— Non.
— Ça prouve que c’est pas Messonier qui a fait le coup. Si ç’avait été lui, du moment qu’il habitait cette crèche, y avait pas d’importance à ce qu’il commande du charbon. Seulement quelqu’un d’autre inconnu au pays pouvait pas se permettre cette fantaisie sans se faire remarquer… Alors le quelqu’un a amené un ou deux sacs de cinquante kilos, en douce…
— Quelle idée ! Un coup de fil aurait suffi si le quelqu’un dont tu parles ne voulait pas se montrer.
— Et pour réceptionner le bougnat ? Et pour le payer ?
Je ferme les yeux. Il tourne autour de quelque chose d’intéressant, mon gros Béru. On a dû lui injecter de l’extrait de cervelle à plein bol.
— Et je vais te dire, d’après moi, la raison principale de ces précautions. Tout ça a eu lieu après l’arrestation de Messonier. J’ai dénoyauté mes cousins Mathieu ce matin, avant que t’arrives. Paraîtrait que deux nuits après le crime de Messonier, ils auraient entendu une voiture s’arrêter à côté. Ils ont pensé que c’était la police qui venait enquêter.
Je fais claquer mes doigts.
— Que ne le disais-tu plus tôt, essence d’imbécillité !
— Je t’en prie !
Je ne l’écoute pas. D’un bond je quitte ma banquette, de deux autres je me propulse à l’escalier du sous-sol et de trois derniers j’atterris sous le nez chaussé par les Frères Lissac d’une Madame Pipi aimable qui lit un journal en couleurs naturelles avant de le découper en rectangles de treize centimètres sur dix-huit.
— L’annuaire des téléphones, please !
Elle me prend pour un Anglais parlant très bien le français ou pour un Français parlant très peu l’anglais, et, à tout hasard, me désigne un fort volume empli de personnages. Je le feuillette d’un index rompu à tous les sports. Et je trouve le nom que je cherche en moins de temps qu’il n’en faut à un lecteur averti pour sauter l’article de fond du Figaro.
Je note l’adresse. Je ris très fort : mais alors très très fort parce qu’il est bigrement agréable de constater que la nature vous débloque un nouveau contingent de matière grise.
La vioque prépare un jeton.
Dans son usine à déchets, c’est pas les jetons qui lui manquent.
— Non, sans façon ! lui réponds-je en repoussant le disque de métal d’un geste dédaigneux.
Me revoilà en compagnie de mes gars.
— Arrivez ! ordonné-je. On va à la châtaigne. Il faut les cueillir quand elles sont mûres…
— D’accord, mais paie la tournée ! déclare Béru.
Il ajoute :
— C’est pas que je soye radin, mais je pars du principe qu’en service commandé j’ai pas à carmer mes faux frais.
C’est une vieille bonne qui vient m’ouvrir. Petite, rondouillarde, et l’air pas commode. Le genre de fille revêche qu’on engage un matin en se disant qu’avec cette tronche-là on ne la supportera pas plus de quarante-huit heures, mais qui finit par élever vos petits-enfants !
— Vous avez un rendez-vous ?
— Non, mais…
— Alors c’est impossible. D’ailleurs Monsieur revient de voyage et…
— Ç’a été un voyage éclair, souris-je, car nous étions ensemble il n’y a pas tellement longtemps.
Je lui montre qui je suis. Elle ne s’étonne pas outre mesure. Simplement son obstruction fléchit.
— Je vais voir.
Elle va voir.
Deux minutes plus tard, maître Alban Désacusaix s’annonce, souriant, le battoir tendu.
— Quelle surprise ! Vous, cher commissaire !
On se serre la louche cordialement.
— Je ne vous dérange pas, maître ? Votre Intelligence-Service m’apprend que vous rentrez de voyage ?
Il hausse les épaules.
— Elle grossit tout. Je suis seulement allé à Montmorency où je possède une propriété. Les jardiniers sont terribles. Ils m’envoient des factures comme s’ils avaient le parc de Versailles à entretenir et quand j’arrive chez moi, ça n’est pas du gazon que je trouve mais du foin. Quoi de nouveau depuis cette nuit mémorable ?
