Il m'écoute attentivement, poussant' parfois des « Gnouff, gnouff » de goret devant son auge pour marquer son intérêt.
— Tu vois, conclus-je. C'est la grosse faillite, me voici dans le cirage. Je me dis que j'aurais dû rester à Courchevel et chercher sur place. Franchement, Gros, j'ai un coup à vide !
Il me dépêche une bourrade affectueuse qui me fait descendre du trottoir.
— T'es toujours commak au début d'une affaire compliquée, et puis après ça se met à carburer, tu le sais bien !
Son œil globuleux est suintant d'une tendresse humide.
— T'as quand même un pion de réserve, me fait-il remarquer.
— Qui ?
— Riri Belloise, pardine ! C'est le lien qui te rattache à la mystérieuse bande, San-A., oublie-le pas !
— Mais je te répète qu'il ignore tout de ces gens !
— Ça reste à prouver ! Et puis en admettant qu'il les connaisse pas, eux le connaissent. Le lien que je te cause est peut-être à sens unique, d'accord, mais il existe !
Je file un regard éperdu à mon pote. D'un seul rétablissement il vient de reprendre sa place dans mon estime. Riri Belloise ! Mais oui, of course !
Je fonce au burlingue et je réclame le « Sapin Bleu » à cor et à cris, et en priorité. Cent deux secondes plus tard, j'ai Riri à l'appareil.
— Ici San-Antonio. Il faut que tu rentres à Pantruche dare-dare, bonhomme. Je donne des instructions pour qu'une chignole te conduise à Genève. Où tu prendras un zinc pour Orly, O. K. ?
— Comme vous voudrez, m'sieur le commissaire.
Puis, timidement :.
— Vous avez des nouvelles de Lydia ?
— Yes, baby. Amène-toi, on en causera !
Je raccroche.
— Et maintenant, fais-je à Béru : au Figaro !
— Tu veux te faire raser ? demande cet étourdi.
— Non, je veux publier une annonce !
— Tu veux vendre ta Jaguar ?
— Non plus. C'est la peau de Belloise que je brade !
Au début de l'après-midi de cette sombre journée, Belloise fait une arrivée discrète à Orly. Je le pique à la sortie de la douane. Il me virgule un sourire appétissant.
— Tiens, c'est gentil d'être venu m'attendre.
Mais ma mine sinistre le fait tiquer.
— Hé, dites donc, m'sieur le commissaire, c'est pas pour m'embastiller au moins ?
— Non, Riri, c'est pour t'apprendre une mauvaise nouvelle ! Tu es veuf !
De saisissement, il laisse tomber son étreint-en-ville sur l'asphalte du parking.
— Vous dites ?
— Que ta môme Lydia a trépassé, fils. Aie un peu de courage.
Il a les ratiches qui applaudissent. Des cernes gris soulignent son regard.
— Morte !
— A ne plus en pouvoir. Tu pourras lui acheter des chrysanthèmes. Console-toi en pensant qu'elle t'avait vraiment joué un mauvais tour. Car c'est elle qui avait changé les balles dans le Beretta.
— Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
— Un chargeur de neuf millimètres dans le dos.
— Quel est l'enfant de salaud qui a fait ça ?
— Point d'interrogation à la ligne ! Mais fais-moi confiance, nous le saurons bientôt !
— Buter une fille comme elle, faut être sadique ou quelque chose dans ce genre, non ?
— Ecoute, Riri, ta bergère était mouillée jusqu'à la moelle dans cette affaire. Il y a longtemps que tu étais avec elle ?
— Non, quinze jours !
— Alors, c'est la bande qui l'avait collée sur ta route.
— Pourquoi qu'ils l'ont effacée, alors, si elle faisait partie de leur équipe ?
Tout en devisant, nous avons rallié ma chignole. Nous prenons place et je roule molo jusqu'à la sortie du parking où le préposé bouclé dans sa guérite de verre ramasse mon ticket.
— Hein, m'sieur le commissaire, insiste Belloise, pourquoi ?
— Parce qu'elle était en conversation avec moi et qu'elle commençait de s'affaler.
Il rugit.
— Dites donc, ce serait pas vous qui.. ?
