— Écoutez, monsieur Saint Louis, vous n’expérez pas convaincre un commissaire de police que votre soi-disant milice est une entreprise de salut public, non ?
— Je ne me soucie pas de convaincre, commissaire. J’agis ! NOUS agissons ! Ce que nous avons réalisé en équipe réduite pourrait appartenir à l’histoire ! Combien de traîtres avons-nous liquidés ? Des tortionnaires nazis, des tueurs de juifs, des meurtriers sadiques comme ce type, ici présent, des terroristes impunis toujours sauvés par de honteuses tractations à l’échelle des gouvernements.
Il me désigne le compagnon de détention de Ted of London.
— Vous voyez cet homme, là ? Il s’appelle Kader Houcel. C’est lui qui a dévalisé la Poste Centrale de Chartres, abattant un caissier, et qui a posé un engin explosif dans le Passage des Masturbations, à Paris, causant la mort de cinq personnes dont une adorable fillette de huit ans ! Vos putains de service le connaissaient et auraient pu l’interpeller, comme vous dites dans votre jargon. Seulement, il y avait des intérêts dits « supérieurs » à respecter. Alors on l’a traqué pour la forme et laissé filer. Mais NOUS, commissaire, nous qui avons des couilles au cul avec la manière de nous en servir, nous l’avons retrouvé, embarqué, questionné. Il nous a tout craché sur son entreprise maudite car nous savons faire parler les gens les plus coriaces, NOUS ! Et savez-vous ce que nous avons fait, ma femme et moi ? Il y a dix jours nous avons fait sauter l’état-major de la base d’entraînement terroriste de Tripoli. Et vous voulez voir de quelle manière je le traite, ce fumier ?
Il sort un pistolet de sa ceinture, s’approche du prisonnier, lui colle le canon de son arme dans la bouche et presse la détente. Un calibre pareil, l’autre aussi sec éternue son cervelet avec les ramifications avoisinantes, tu penses !
Le vieux regarde le sang dégouliner de la blessure béante sur les pierres luisantes. Le sang qui va à la mer, comme un ruisseau de plus ! Puis il rengaine son feu.
— A notre époque, c’est ainsi qu’il faut régler les problèmes ! Et pas autrement, vous saisissez ? Vous saisissez, saloperie de flic merdeux ?
L’Antonio s’efforce au calme. Olympien ! Olympique ! Au détachement. Flegme britannique ? Non, flegme français. Ça existe, je l’ai éprouvé. Le vaste détachement ! Lointain, l’Antoine. Drapé ! Dignité humaine passe avant la vie !
— Je suppose que c’est là le sort que vous nous réservez, cher monsieur ? fais-je d’une voix détachée.
Il sourcille.
— Pourquoi ?
— Vous ne sauriez remettre en circulation un flic ayant assisté à cette scène et nourri de toutes vos confidences ; ce serait suicidaire de votre part.
— Vous, vous resterez dans cette prison naturelle jusqu’à la fin de vos jours. Quant à votre putain de nègre, il va payer pour la mort de Ruth !
M. Blanc qui, depuis plusieurs millénaires, n’a pas moufté, déclare :
— Il est fou, ce mec, non ? Non mais tu as vu comme il bute les gens !
Alors, plein de décision, voilà mon Jérémie qui bondit, félin tout plein, contre le dos de la femme matonne. Il lui fait une clé de la main droite et passe son bras gauche autour du cou de la vieille donzelle. La voici immobilisée.
— Hé ! le vieux ! dit M. Blanc, arrêtez votre cirque sinon je fais le coup du lapin à votre morue, moi !
Le bonhomme redégaine, place l’orifice de son arquebuse sur ma nuque.
— Lâche-la immédiatement, négro, ou j’abats le commissaire.
Je crois opportun d’intervenir :
— Écoutez, messieurs, pas de panique, sinon ça va devenir un vrai charnier ici ! Monsieur le Justicier, il y a quelqu’un que vous oubliez : c’est M. Maurier. Ne trouvez-vous pas qu’il est lui aussi devenu un témoin plus que gênant ?
