Je fais le tour de la cambuse : des clous ! Pas moyen d’introduire le moindre bout de regard à l’intérieur. Notez que j’ai mon petit Sésame sur moi — ouvre-boîte diplômé S.G.D.G. — seulement je me rappelle les paroles du chef : « Pas d’histoires ! Vous êtes en Angleterre et en cas de pépin je ne peux rien pour vous. » Donc je dois gaffer vilain pour tenir mon nez propre. Emmanuel Rolle m’a prouvé que les tours d’à-l’œil ne payaient pas.
Comme j’arrive derrière la cambuse, je découvre un mouchoir. Il est roulé en boule et porte des traces de rouge à lèvres. C’est un mouchoir de gonzesse.
Je le ramasse et l’examine ; il ne porte pas d’initiale. À tout hasard je le colle dans ma profonde.
Le derrière de la maison est constitué par un minuscule potager où en les serrant vachement on arriverait à planter une demi-douzaine de choux.
Je constate que l’on vient de remuer la terre et d’y faire des semis. C’est surprenant, étant donné l’abandon du devant.
Je reste debout devant ce jardinet.
Un haut mur l’entoure. Au fond s’élève un petit appentis. J’y vais. Quelques outils : une bêche, une pioche, un râteau… J’examine la bêche et je constate qu’elle est maculée, au manche, de taches noirâtres qui m’ont bel et bien l’air d’être du sang.
Je l’empoigne et je retourne dans le jardinet, juste à la planche de semis.
Le proprio va faire une drôle de cerise en revenant lorsqu’il découvrira que ses salades romaines ont été retournées. Du coup il le sera aussi.
San-Antonio, vous pouvez le constater, c’est un vrai chien de chasse. Il a le nez tellement creux que, sans forcer, on arriverait à y loger une famille de douze membres avec leurs meubles.
Voilà comme je suis, mes aminches : j’entre, je regarde, je hume et j’éprouve un picotement. Me voilà en train de jouer les chiens ratiers…
Un mec qui me verrait et qui aurait un appareil photo pourrait prendre un cliché pour servir de couverture aux graines Vilmorin.
J’ai un petit côté : « le jardinage chez soi » qui ravirait une vieille fille à marier.
Et je te creuse, et je te retourne la glèbe.
La glèbe !
Vous bilez pas si j’emploie des mots aussi calés, c’est uniquement un exercice de style !
La glèbe britannique ! Sujet de conférence pour les Annales.
Y aurait long à tartiner là-dessus. Et avec une suite, mes enfants ; une suite qui pourrait s’intituler : l’Angleterre, pays des morts étranges…
Aux suprêmes lueurs du jour — un jour tellement malade que ça ne vaut plus la peine d’en parler — je découvre un soulier de femme. Drôles de semis, hein ? Peut-être qu’on plante des godasses dans ce patelin, histoire de récolter des tatanes.
Seulement, lorsque je tombe sur le pied qui va dans la godasse, sur la jambe qui surmonte le pied, sur le corps qui surmonte la jambe et sur la tête qui couronne le tout, je me dis que, cette fois, plus la peine de se chercher des raisons. Le mec qui a planté ce corps dans son jardin n’attend pas qu’il monte en graine. Il a mis les adjas presto et sa carrée est à louer…
Je frotte une allumette et me penche au-dessus de la fosse. La souris défunte devait être jolie avant que les petits asticots s’occupent d’elle. Sans jeu de mot car il serait atroce comme on dit dans les milieux chics, elle a de beaux restes !
Comme l’allumette s’éteint j’entends un bruit de pas sur le gravier. C’est ma petite interprète qui la ramène. Elle me regarde avec surprise, s’avance et se penche au-dessus du trou à son tour.
— C’est Martha Auburtin, n’est-ce pas ?
— Oui, dit-elle…
Elle met la main devant sa bouche et se recule. Elle manque d’entraînement, Grace.
— Comment avez-vous deviné que c’est elle ? demande-t-elle.
Je montre le mouchoir.
