« Une gonzesse sensationnelle, vraiment… Elle a des cheveux blonds, comme Grace, et un petit sourire triste et lointain, toujours comme Grace…
« Elle te chuchote des mots doux qui te font chaud au cœur. Elle te dit que tu ne crains rien, que tu peux tout lâcher, que tu es dans un bon lit, que la chambre est chauffée… Elle te tient la main… »
Une main de femme, moi j’aime ça…
« Il ne faut pas avoir peur, San-Antonio, t’es paré… Tu les as eus, et maintenant il faut te soigner ; te laisser soigner…
« Quand on a la chance d’avoir à côté de soi une gentille petite souris, toute blonde, toute rose, avec la peau douce et la voix comme du duvet… Oui, quand on a cette chance-là, on n’a plus besoin de se cramponner à un con de morceau de bois qui vous communique sa frigidité…
« Lâche tout, San-Antonio, te bile pas, mon gars…
« La vie est bonne, la vie est rose… »
Je fais un saut terrible !
Pas d’histoire ! Voilà encore que je déraille… Ça y est, j’ai largué mon bout de mât ! Nom de Dieu ! Je suis fini… Je ne peux plus remuer les bras, je ne peux plus nager… Je coule… Je coule…
— Ne vous agitez pas, me dit une voix…
J’ouvre les yeux : j’aperçois une belle souris blonde et rose, habillée en blanc…
Derrière elle se tient le chef. Parfaitement, le boss. Je suis en pleine agonie, en plein délire…
— Ne vous agitez pas, répète le chef. Vous êtes tiré d’affaire, mon petit…
Quand il m’appelle mon petit, le tondu, c’est qu’il est ému comme une jouvencelle…
— Le mât ! je dis. Laissez-moi attraper ce putain de mât !
— Vous n’en avez plus besoin, San-Antonio, on vous a repêché. Vous êtes dans un lit ! Dans un lit !
Je murmure :
— Dans un lit !
Ça me paraît impossible… Bon Dieu, il n’y a pas une minute, j’étais entortillé après ce bout de bois ! Comment pourrais-je me trouver dans un vrai lit ?
Et puis, le chef, ici ! Vous voyez bien que je délire… Je suffoque, du reste, la flotte me rentre dans la carcasse, je prends l’eau comme un panier à salade…
Un panier à salade ! Un flic transformé en panier à salade ! C’est gondolant, nom de foutre !
Je ris, mais ça me fait mal quand je ris, c’est comme dans la blague !
— Il rit ! dit une voix de femme…
— C’est une de ses caractéristiques, affirme la voix du boss.
Pas d’erreur, je ne suis plus dans le cirage ! Je vis ! Je vis…
— Patron, fais-je…
— Mon petit ?
— La vie est rose, hein ?
— Oui, dit le boss, la vie est rose…
Sur cette certitude, je m’endors…
CHAPITRE XIV
Où il est question de neige en plein été !
L’heure la plus épatante dans cette clinique de Londres, c’est celle qui précède le sommeil du soir.
Car il y a plusieurs sommeils : celui du matin, celui de l’après-midi et celui de la nuit !
Le soir, après le repas, entre la poire et le dodo, je reste une petite demi-heure seul avec mon infirmière. Elle s’appelle Dolly et elle parle le français… Elle est blonde et rose.
Je l’ai paluchée un soir à l’improviste, comme elle était penchée sur moi pour ajuster mes oreillers.
Nos yeux se sont croisés et elle a rougi parce que les miens contenaient un tas de choses qui font rougir les gonzesses bien élevées.
J’ai fait : « Mff » avec ma bouche pour l’inviter à trinquer.
Elle a hésité. Je croyais qu’elle allait m’envoyer ramasser des fraises mais, brusquement, j’ai eu ses lèvres sur les miennes, comme on dit dans les romans pour jeunes filles avancées. Sa bouche avait un goût de fruit mûr… J’ai mordu là-dedans comme dans une pomme. Et ma main est allée en exploration… D’abord, elle s’est cambrée… Elle a failli m’échapper, la petite garce ! Seulement, j’ai attaqué d’après mon dispositif 32 bis amélioré et tout ce qu’elle a pu faire, ç’a été de se jeter sur moi.