— Pas un témoin, un complice ! rectifie le chef de l’organisation. Maurier, vous vous apprêtiez à liquider ce salaud d’Anglais qui a violé, torturé et assassiné votre femme. Alors, finissez-en ! Nous avons eu assez de mal à le dénicher, puis à l’apprivoiser en lui proposant du travail pour mieux pouvoir pénétrer son intimité. Il nous revient cher, le salaud ! Et il est méfiant ! On s’en est aperçu avec lui ne serait-ce que pour retrouver l’arme de son crime : il a fallu perquisitionner chez lui de fond en comble. Savez-vous où il l’avait dissimulé son pistolet ?
Pendant qu’il jacte, étourdi, grisé par sa propre excitation, il se produit, à son insu, un curieux choseblic. Quelque chose de dur frotte ma cuisse, à la recherche de ma main pendante. Je mets une poignée de seconde à réaliser : c’est Maurier qui, en loucedé, veut me donner l’arme qui lui a été confiée !
Quand je pige ça, comment que j’en chourave la crosse gaufrée ! Du pouce je vérifie que le cran est bien resté ôté. Il l’est. Alors, on embarque immediately. Plus tard risquerait d’être TROP tard. Je remonte ma main droite qui tient le feu jusqu’à mon aisselle gauche. J’enquille le canon sous mon bras. Pivote un tantisoit, imperceptiblement et je tire.
Cri !
Esquive pivotante de l’Antonio émérite. Constat : le « Justicier » a morflé dans l’épaule et a lâché son propre pistolet. Je shoote dedans pour le propulser dans la flotte. Tout va rapidos. L’alguazil de service veut me faire péter la durite. Reusement, son projo gêne son mouvement et je l’assaisonne en premier.
Pan et re-pan !
Alors ?
Alors y a du brouhaha plein le puits d’arrivée.
— Amenez-vous ! enjoins-je au brave Maurier chez qui l’esprit civique l’emporte sur l’esprit de vendetta.
Je ramasse le feu de l’homme au projo, le lui présente.
— Tenez, ça peut servir !
Mais point n’est besoin de cet adjuvant de service, car le brouhaha est causé par l’arrivée du fameux Bérurier, l’homme sans qui la choucroute n’aurait pas sa véritable raison d’être.
— V’s’avez b’soin d’ moi ? demande l’Enorme.
— Non, merci, monsieur le ministre, le ménage est fait.
— Là-haut itou. Y z’ont été quéqu’z’uns а m’ chercher du suif, mais j’ai parvenu а mett’ les pendules à l’heure grâce а un’ mitraillette qu’ j’ai dégauchie dans l’ coffiot d’une d’ leur tire.
Tout ce qui nous reste à maquiller, c’est d’enfermer le couple de « justiciers » dans la crypte en compagnie de Ted of London, et de tous les complices du haut ! N’ensuite de quoi, on retourne au campement sans repasser par les écueils souterrains. Nous reste plus qu’à envoyer le Hollandais s’acheter un Zodiac neuf pendant que nous prendrons congé de ses chères compagnes, le Gravos et moi.
Pour un dégagement, c’est un dégagement, fais-moi confiance.
Je ne sais pas s’il a tapé dans les fonds secrets, Achille, mais je peux te dire qu’il a fait les choses en grand à l’hostellerie de la Reine Pétasse de Bourg-Mémiche.
Nous sommes au moins combien ?
Plus, tu crois ?
Attends, je compte :
Il y a là le Dabe et sa demoiselle Zouzou du moment ; Félicie et moi, œuf corse ; Béru, Berthe et leur bébé (leur concierge étant malade et m’man présente, ils n’avaient personne pour le garder) ; Mathias et son épouse constellée de sparadrap ; Levenin et sa femme (agréable surprise, ce sale peigne a une épouse ravissante à qui je vais tâcher d’expliquer la différence qu’il existe entre une zézette et un zob), et puis il y a également M. Blanc et sa chère Ramadé dans une belle robe rouge à choux-fleurs. Pinaud n’a pu venir, ayant dû conduire sa vieillarde à l’hosto pour des contrôles de sang, de pisse, de salive, et autres sécrétions secondaires.
Читать дальше