D'un coup de coude dans le baquet, je le fais taire, sans lâcher mon volant.
— Traite-moi d'assassin,pendant que tu y es ! Ta Blanche-Neige te pigeonnait comme un pauvre lavedu que tu es, et tu es prêt à risquer le gnouf pour défendre sa mémoire ! Tu me fais marrer, hé, Bayard !
Nous nous dégageons et je plonge sous le tunnel.
— Si je suis venu te chercher, ça n'est pas pour te présenter mes condoléances, mais pour te demander ton concours en vue de la Kermesse que j'organise à la paroisse Royco !
Il hoche la tête.
— Qu'est-ce que c'est encore ? Un nouveau rodéo ?
— La ferme, et garde tes fines astuces pour le prochain banquet des malfrats que tu dois sûrement présider. Voilà le topo : les gars de la bande s'imaginent t'avoir enviandé de première. Le petit mot ironique qu'ils t'ont laissé le prouve. Ce qu'il faut, c'est leur faire croire que tu es moins patate qu'ils ne l'imaginent.
— Mais comment ?
— En leur laissant entendre que tu sais des choses sur leur compte.
— Mais je sais rien de rien ! tonne Riri.
— Qu'est ce que ça fout du moment que tu prétends le contraire !
Je biche in my pocket la page d'annonces du « Figaro » ». Quelques lignes sont cernées de rouge, je les lui désigne et il lit laborieusement, comme un môme qui vient tout juste de se farcir l'alphabet :
« Belloise à ses clients de Courchevel. Prière adresser urgence somme convenue. Sans réponse sous 24 heures, traiterai avec qui vous pensez. »
— Qu'est-ce c'est que cette annonce ! s'insurge le chourineur.
— Ouvre bien tes entonnoirs à ondes courtes, Baby. Lorsque nos mystérieux foies-blancs liront cette prose, ils se diront que la miss Lydia t'a peut-être fait des confidences sur l'oreiller. Comme elle est cannée, elle ne pourra pas les rassurer sur ce point ; alors, par mesure de précaution, ils voudront te neutraliser !
Il n'en mène pas plus large qu'un filet de sole dans un sous-main. Du coup il oublie son veuvage, Riri. Sa petite santé vient de passer à l'ordre du jour, et il bredouille :
— Dites, mais je vais avoir droit à une infusion de parabellum, moi aussi !
— Nous serons là, Riri !
Il s'emporte.
— Dites, sur la Loze aussi vous y étiez ! Ça n'a pas sauvé la vie à votre copain ! Et vous étiez aussi au « Sapin Bleu », C'est pas pour ça qu'on n'a pas enlevé Lormont !
Je sais bien qu'il a raison de parler ainsi. Mais dans ces cas-là, si l'on veut sauvegarder la face il faut crier plus fort que l'intéressé.
— Je te dis que notre dispositif sera sans bavure, bon Dieu !
— S'il l'est pas, vous m'enverrez des fleurs !
— A condition qu'on puisse les porter sur notre note de frais ! Tu vas rentrer chez toi, t'y planquer et attendre que les autres se manifestent. N'ouvre à personne d'autre qu'à moi, vu ?
— D'ac.
— S'ils te contactent par bigophone, fais semblant de marcher dans leurs vannes et accepte un rendez-vous.
— Mais…
— Avant de sortir de chez toi tu fermeras les volets. Nous serons dans les parages et nous comprendrons. T'inquiète pas, mon loup, on va veiller sur toi comme si tu étais la reine d'Angleterre en balade à Pigalle.
— Vous finirez par avoir mes os, prophétise sinistrement Riri.
— Ce serait pas un cadeau, va !
Je le largue au coin de sa rue. Et je le suis des yeux jusqu'à ce qu'il soit entré dans son immeuble. Maintenant le dispositif est en place, il ne reste plus qu'à attendre. Ça ressemble à la pêche au vif. Si le brochet a un peu d'appétit, ça risque de rigoler.
Je fais le tour du pâté de houses et je largue ma brouette pour grimper dans la camionnette de blanchisseur à l'intérieur de laquelle le Plantureux est en train de saucissonner, un kil de rouge entre les jambes !
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