Il hoche la tête.
— Et toi, pendant ce temps, tu t’es tiré la Hollandaise, hein ?
— Quelle idée ?
— Voilà sa pince à cheveux, sans parler de son vieux qui renaudait comme un follingue. Ce que vous êtes gorets, Seigneur, tous les deux ! Mais y a donc que votre putain de biroute qui compte ?
— Y a ça en feurste, admet Bérurier, ensuite y a nos couilles, mon pote. Et comme tu me les casses, je vais te cirer la gueule un bon coup pour t’apprendre à viv’.
Fallait que ça arrive, que veux-tu.
Ils me rappellent les garnements qui se cherchent et finissent par se trouver. Je me rappelle avec mon cousin Dédé. Quand nos parents passaient le véquende ensemble. Le samedi matin, ça boumait fort, les deux, tant on était contents de se retrouver. On jouait à des trucs, on se montrait notre bite. Comme j’avais la plus grosse, il commençait à faire la gueule, Dédé. Ça le défrisait son gnocchi bigornard avec plein de peau au bout qu’en finissait pas, comparé à mon bath joufflu épanoui, pimpant de partout et casqué fallait voir, style armée suisse. Ça le plongeait dans des maussaderies, des aigreurs, des jalousies torves. Il commençait par me chipoter sur les résultats scolaires, l’apôtre, ses dictées se révélant hautement plus performantes que les miennes ! On s’engageait doucettement sur la pente des perfidies. La bougrerie nous emparait. Les méchanceries suivaient. Y avait des turbulences dans nos rapports. Il me faisait chier avec son quart de faute en dictée, alors que je me payais des dix douze fautes à la demi-page ! Les accords participeux, tu peux me dire ce que j’en avais à foutre, l’aminche ? N’empêche que, tout compte fait, je préférais déballer un beau paf opérationnel. Je pressentais qu’il me serait plus utile que l’orthographe, un jour, sans d’ailleurs trop comprendre pourquoi. Avec un dico et une grammaire, tu t’en sors vaille que vaille, mais un bistougnet fripé, ça, c’est irrémédiable. Alors le ton montait. Sentant accourir les orages, nos ancêtres nous prévenaient que « jeux de mains, jeux de vilains » et que ça allait mal tourner. On renfrognait. On passait outre. Et puis la première mandale partait au débotté, en cours de phrase : vlan ! On se mettait à pugilater mochement, tronche et ongles, coups de genou, roulades, prises sauvages. Le combat des chefs, ça oui ! L’empoignade féroce. On voyait pourpre, on était asphyxiés par les haïssures.
Eh bien, le Gros et M. Blanc, c’est kif mon cousin Dédé et ma pomme, jadis. Leur tagonisme se consume depuis trop longtemps sans que mon autorité parvienne à éteindre la mèche. A force de ramper, de filocher son cordon bickford, la flamme arrive aux bâtons de dynamite et — merci M. Nobel —, tout saute.
Tu peux croire qu’ils s’en mettent une sévère dans les pénombres, mes loustics. C’est Jérémie qui place une série de une-deux à la face du Gros, celui-ci ayant donné le signal en le traitant de fils de pute négresse, dûment enculée par les singes de la forêt vierge, et, de surcroît ou par conséquence directe, vérolée jusqu’aux paupières. Outre le punch, il possède un brin de technique, mon bronzé. Ses coups parviennent à destination et font mal. Déconcerté, Sa Majesté Bérurière titube, trébuche. Le râtelier qu’il a eu tant de mal à dépoildecuter voltige dans la bruyère en fleur pour s’y refaire une santé.
Le nez pissant le sang, le groin éclaté, Alexandre-Benoît glapatouille :
— Non mais, qu’est-ce y croit, c’ macaque ! Qu’est-ce y croit, bordel ! Non mais y croive qu’y m’ fait mal, ce chien-pansé ! Y croive p’têt’ m’ fout k.-o ! Non mais, y’ savez qu’y m’ fait pleurer les fesses, c’ t’ouistiti !
N’empêche que ça s’abat sur lui comme l’orage sur une pagode. C’est dru, nourri, violent ! La mousson à son paroxysme, je te cache pas.