Y a des habitudes à prendre. Tous les soirs on remet la gomme ! En variant, bien sûr… Et elle tire le verrou… C’est rigolo tout plein ; les dames qui voudraient des explications complémentaires n’ont qu’à se mettre en rang par deux, je leur expliquerai ça en long et peut-être en large…
— Alors, murmure Dolly, lorsque, ce soir-là, j’ai achevé ma démonstration, vous partez demain ?
— Mais oui, mon ange.
— Vous retournez en France ?
— Pas tout de suite. J’ai un petit travail à terminer…
— Alors nous pourrons nous revoir ?
— C’est ça, et nous revoir dans un endroit peinard où je pourrai te parler de la France, chère âme !
Elle m’embrasse farouchement et sort.
C’est une drôle de pétroleuse. Des gerces comme ça feraient fondre une banquise.
Lorsqu’elle est sortie, je me mets à penser avec méthode. Pas à elle, non ! Les souris ça va sur le moment, seulement faut pas leur consacrer son intellect because on est vite déguisé en vieillard sénile !
Je pense à l’affaire, car elle est loin d’être terminée.
Peut-être, curieux comme vous l’êtes, aimeriez-vous être affranchis sur mes ultimes aventures ? C’est bien simple, un chalutier, alerté par les S.O.S. du yacht, est arrivé sur les lieux du sinistre. Il n’a trouvé qu’un pauvre mec évanoui tenant serré un tronçon de mât… J’étais, paraît-il, tellement mal en point qu’ils m’ont cru mort. Seulement, San-Antonio ne calanche pas comme ça.
Pour être fadé, j’étais fadé. Jugez-en plutôt !
Une congestion pulmonaire ! Une blessure large comme un verre à porto au sommet de l’épaule ! Un état de faiblesse catastrophique ! Ma tension, pour vous dire, était tombée à quatre et on avait peur que le transport me soit fatal… Mais j’ai tenu le coup.
Voyez : auréomycine, transfusions et tout le barnum !
Au bout de huit jours, j’étais tiré d’affaire. Au bout de quinze, je n’avais plus de température et je me levais, au bout de vingt je pouvais quitter la clinique…
L’histoire du yacht a fait un drôle de cri dans la presse. Mais on a mis ça sur le compte d’un accident. L’épave ayant coulé, il ne restait pas traces du massacre. Les matelots rescapés n’ont pas soufflé mot.
Brandon est venu me reconnaître, il a alerté le chef qui, malgré son soi-disant désintéressement de l’affaire, a bondi à mon chevet. À eux deux, ils ont fait le nécessaire pour que mon nom ne soit pas prononcé…
La justice anglaise est tellement pointilleuse ! Mieux valait pour ma tranquillité que le coup s’efface…
J’ai fait à Brandon un résumé impeccable des faits, sans rien omettre. Qu’il se débrouille…
Un coup discret est frappé à la porte.
— Entrez ! dis-je.
La garde de nuit passe sa trogne de mulot par l’entrebâillement.
— It’s a policeman ! dit-elle…
— O.K. !
Brandon entre. Il porte un imperméable de bonne marque, couleur de muraille triste. Il a son chapeau à bords roulés à la main, son parapluie roulé accroché au bras, et sa femme bien roulée aussi doit être at home en train de rouler le pudding familial.
— Tiens ! fais-je, quel bon vent !
Brandon m’adressa un sourire compatissant, courtois, plein de bonne camaraderie. Il jette un coup d’œil professionnel à ma feuille de température dont la ligne journalière est descendante.
— Vous allez bien ! fait-il d’un ton empli d’une réconfortante certitude.
— Le Pont-Neuf ! admets-je…
— Bravo… Votre blessure ?
— Douloureuse, mais en bonne voie et le toubib m’a juré que je ne resterai pas paralysé…
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