Pour conclure, je touchai mes dividendes avec discrétion et nous titubâmes jusqu'au lit. Deux animaux exténués par trop de débordements, trempés de foutre et de sueur, provisoirement inexistants.
Ressentis-je de l'amour, au fond de cet anéantissement ?
Qui pouvait le dire ?
Un léger bruit de sanglots m'éveilla.
Elle pleurait dans mon bras replié, le nez sous mon aisselle gauche. Je me pris à lui caresser doucement la nuque en chuchotant des tendreries. Elle m'émouvait jusqu'à l'os. Je la sentais tellement fragilisée par la disparition de son pauvre papa !
Je lui demandai à qui elle avait si longuement téléphoné la veille. Elle me répondit : à son oncle d'Alexandrie pour le mettre au courant des événements.
— Que pense-t-il de cette disparition ? m'enquis-je.
— Il est très inquiet et craint une action des Frères de Memphis.
— De qui s'agit-il ?
— D'une organsation secrète se donnant pour mission de défendre l'intégrité de la culture arabe. Les écrits pro-occidentaux de mon père lui ont déjà valu pas mal de brimades.
— Pour quelle raison l'organisation en question viendrait-elle opérer ses exactions loin de sa base ? Et de surcroît dans une si petite île ? Ce serait courir des dangers superflus !
Elle hocha la tête, totalement désemparée.
Je regardai l'heure à ma montre étanche, une élégante Mathey Tissot indiquant trois plombes du matin. Je lui conseilla de prendre un bain et de se recoucher, car il était indispensable qu'elle retrouve ses forces avant d'affronter une période que je pressentais rude.
* * *
Sais-tu pourquoi les draupers mènent si souvent leurs enquêtes à bon terme ?
Qu'est-ce que tu dis ? Parce qu'ils sont cocus ?
En ce qui me concerne, je te ferai remarquer qu'étant farouchement célibataire, cette clause ne saurait jouer pour moi. Toujours est-il que les instants à venir te prouveront que j'ai le fion serti de nouilles… [4] Emplacement publicitaire disponible pour une fabrique de pâtes, à condition qu'elles soient de qualité, comme Lustucru, Panzani ou Platini. Concernant les tarifs, s'adresser à mon éditeur.
L'existence se joue sur des fils ténus. Tu en veux la preuve ?
O.K. ! A la fraction de seconde ou je débonde la lourde de Nouhr, j'avise, tout près de moi, le dos d'un mec en train de sortir de la piaule 224, celle même, je te le rappelle, où j'ai vu un couple occupé à bien faire.
Le gars est le sabreur émérite de tout à l'heure. Il porte un jean et un blouson de toile blanche. Arc-bouté, il traîne une chose probablement lourde. Je prends le risque de « guigner » encore et j'aperçois une grande cantine de fer. A l'autre extrémité, la névropathe lui prête son concours.
Ce que j'éprouve ressemble au coup de panais velouté que les baiseuses expertes te passent sous les roustons en guise de préambule, façon de marquer leur territoire.
Un chant d'allégresse éclate dans mon âme rassérénée.
Se peut-il ?
JE SAIS que l'Egyptien se trouve dans cette malle. Question à cent roupies : est-il vivant ou mort ?
Le plus étrangement curieux c'est que l'homme d'action que je suis, si déterminé en toute occasion, est totalement désemparé par sa découverte. Dois-je intervenir illico, au risque de morfler un mauvais coup ? Ou bien attendre un peu et filocher ces drôles de pèlerins ?
J'opte pour la seconde soluce : les laisse prendre du champ.
Je veux bien que ce soit l'heure inerte de la noye dans un hôtel, cependant il y a partout des noctambules, surtout dans un endroit comme celui-ci, et une rencontre pourrait se produire, perturber dangereusement leur manœuvre.
Les deux porteurs ne parcourent que cinq ou six mètres et s'escamotent en plein couloir. Je ne l'avais pas remarquée de prime abord : une porte étroite se confond avec la fresque peinte sur le mur (ça représente un rivage enchanteur : mer bleue, cocotiers verts, vahinés brunes).
