D'un même élan, nous nous élançons vers le cabinet de travail du forban de la plume.
Certes, il comporte une ancienne I.B.M. à boule, presque neuve malgré son âge : il l'utilise si peu.
Elle ne nous révèle rien.
Déception des cons venus.
— Alors quoi, c'coup d'inspiration, c'était rot de champagne ?
L'enturbanné de gaze émet le doux bêlement de l'agneau caracul [64] Nom de l'astrakan.
avant qu'il soit sacrifié à l'élégance des femelles humaines.
— Attendez !
Il fourbit ses orbites creuses, produisant un grincement de poulie mal graissée.
— J'ai aperçu une autre machine dans cette demeure ; très vieille. Au grenier, il me semble. Oui, au grenier !
Une horde silencieuse se précipite dans l'escalier. Les dernières marches branlent et geignent (ce qui paraît on ne peut plus compatible).
Parvenu dans les combles, l'intrépané se dirige sur la droite du local, près de l'orgue de ciment constitué par les conduits de cheminée.
Toute proche, une commode sans style, disons Charles X si vraiment ça peut te faire mouiller. Sur icelle, la machine à écrivire. J'y porte la dextre. Etrangement, elle est fixée au meuble. C'est de la bécane de jadis sur laquelle on tapa le traité des Pyrénées en 1659. Poussée d'adrénaline, une fois encore. Lentement, avec déterminance, je frappe les sept caractères.
Tu ne devineras jamais quoi !
Voilà qu'éclate une musique d'enfer, susceptible de carboniser tes écoutilles. Le Chant du départ , mon bijou ! Interprété par l'orchestre de Lille, sous la baguette de mon cher Casadessus.
Archi-fortissimo ! Eclatissimo ! conviendrait mieux. On s'obstrue les cages à miel de nos mains, regrettant de n'en posséder que deux.
— Arrête ! Mais arrête donc, putain d'toi ! hurle Poléon IV que sa cire auriculaire protège insuffisamment.
Very difficult de réfléchir avec cet ouragan patriotique dans la calebasse.
Une trouvaille me vient : répéter le numéro sur le clavier. Gé-nial ! La zizique stoppe. Mais ! Mais ! Alors là, elle est raide (je ne parle pas de ta queue mais de la mienne) !
Figure-toi que la vilaine commode se meut. Pivote avec lenteur, nous découvrant un espace creusé dans le mur et garni de rayonnages sur lesquels on a amassé des lingots d'or (d'un côté) et de platine (de l'autre).
Il y en a tellement que ça n'est même plus impressionnant. Suppose que la place du Trocadéro en soit pavée, ça te ferait bander ?
— C't' fois, glabouille l'Obèse, tu n' m'empêcheras pas d'en rapporter un à l'impératrice !
— Si tu touches à ça, je te mets en disponibilité pour une durée illimitée !
Tandis qu'il boude, la Pinasse me tapote le bras.
— Vois-tu ce que je vois, Antoine ?
Ce que me désigne mon noble ami n'est autre que la mallette en croco gris et coins d'argent.
Doux Seigneur, notre triomphe eût été incomplet sans cette ultime trouvaille. Me jette à genoux, autant par curiosité que pour marquer ma reconnaissance envers le Divin.
Ses deux fermoirs sont bouclarès ; dois-je préciser que je m'en tamponne comme de ta première éjaculation nocturne ?
Un petit zigoui-goui par-ci, un gouli-goula par-là, et ça joue !
Non, ce n'est pas du jonc ! Non plus que des diamants ou autres pierres réputées précieuses. Pas question de documents ni de photos pornos !
Ne claque pas de curiosité, ma poupée, je vais tout te révéler : des flacons, mon con. Je dirais même des fioles, méthodiquement enchâssées dans des compartiments de caoutchouc mousse, biscotte les heurts.
— Quai Jacob ? demande le Taurin, confondant probablement avec que zacco .
Des produits hyperdangereux à n'en pas douter, avec lesquels Mathias va se délecter. A l'évidence, messire Titan touchait à tout. Il ne savait pas écrire, ce qui est courant chez les académiciens, mais côté « esprit du Mal », il n'a pas encore fini de nous stupéfier !