Et ça dure. Et puis Bérurier-Popeye songe qu’il est temps d’enflouer ses spinaches. Le voilà qui pousse son barrissement sinistre d’éléphant venant de se faire coincer la trompe dans une portière de camion. Comme chaque fois, il charge. Chez lui, la tronche ne sert pas à penser, mais à bouter. M. Blanc, qui ne s’attendait pas à cette fougue de bulldozer dopé, découille l’occiput monumental du Mastar dans le burlingue. « Respiration interrompue, stop ! Prière envoyer oxygène, stop ! Bons baisers aux enfants, stop. Lettre suit. »
Irrésistible, l’emboutissage du Gros. Jérémie est balayé et part les quatre fers en arrière. Béru lui ajuste un coup de saton sous le maxillaire. On entend craquer. Aveuglé par la rage et la souffrance, Jérémie se relève. Mon pachyderme lui place aussitôt un crochet au foie, puis un nouveau coup de boule en plein portrait. Il a dû sauter pour réussir l’impact, le Noir étant plus grand que lui. Le combat cesse par le k.-o de M. Blanc.
Alexandre-Benoît se tourne vers moi, tuméfié et haletant :
— Non, qu’est-ce y croivait, ce niaquouet, hmmm ? Antoine, j’aim’rais qu’ tu m’ le disas. Y s’ figurait quoi t’est-ce ?
Puis, calmé par sa victoire, il se penche sur le vaincu.
— Allez, tope là, Noirpiot ! J’espère qu’ j’ t’ai pas fait mal. Ça, c’t’était juste un’ p’tite facécie d’ copains. Un jour, j’aurai p’t’ ête l’occase de t’ montrer c’ que c’est qu’une vraie trivaste ; mais sur un’ aut’, qu’autrement sinon, tu risqu’rais d’ m’en garder rancune !
Très tôt, le lendemain, je me rends à Galway, pendant que les deux puncheurs se remettent du combat de géants qu’ils se sont livré cette nuit. Quelques emplettes à faire. Ça ne me prend pas plus d’une plombe aller-retour.
Rentré sur nos terres, je vais rendre visite à mes voisins bataves. Ils petit déjeunent dans un silence crispé. Le mulot-blafard-à-petites-moustaches fait de la délectation morose en remâchant les coups de rapière que ces dames s’ sont offerts la nuit passée.
Sa rombière et sa mother qui montent à la tringle en même temps, pendant qu’il roupille, non, décidément, ça lui reste sur l’estomac et il déguste mal ses saucisses frites.
Je distribue des saluts et des sourires à la ronde, faisant l’innocent, ce qui est dans ma nature profonde. T’as des mecs qu’ont jamais rien chiqué de mal et qui traînent une mentalité de coupable, et d’autres qui ont eux des maux avec leurs semblables et se sentent néanmoins blancs comme Blanche-Neige. Note que j’ai toutes les raisons du monde d’avoir bonne conscience, me semble-t-il ; j’espère que mon Créateur partagera ce point de vue au jugement dernier.
— Cher voisin, dis-je, verriez-vous un inconvénient de force majeure à ce que j’emprunte votre bateau pneumatique ? Je m’occupe de géologie et je voudrais pouvoir étudier la roche primaire de la falaise d’un peu plus près. Or, il n’est possible d’y accéder que par la mer.
— Je regrette, nous devons aller à la pêche, rebuffe ce vilain.
— Mais non, pas ce matin ! intervient sa blonde (qui devient la mienne quand il dort). Vous pouvez le prendre.
La voilà qui se met à néerlander après son rat blanc, comme quoi ceci, cela, je ne pige que le sens général, mais elle le déguise en carpette, le cocu. Lui fait honte de sa grincherie, sa mauvaise voisinerie. Qu’est-ce que la France va penser des Pays-Bas, elle lui demande à ce pauvre con ! Un zob de sous-préfet japonais, merde ! Et ça viendrait refuser son barlu à un chibreur de ma classe ?
Bon, il fait amende honorable. Me dit que le barlu, voui, voui, tant que je veux, surtout pas la peine de me presser. Surtout, que je prenne la nourrice d’essence pour alimenter le petit moteur de 5 CV qui le propulse.
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