L'huis n'étant pas complètement fermé, je le pousse. Parviens sur le palier d'un escadrin de secours. J'entends les heurts de la cantine dans les profondeurs. M'engage dans l'escadruche. Je porte des espadrilles, comme toujours en pays de soleil. Ce qui m'accorde une démarche de mouche.
Un étage !
Puis deux !
Et trois !
Nous sommes dans le parking souterrain de l' Atlantico , éclairé en permanence. J'avise mes « voisins » et leur foutue malle. Ils se la coltinent lentement dans les travées jusqu'à un véhicule bizarre : espèce de pick-up haut sur pattes, équipé d'une cabine et d'un plateau arrière muni de ridelles.
Les amants ont le plus grand mal à charger leur fardeau, la fille n'ayant pas la force de le lever si haut. Le mecton finit par résoudre son problème : il place le coffre à la verticale, ce qui amène l'une des anses au niveau du plateau, puis il tire le « sarcophage » jusqu'à ce qu'il repose sur le véhicule.
Cette dure tâche accomplie, il saute à terre et, accompagné de sa pouliche, gagne l'habitacle.
Ronflade du moteur. Le véhicule, immatriculé dans l'île (je mémorise le numéro aussitôt) a connu des jours meilleurs car il dégage un âcre nuage de fumée noire, huileuse.
Ce que fait ton Tantonio divin, Manchaburne ? Il se hisse en souplesse sur la plate-forme et s'y allonge, blotti contre la cantine métallique. Je risque peu d'être détecté par le couple car une simple lucarne, aux dimensions d'un calendrier des Postes, permet à l'arrière de comuniquer avec l'avant du pick-up.
On teufe-teufe hors du parking. Une rampe raide et courbe nous projette contre une ridelle, M. Alouf Zagazi et moi. Je me blesse au pouce droit. La douleur est si intense que je faillis hurler. Puis nous surgissons dans la nuit étoilée, fraîche et odoriférante.
Alors une relaxation bienfaisante s'opère, en dépit de ma souffrance. Je me mets à respirer à pleins chaudrons cette campagne insulaire où il pousse davantage de cailloux que de plantes.
Hélas ! je ne dispose d'aucune autre arme que de mon intelligence ; mais cette dernière, espère, vaut la production d'un arsenal.
L'intérêt d'habiter une petite île réside dans l'abrogation des longues distances. Après un quart d'heure de route, la voiture ralentit. Nous avons traversé quelques menues agglomérations endormies sous cette voûte céleste chantée si magnifiquement par Dubois-Donton [5] Notamment dans les ouvrages : « Par les champs et par les grèves » et « Les rêveries d'un Promeneur solitaire ».
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Je ni-une-hideuse : saute en souplesse du plateau et me planque dans l'ombre d'un buisson de dicotylédones dialypétales, également connus sous le nom de cactus.
Il était temps ! Le duo, déjà dévoituré, vient récupérer la cantine.
Je coule une œillerie goulue sur mon environnement. Découvre la mer à droite, un massif du genre montagneux-en-bas-âge à gauche. Les baiseurs saisissent leur mallouze par les oreilles et s'engagent dans un souterrain dont la bouche lance un cri silencieux ! [6] Paragraphe de toute beauté. Ah ! comme j'aimerais avoir la plume de San-Antonio ! Valéry Giscard d'Estaing.
Cette constatation m'agrée. Tout se dévide le mieux possible. Ne me reste que d'attendre leur retour.
Les minutes s'égrènent. Les insectes nocturnes bruissent. La lune qui, cette nuit-là, fait les choses à moitié, s'appesantit sur le paysage minéral.
Enfin, les deux tourtereaux reviennent sans leur fardeau, se tenant par la taille, heureux de leur besogne, semble-t-il. Je les regarde monter dans leur tire, laquelle disparaît avec des pétarades fumeuses.
Tu devines si le gars Moi-Même, l'être le plus fabuleux que j'aie rencontré, s'engouffre dans le terrier. Le souterrain de Jameos del Agua mesure six kilomètres de long et servit de refuge à la population de Lanzarote lors de l'éruption de 1730 [7] Lis San-Antonio : il t'instruit sans te faire chier. Larousse.
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