Je chiquais au bain de soleil, allant jusqu'à m'oindre d'huile empestant le benjoin.
N'en fait, j'observais la foule au forfait tirant partie de cet eden, et songeais qu'après une longue immersion dans la médiocrité, je prendrai un pied éléphantesque dans le nouveau cimetière de Saint-Chef-en-Dauphiné où j'irai attaquer mon éternité à l'ombre de « la Tour du Poulet » (XII e).
J'avais loué une chignole à l'aéroport, une petite Renault bleu pervenche, trop exiguë pour qu'on y puisse tirer un coup convenable sans excès de souplesse et d'ingéniosité. Me souviens, y a pas si naguère, avoir embroqué la secrétaire de mon conseiller fiscal dans une tire du même type, une grande fille qui avait voulu jouer à la femme-serpent. Quand elle eut chopé son foot , il fallut une heure pour arriver à la dénouer. Ambitieuse, elle tenait à se faire emmancher en plaçant son talon gauche derrière sa nuque, ce qui eut pour effet de lui tordre la moniche comme la bouche d'une personne frappée de convulsions.
Après le coup de rapière joli, y avait plus mèche de la rectifier. Des crampes, ou j'ignore quoi, la forçaient à conserver cette position d'acrobate ayant raté son numéro. J'ai dû rechercher un garaco pour démonter les sièges avant de l'auto. Bon zig, il m'a ensuite aidé à la masser, tout en lui glissant (je m'en suis aperçu, tu penses !) le médius dans le gouffre de Padirac. C'était un vieux gazier, ravi de l'aubaine. Le restant de la journée, il ferait sentir ses doigts à des potes, leur prouver qu'il s'expliquait toujours dans la galanterie poussée. Sans les aubaines qu'il nous accorde, le monde ne serait pas existable.
— Bonjour ! me susurre une voix frêle comme un murmure de source sourdant sur un lit de mousse.
Pointalaligne.
J'arrache mon regard des nues où folâtrent d'aimables cumulus chantilly.
La jeune fille de la veille : celle qui voiturait son dabuche aux guitares fanées. En maillot de bain. Payant ! Sa poitrine est plus présente qu'elle ne m'avait semblé. Taille exquise, peau veloutée, ambrée ; le rêve. Un triangle de panne irréprochable, presque maçonnique. Son corps bronzé stimule sa blondeur ophélienne. Elle porte un léger deux-pièces jaune souci. En une fraction de seconde, je décide de le lui ôter dans les meilleurs des laids. En état second, le Sana. Visionnaire, je contemple sa chattounette à la cressonnière d'or.
— Je ne vous ai plus revu, hier ? remarque-t-elle sur un ton interrogationneur.
— J'ai pris un autre bus pour rentrer.
— Vous savez qu'il est arrivé un accident dans le trou inflammable ?
— En effet.
Je me lève galamment et lui désigne une chaise longue voisine de la mienne (en anglais : the mine ).
— Si ma compagnie ne vous importune pas…
Elle s'installe. Pose son sac de plage entre nos deux sièges avec un long soupir de détente.
— Monsieur votre père va bien ?
— Il se repose. Depuis sa maladie, il vit à contre-courant, passe ses nuits éveillé pour s'endormir à l'aube…
— Attaque cérébrale ?
— Exactement.
Elle fait comme toutes les dames au soleil : se crème d'un air appliqué. Puis revient à ses moutons (des béliers à tête noire, aux cornes de mouflon).
— A-t-on su ce qui est arrivé à cette femme ?
— Selon la presse locale, elle se serait trop approchée du cratère et serait tombée, tête la première…
— Quelle affreuse mort ! Elle était étrangère ?
— Irlandaise, aux dires du journal. Elle voyageait pour distraire son récent veuvage. Est-il indiscret de vous demander votre nom ?
— Nouhr.
— N'est-ce point un prénom arabe ?
— Nous sommes égyptiens.
Ma stupeur, en apprenant cela, n'a d'égale que la dimension de mon sexe.
— Vous n'avez rien d'une Arabe ! m'exclamé-je-t-il.
— Parce que ma mère est anglaise.