* * *
Lorsque je fais retour à Saint-Cloud, accompagné de César que je ne peux guère laisser seul dans l'état où il est, ma « petite folie » joue avec Salami sur le canapé du salon.
Elle accourt pour me sauter à la nuque.
— Papa ! Papa ! Papa est rentré ! annonce-t-elle au monde immense et radieux.
Je pose sur le carrelage de l'entrée le grossier paquet que je tiens sous le bras.
— C'est pour toi !
— Ça a l'air lourd, remarque-t-elle.
— Mais fragile ! ajouté-je. Prends-en bien soin.
Elle déplie soigneusement le paquet. Pousse un cri de bonheur en voyant sortir du papier la tête reptilienne d'une tortue.
Le cortège composé de dix fiacres loués pour la circonstance traversait majestueusement le pont de la Concorde.
Dans la première voiture avaient pris place Napoléon IV et l'impératrice Berthe. Dans la seconde, des maréchaux en pire, dans les suivantes des invités triés sur le volet (dont je faisais partie).
Le pont franchi, le cortège poursuivit sa marche en direction des Invalides qu'il atteignit un quart d'heure plus tard.
Un valet de pied, accroché derrière le véhicule du couple impérial, se précipita, nanti d'un petit banc chargé de faciliter l'extraction des époux célébrissimes.
L'Empereur le négligea pour descendre, par contre, l'impératrice eut la fâcheuse idée de l'emprunter et s'étala sur l'esplanade.
— Mais, bordel à cul de merde ! T'n'peuves pas faire attention, bougresse ! rugit l'Empereur. S'éclater la gueule just' z'au moment qu'on nous flashe pour la poste-héritée, y a qu'toive !
— Je vais en prendre d'autres ! avertit le photographe tout en aidant la souveraine à se relever.
Cliquètements, éclairs, et l'on s'avança vers l'auguste construction.
— Oh ! putain, c'est la couillerie en branche, clama Napoléon IV. J'ai plus pensé qu'on est mardi et qu'les musées sont fermagas !
Une houle consternée parcourut la petite assistance. Je fis alors remarquer qu'un hommage extérieur à l'illustre devancier était aussi valable qu'un hommage in door , et serait après tout moins contraignant.
L'objection galvanisa l'assistance.
Il y eut des vivats, des hourras, même. On entonna une fois de plus La Marseillaise , ensuite on congratula le couple impérial, puis on s'assit pour déballer les paniers de victuailles.
Tout en mangeant, Sa Majesté, poussée par l'ivresse de sa propre gloire, ne put résister au besoin de narrer à l'Impératrice la vie de son illustre devancier.
Et ce fut, en fin de compte, l'une des plus belles journées du Quatrième Empire.
FIN DU ROMAN
LE PREMIER EMPIRE
RACONTÉ PAR BÉRURIER
« Tu voyes, Berthy, y a un' chose dont à laquelle, j'veuille t'causer, à propos d'mon ancêtre Napoléon Pommier, c'est d'ses amours.
Emp'reur, tout c' qu'tu voudreras, mais j'sus convaincu qu'il était loin d'avoir un chibre comm' l'mien, ni d'savoir s'en servir aussi bien qu'moive. A l'âge qu'y lutinait Caroline du Colombier, sa pr'mière, y a lurette que j'empétardais la Vévette Mauduy, la fille Marchandise, Léla Bonvin, la cadette au maire, sans parler d'Maâme Lamplatré, la couturière, qu'avait un pied r'tourné et un grand carré d'poils frisés su' la joue.
Moi, son braque à Napo, j'l'imagine pareil à un saucisson d'âne : ultra sec et noueux ; légèrement à la r'troussette, av'c un' tête plutôt pointue ; mais j'peuve m' gourer, des braques, y en éguesiste de toutes sortes ; faut avoir fait son service militaire pour s'en rend' compte. J'ai l'idée qu'il timorait d'c' côté, mon glaïeul. Su' un champ d'bataille, y s'éclatait, mais au plumard y bredouillait d'la membrane.
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