— Mme Coras a disparu !
— Hein !
— Tel que, mon bon maître.
— En fuite ?
— Non : décédée !
Il ouvre des gobilles grandes comme l’entrée du tunnel de Saint-Cloud.
C’est façon de parler, car il attend que je parle au contraire.
— On est peu de chose, hein ?
— Que lui est-il arrivé ?
— Je l’ignore au juste. Tout ce que je sais, c’est qu’elle a été assassinée.
— Grand Dieu ! Quelle affaire !
— À qui le dites-vous !
— Vous êtes certain de ce que vous avancez ?
— Oui.
— On a retrouvé son corps ?
— Pas encore, mais je sais où il est.
— Ah oui ?
— Oui. Il se trouve du côté de Montmorency, vraisemblablement dans la propriété d’un avocat.
Le mecton tourne au jaune caca-d’oie.
— Votre plaisanterie, commissaire, est plutôt…
Je le coupe net.
— Ah non ! Épargnez-moi la tirade sur les plaisanteries et évitez de nier, ça ira plus vite. Vous connaissez trop bien votre métier pour vous mettre à ergoter quand vous êtes confondu.
— Mais enfin !
— Geneviève Coras est venue vous trouver ce matin. Elle était armée. Elle a commencé par vous dire qu’elle était dans le pétrin et vous a demandé de l’en sortir. Elle s’est faite menaçante. Vous l’avez calmée et, pour éviter le scandale ici, vous l’avez emmenée. Ne niez pas, j’ai interviewé votre concierge, elle a vu entrer Mme Coras à une heure ultra-matinale et vous a vu ressortir en sa compagnie…
Désacusaix hausse les épaules.
— Effectivement, elle est venue me demander conseil, mais…
— Mais ?
— Mais je ne l’ai pas tuée, Grand Dieu ! Mon travail consiste à défendre les gens, pas à les supprimer…
— Je trouve que vous les tuez mieux que vous ne les défendez, mon vieux !
— Je vous interdis !
— Oh ! Oh ! Écrasez. Vous allez me suivre gentiment, on va continuer cette conversation dans mon bureau ; il y a plus d’ambiance !
— Je proteste contre cette arrestation ! Vous avez décidément décidé de stopper votre carrière, San-Antonio. Je peux vous annoncer que ça ira mal pour vous ! Pour commencer, je vous informe que je ne vous suivrai pas avant que vous m’ayez présenté un mandat d’amener régulier. Et que…
Je vais ouvrir la porte d’entrée.
— Psst !
Le Gros et Magnin s’annoncent. Ils en avaient classe de moisir sur le palier.
— Embarquez-moi ce monsieur de gré ou de force ! leur dis-je.
— C’est une honte ! glapit l’avocaillon. Je vais de ce pas téléphoner à…
— À mes trucs ! dit le Gros en lui propulsant une mandale qui couche le cher Maître.
Bonne âme, il le relève par sa cravate. La vieille servante dévouée depuis trois générations arrive à la rescousse avec son plumeau. C’est la charge de la brigade sauvage. Elle fait un ramdam qui rendrait sourd M. Armstrong en personne.
Je me tourne vers Désacusaix.
— Dites à votre vieille nourrice de la fermer et de ne pas faire d’histoire, je parle dans votre propre intérêt.
Sent-il qu’il ne gagnera rien à regimber ? Toujours est-il que l’avocat se calme et enjoint à sa déplaceuse de poussière d’en faire autant.
Nous l’emmenons sans mal. Il est pâle, mais semble déterminé. Comme nous prenons place dans ma charrette fantôme, il demande :
— Qu’est-ce qui vous a conduit chez moi ?
Je souris.
— Ceci, fais-je en lui désignant le cabriolet rouge de Geneviève Coras. C’est l’auto de votre victime. Elle était stoppée presque devant votre porte !
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