— C’est épouvantable ! murmure le blessé.
— Oui, j’avoue n’avoir pas rencontré de meurtrier aussi sadique depuis belle lurette. Pour terminer, Geneviève Coras a eu des doutes. L’attitude de son amant, la brusque aisance de celui-ci, tout cela l’a troublée. Lorsque Désacusaix lui a dit que votre exécution était pour aujourd’hui, le remords a été le plus fort, elle a voulu vous sauver coûte que coûte et elle est venue me trouver.
« J’ai mordu à l’hameçon. Seulement, lorsque mes premières investigations m’ont conduit à Neauphle, elle a eu peur. Elle s’est dit que j’allais découvrir le cadavre là-bas, et la compromettre elle sans vous sauver, alors elle a perdu la tête. Au petit matin, elle est allée chercher sa voiture qui contenait un revolver. Son plan : obtenir les aveux de Désacusaix et l’abattre. Elle l’a trouvé à son domicile. L’avocat l’a calmée, lui a dit que votre exécution avait été ajournée et qu’elle devait se cacher. Auparavant, il était de bonne politique de m’écrire un mot pour essayer de m’amadouer. Il lui a dicté une brève lettre qui pouvait passer pour un message de désespérée sur le point d’en finir. Pour partir en voyage, il faut des effets.
« Comme elle ne pouvait pas retourner à son domicile parisien, qu’il savait surveillé, il l’a décidée à aller faire une valise à Montfort. Une fois là-bas il lui a logé une balle dans la tête et a mis la lettre d’adieu en vue. Seulement cet idiot n’a pas pensé qu’elle avait été écrite dans son bureau à lui, avec son propre stylo, sur du papier dont nous avons retrouvé un bloc dans l’un de ses tiroirs.
« Auparavant, il était venu prendre de vos nouvelles ici. En tant que votre avocat, il en avait le droit. Vous étiez sous l’effet des anesthésiques. Il vous a ouvert les veines du poignet.
« Ainsi, ayant supprimé les deux seuls témoins gênants, il était à l’abri définitivement. Il n’avait oublié qu’une chose : le commissaire San-Antonio ! »
Je m’arrête, essoufflé, la gorge sèche. Vraiment au bout du rouleau.
Le blessé ne dit rien. Il assimile tout ce que je viens de lui déballer. Le médecin paraît.
— C’est assez pour aujourd’hui, commissaire.
— J’arrive, docteur.
Je me lève, mais avant de sortir je chuchote à l’oreille de Messonier.
— Pour la première fois de ma carrière et pour le plus grand bien de celle-ci, je vais faire une entorse à la vérité. À Neauphle, c’est Geneviève Coras qui a tiré. L’homme était un maître chanteur. Elle m’a fait des aveux avant de m’assommer, vous pigez ? Dites comme moi. J’estime que vous avez assez payé comme ça. Et puis vous devez bien comprendre que, vis-à-vis de mes supérieurs, mon rodéo de la prison était destiné à sauver un innocent, pas un coupable ! Vu ?
Il bat des cils.
— Merci, San-Antonio.
— De rien, fais-je, tout le plaisir a été pour moi !
J’arrive chez nous en marmelade. Je tremble sur mes cannes et je titube. Cris de ma brave Félicie !
— Antoine ! Mon grand ! Je me mourais d’anxiété ! Sans nouvelles de toi depuis hier matin, Grand Dieu, que t’est-il arrivé ?
— Rien, dis-je, une enquête urgente.
— Tu n’es pas malade ?
— Non, je n’ai que sommeil. Écoute. M’man, tu vas mettre le téléphone aux abonnés absents. Et si on sonne, tu ne réponds pas. Je ne suis là que pour toi. Tu entends, M’man : que pour toi, et encore à condition que tu aies un motif valable !
Tel que je me connais, je vais en écraser pendant quinze plombes.
Écoutez-moi bien, bande de navetons, le premier qui me réveille, je lui fais bouffer ma chemise sans sel !
FIN