Tout s'explique.
— L'union de vos parents a donné un magnifique résultat ! appréciai-je.
Elle eut l'air gênée de mon compliment. Il fallait éviter de la brusquer, manier le madrigal avec tact.
Nous devisâmes sobrement. Je la contemplais avec une telle avidité que j'aurais pu dresser le bilan de ses plus menus grains de beauté, et de tous ses poils follets. Nous nous exprimions d'un ton sérieux, lorsque je risquais un trait d'esprit, elle souriait poliment, sans y faire un sort.
J'appris que ses vieux avaient divorcé cinq ans auparavant, après l'accident cérébral de son father . La maman britiche menait depuis toujours une vie « particulière », en tout cas d'égoïste. Repoussant ce qui troublait son confort. Sans doute avait-elle des amants ? Nouhr resta muette sur ce point. Depuis que sa mère les avait largués, elle s'occupait du mari abandonné, se vouait à lui, ce qui me peina, car il est triste de voir un enfant sacrifier sa jeunesse, malgré la grandeur du geste.
Au bout d'un couple d'heures musicales dans le charivari des tritons et naïades survoltés, Nouhr me confia qu'elle fêterait l'anniversaire de son daron. Accepterais-je de prendre une coupe de champagne en leur compagnie afin de marquer l'événement ?
Je sautis sur l'occasion, tel le loup cruel sur la grand-mère du Petit Chaperon Rouge. Parce qu'il faut toujours que j'en rajoute (c'est dans ma nature), je contre-proposas de les inviter à La Choza , un restaurant de poisson, dont les guides disaient le plus grand bien.
Elle y consentit avec un plaisir non dissimulé, comme on l'écrit dans les books d'avant la Quatorze. Cette délicieuse demoiselle devait se plumer à piloter le carrosse nickelé de son père.
Peu après, elle réunit ses quelques bricoles plageuses en m'annonçant qu'il était temps pour elle de retourner auprès du handicapé. Je sautis dans sa roue, alléguant que je n'étais pas un forcené du coup de soleil.
Nous regagnîmes l'hôtel où la fraîcheur des climatiseurs nous donna une sensation d'euphorie charnelle.
Le palace comportait trois étages. Le Seigneur, dans Sa bienveillance (ou bien le Démon, dans sa malignité) avait permis que nos appartements se trouvassent au second, à un jet de foutre l'un de l'autre… Nouhr créchait au 222 et moi au 228.
Je pris provisoirement congé d'elle, ma main ne se pressant pas de libérer la sienne, non plus que mes yeux de s'arracher aux siens ; aussi amorçai-je une érection prometteuse en parcourant les mètres linéaires séparant nos deux suites.
Une douche froide allait remettre ma pendule du bas à l'heure (c'est-à-dire sur six heures et demie).
Comme j'enfonçais ma clé dans la fente destinée à la recevoir, je fus hélé par une voix aussi douce qu'angoissée. Je vis la ravissante jeune fille dans le couloir, la mine défaite [3] Je voudrais savoir à quoi correspond une « mine faite ».
.
Tout en me dirigeant vers elle, je supposai que son paternel venait de clamser pendant son sommeil. Cela arrive communément. Personnellement, j'aspire à une mort consciente, voire acceptée. Déposer mon bilan en pleine dorme me donnerait le sentiment d'être floué.
— Votre père ? fis-je.
Elle acquiesça.
— Une crise cardiaque ?
Elle secouit négativement la tête, puis sans un mot, pénétrit dans l'appartement. Ce dernier se composait de deux chambres reliées par une salle de bains. Nouhr entra dans la première dont elle avait laissé la porte ouverte. Effectivement, le lit défait était vide. Les choses se compliquaient car la petite voiture d'infirme stationnait toujours dans la pièce.
Je me précipita dans la chambre, puis dans la salle d'eau et enfin sur le balcon. J'inventoria les penderies, les goguemuches et, en désespoir de cause, le réduit destiné aux bagages ; tout cela en vain. Il n'y avait pas plus de papa dans cette suite qu'il n'existe de mansuétude dans l'œil valide de M. Jean-François Le Pen.
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