— Voici un mouchoir que j’ai ramassé dans le jardin. Un mouchoir de femme. Il n’a aucune initiale, et il n’est pas parfumé… Un mouchoir de femme non coquette…
Elle approuve du bonnet et, pour la première fois depuis que je l’ai vue, quelque chose qui ressemble à de l’admiration se manifeste sur sa physionomie.
— Il faut appeler la police, dit-elle.
— O.K., fais-je, mais, s’il vous plaît, pas celle du bled. Je n’ai pas de temps à perdre avec des types qui m’interrogeront alors que j’ai, moi, tant de gens à questionner. C’est le Yard que je vais alerter, avec votre concours, du reste, puisque, décidément, je vous mobilise…
Je reporte les outils au fond du jardin, dans le minuscule appentis. J’y découvre un rouleau de carton goudronné et je l’amène près de la sépulture afin de la recouvrir.
Comme je commence ce turf, j’aperçois la main droite de la morte serrée contre sa poitrine. Elle paraît tenir quelque chose contre son sein. Je lui ouvre les doigts, ce qui est un sale travail car il me semble que je manœuvre une statue de marbre. Du marbre, non ! Plutôt du bois. Ça craque sinistrement, mais je parviens à lui arracher sa proie : il s’agit d’un bouton… Un simple bouton en corozo qui faisait partie de son tailleur et qu’elle a arraché je ne sais pourquoi, dans quel but ou par quel réflexe ?…
Je mets cet innocent bouton dans la poche de mon gilet.
— Bon, on peut se tailler maintenant, dis-je… Allons dans un pub pour téléphoner à Londres…
Grace marche tête basse.
— Elle a été assassinée ? demande-t-elle.
— J’ai tout lieu de le croire bien que je n’aie vu aucune plaie… Mais comme on n’a pas l’habitude de mettre dans son jardin les gens morts naturellement…
Il fait nuit noire et le brouillard a repris possession de cette partie de l’univers. Nous marchons côte à côte, abîmés en nos pensées…
Elle est à la hauteur, Grace. Dans un cas comme celui-ci, une autre souris aurait fait un méchant chabanais, se serait trouvée mal et aurait appelé à la garde !
— Ça vous fait une sale impression, non ? je demande brusquement.
Elle répond, d’un ton morne.
— C’est très pénible, en effet…
— Vous n’aviez jamais vu de morts ?
— Non…
— Mes compliments, vous avez bien tenu le coup…
« Au fait, vous avez obtenu des renseignements sur le locataire de la maison ?
— Oui…
— Je vous écoute…
— Il s’agit d’un certain Higgins. Il a loué le pavillon voici trois ou quatre mois. Il est voyageur de commerce et ne l’occupait presque jamais.
— Comment est-il, Higgins ?
— Taille moyenne. Il a les cheveux grisonnants.
— Il recevait des visites ?
— Martha quelquefois, et un jeune homme blond… J’ai compris à la description qu’on m’a faite qu’il s’agissait de Martha…
— Où travaille-t-il ?
— Les voisins l’ignorent. Il ne parlait à personne… Il venait, il restait un jour ou deux, puis repartait pour une semaine…
Il se déplaçait comment ?
— En voiture. Une Hillmann décapotable rouge vif…
— Bravo, je murmure, vous avez des dons certains, mon petit…
Elle a une petite moue de modestie.
Trois marches : nous poussons la porte d’un pub. Dans ce pays, il y a toujours des marches à monter ou à descendre pour accéder quelque part.
Nous nous installons au bar.
— Que buvez-vous ? je m’informe poliment.
— Comme vous, dit-elle.
— Moi ce sera du whisky…
— Moi aussi…
— Moi c’est un double.
— Alors deux doubles…
— Votre petit cœur est à l’envers ?
— Il y a de ça, oui…
Le barman nous présente deux verres dans lesquels il a laissé juste assez de place pour un cube de glace. Nous buvons avec délectation… Une musique douce joue en sourdine un petit air qui ne vient pas d’Amérique mais bel et bien de France… Ça me fait presque autant de bien que l’alcool…
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