut’rai à longueur d’jornée : su’ la grand’ tab’ d’ la cuisine, dans la grange, à même l’plancher, dans le tas d’grain du gr’nier et elle aura du blé plein la chatte ! Qu’y faudra vach’ment qu’elle s’injectionne après, pas qu’y en reste, sinon y gerin’raient à l’intérieur, biscotte la chaleur ; y doive régner un’ température d’au moins cent d’grés dans son minou : y m’brûlrait l’Nestor !
Il a le temps de dire tout cela, Alexandre-Benoît Bérurier, en l’espace de peu de secondes. Soucieux mais déterminé, il rabat sur les lieux du carnage.
— Pinuche, fait-il gravement, faut qu’on se quitte un bout d’temps. J’ doive retrouver la gosseline, tu comprends ? C’est ta pomme qui va donc r’cevoir les draupers et leur espliquer l’topo. Veille qu’ ce p’tit glandu tienne l’choc : on doit ça à sa mère, moive du moins ! C’est pas d’sa faute s’il a eu un coup de nervouze après tout c’ qu’y v’nait d’subir. On s’r’trouvra chez lui où l’ami Alonzo doit nous attend’. Tu mettras Carmen au courant des périphéries d’ la noye, qu’elle nous ouvre l’pébroque en grand, n’au cas où ses collègues chican’raient su’ c’tas d’viande froide !
Il pose ses deux pattounes plantigradeuses sur les épaules fuyantes du jeune homme :
— Quant à toi, loupiot, du nerf ! T’en verreras d’aut’ ! Pense à Maradona et d’mande-toi c’qu’il aurait fait à ta place !
Après cette double exhortation, Bérurier tourne les talons et s’enfonce dans la nuit.
Il prend le vent.
Justement, une brise légère souffle du Rio de la Plata. Le Gros se dit que, pour quitter la maison, Veronica a dû soit passer par la fenêtre, soit emprunter une sortie de derrière. Alors il contourne l’habitation et trouve ce qu’il attend : des traces de sang sur l’appui de la croisée de la chambre où il contracta ce mal étrange qu’on appelle l’amour.
Partant de là, il suit des foulures de pas dans la pelouse. Elles se dirigent vers le fond de la propriété. A l’extrémité d’icelle : aucune barrière, mais un bras d’eau. Un instant, le Gros se met à redouter que la blessée se soit jetée dedans. Il se dissuade en pensant qu’elle aura été capable de nager puisqu’elle a pu enjamber une fenêtre.
Il furète dans l’herbe haute. Voici les traces de pas qui reprennent. Il les suit. Elles cessent à l’orée d’un petit pont en dos-d’âne réservé aux seuls piétons. Sa Majesté le franchit lentement, courbé en deux, à la recherche de nouvelles traces.
Deux petites étoiles sombres dans la poussière ! La môme est passée par là !
Le côté animal de cet homme donne à plein quand il est en chasse. Tout le ramène à l’instinct sauvage : les sons, les odeurs, la pression atmosphérique.
Il se dit, en termes presque télégraphiques : « Quand elle a entendu défourailler au salon, elle est venue jeter un œil à la sauvette. L’a vu le p’tit gonzier dans ses z’œuvres. S’est dit qu’il allait aller la seringuer aussi. L’a mis les adjas par la f’nêt’ de sa piaule. La trouille donne l’énergie manquante. Au lieu d’enfuir par la route, s’est mis à calter par les arrières. D’deux choses lune : elle sait où qu’elle allait ou ell’ l’sait pas. »
L’animal béruréen stoppe, à genoux sur la berge d’un étroit canal. Il renifle, il pète, il attend l’inspiration. Et puis, surtout, il regarde. Qu’aperçoit-il ? Le paysage romantique du Tigre. La plaine sillonnée de canaux avec plein de maisons de vacances ou de véquendes rivalisant de grâce et d’ingéniosité. Les architectes « argentiers » sont très forts, bourrés d’idées originales.
Le Mastar perçoit une sirène de police, un brouhaha en provenance des lieux qu’il vient de larguer. Il croise les doigts pour conjurer le mauvais sort. Il souhaite que le petit massacreur boutonneux s’en tire. Il l’a pris en pitié, voire en sympathie. Et puis il se sent coupable d’avoir foutu cette mitraillette entre ses mains, dans l’état commotionnel où il se trouvait.
Bon, on verra plus tard. La Léa jacte à l’est, comme on dit en latin (il s’est torché un jour avec les pages roses du Larousse, les jugeant superflues). Il a bien fait de marquer une pause : pendant cette halte, son instinct a pris la direction des opérations. Il lui souffle la réponse à la question qu’il se posait à l’instant : Veronica est allée se planquer dans un endroit précis. Elle connaît parfaitement ce lieu résidentiel.
Bérurier se dresse, sonde la nuit de son regard. Il distingue, au loin, une lumière. Une seule. Tel les bergers de la crèche guidés par l’étoile, il s’y dirige, franchissant d’autres ponts, traversant d’autres pelouses, enjambant des haies basses, des massifs de fleurs. L’amour le pousse ! Il veut la retrouver coûte que coûte, la sauver, finir de la baiser, l’emmener élever des cochons à Saint-Locdu-le-Vieux.
Au bout d’un quart d’heure, le voici devant une construction de style californien. C’est moi, l’auteur, qui dit « californien » ; Béru, lui, il ignore ce dont il s’agit. La maison n’a pas d’étage. Tout de plain-pied, elle est en forme de « Z ». Au jambage du bas, il y a la fameuse lumière. Alexandre-Benoît s’en approche. Mais on a tiré le store intérieur, les lamelles se chevauchent parfaitement et il ne voit rien. Pourtant, quelque chose lui dit qu’il « brûle ».
Que faire ? Taper au carreau en appelant ? Dangereux. Si c’est quelqu’un d’étranger qui se trouve dans la taule, il appellera les bourdilles, et si c’est « elle », elle prendra peur et aura des réactions imprévisibles. Alors il va à la porte. Elle est fermée. San-Antonio serait de la partie, avec son fameux sésame, tu parles qu’il en rigolerait de cette serrure bouclarès, ce grand con pavaneur !
Messire prend une décision forte. Il furète dans le jambage supérieur du « Z » qui est le garage, y dégauchit des outils et se met à besogner une fenêtre éloignée de celle qui est éclairée. Il est pugnace, fort et madré. En moins de jouge il craque le montant, redoutant quelque système d’alarme ; mais non, tu vois, c’est franco. Il escalade. Il perçoit un bruit étrange venu d’ailleurs, croit un bref instant qu’il s’agit d’un de ses nombreux pets inadvertés, mais comprend, en fin de compte, qu’il s’agit de son fond de bénoche qui vient de rendre l’âme, un de plus ! Son talon d’Achille, le fond de futal.
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