Alors, mon Santonio joli, mets à profit.
Je jette le journal sur la moquette, le piétine pour l’éteindre.
Et j’ai ensuite mes deux mains sur les accoudoirs du fauteuil, mon nez à pas un centimètre de çuila à Steve. Et tu peux pas te figurer la voix qui me vient pour lui questionner ceci :
— Où as-tu mis les deux armes nucléaires, fleur de mes chères deux ? Je viens de l’autre monde pour te le demander.
Drôlement sépulcrale, mon intonation. Les voix d’outre-tombe, tiens donc ! Celle du fantôme de service, pas çui qu’a une jambe de bois, l’autre, le grand qui a une montre !
Il en revient pas de me regarder, le Steve.
Encore moins de me voir. Il se demande si, p’t-être, il serait pas mortibus lui, et ne ferait pas ma rencontre dans l’au-delà. Ce sont des combines qu’arrivent. Tu crois roupiller, et tu te réveilles mort en plein, entouré de beaux esprits ailés.
Seulement la douleur consécutive à ses ripatons carbonisés le ramène aux évidences terrestres. Il me défrime toujours avec autant de stupeur, certes, mais en comprenant que c’est moi qui suis ressuscité.
— Hé, dis, l’ami : les deux flingues, please !
Il se tait.
Moi, pas contrariant, je biche ce qui reste de baveux et l’allume. C’est un journal imprimé en italien, tu parles comme ça s’enflamme bien ! Les mots latins de racine, tu remarqueras, ils sont plus combustibles que les autres. Je te prends un canard scandinave, par exemple : t’es obligé de l’arroser d’essence pour pouvoir lui foutre le feu. Mais un baveux rital ou espago, voire françouze, rien que de le laisser au soleil, ou bien qu’une radasse ayant le feu au cul s’en torchonne le fignedé et il crame. C’est le miracle d’une langue extrêmement vivante puisque née d’une langue morte.
Je lui rejoue « Les chauffeurs de la Drôme », à César. Cette fois-ci c’est pas pour le réveiller mais pour le rendre loquace. Alors il gueule. La plupart des gens que tu veux faire mettre à table gueulent au lieu de parler, comme s’ils faisaient des vocalises préalables.
Moi, je lui pose plus de question. Je le brûle imperturbablement. Ça fouette le roussi à en dégobiller sa rate et son gésier. Quand il en aura classe de combustionner, il s’affalera. A moins que ce ne soit un héros. Pourtant j’en doute : les z’héros ne se recrutent pas particulièrement chez les malfrats.
Mon baveux y passe.
— Attends, dis-je à Steve, je suis à court de combustible, faut que j’aille chercher un autre canard.
Alors il plonge, ce bon gaillard. M’annonce qu’il est inutile que je me dérange et que les deux pistolets nucléaires se trouvent en bas, dans le tabernacle de l’ancienne chapelle, ce qui est très symptomatique de la foi chevillée au tempérament latin, non ?
— Merci du tuyau, vieux. Je voudrais également que tu me dises ce que vous avez fait du corps de mon ami.
Là, il ne se fait pas prier : la chapelle également. Tu juges l’à quel point mon cœur me cigogne tandis que je dévale l’escadrin ?
* * *
Oui, les deux flingues sont dans le tabernacle ; par contre, Alexandre-Benoît Bérurier est absent. Steve m’a-t-il menti, ou bien le comte Fornicato a-t-il fait déménager le cadavre à son insu, le jugeant, à juste titre (et à double) trop encombrant ?
Je me recueille, la gorge serrée, l’œil détrempé, dans cet ancien sanctuaire. Ah, mon Béru… Mon cher gros Béru de toujours. Comme déjà tu me manques ! Combien ton absence va amputer ma vie d’un bien précieux. Comme elle va être morose désormais, vide et grise, et silencieuse, sans ton gros rire plus gras qu’une patte à vaisselle de restaurant populaire.
Je m’apprête à remonter. Il s’agit de secourir mes blessés à présent. Et voilà qu’une idée subitus me bloque, comme quand tu glisses un bâton entre les rayons d’une roue de brouette (ou de vélo, ou encore de moto, enfin de tout ce que tu voudras, moi, qu’est-ce que tu veux que ça me foute, hmmm ?).
Cette idée, c’est une tentation.
Elle me prend en considérant le coffiot posé sur le dallage défoncé, pareil à un pachyderme géométrique, mort et partiellement décomposé.
Je me dis :
« L’un des deux revolvers est chargé, belle occasion d’ouvrir cette vilaine boîte à malice. »
Seulement voilà qu’une deuxième pensée tarabuste la première : mon copain Johnny compte ramener aux States l’arme en état de fonctionnement. Pour lui, c’est primordial. Y a son avenir à la C.I.A. qu’est concerné. Je lui dois bien ça, Perruchieri. Mince, et plus encore ! Oh ! la la ! quand je pense à l’endroit d’où il m’a arraché, ce vaillant !
Je balance.
Pas longtemps. On fait un métier difficile. Qui t’oblige, le plus souvent, à laisser ta conscience au vestiaire. Je me dis : « Si Perruchieri se trouvait à ta place, en ce moment, au lieu de grimacer de souffrance deux étages plus haut, que ferait-il ? »
La réponse est nette, carrée, immédiate.
Il ferait comme moi.
Voilà pourquoi je m’agenouille devant le coffre. J’examine le magasin des deux armes. Je constate un minuscule voyant dans un des angles des chargeurs d’énergie. L’un est bleu, l’autre rouge. Je décide que c’est le rouge qui est chargé. Cette couleur n’est-elle pas celle du danger ?
Bon, par quel bout vais-je entreprendre cette grosse boîte de sardines ? S’agit pas d’anéantir son contenu. Je dois la décapsuler proprement. Je décide de balayer le sommet du coffre, de manière à juste chplaouffer son dessus.
Très bien. Je me mets en position. Enfonce la détente. La chaleur intense que j’avais ressentie à l’hôtel se répète, preuve que j’ai bien choisi la bonne arme. Et le haut du coffiot s’anéantit, plus vite que si on le gommait sur un dessin au crayon. Tu parles d’une chouette découverte. Les services que c’est amené à rendre, un truc pareil, quand il sera vulgarisé, standardisé, en vente libre au Bazar de l’Hôtel de Ville, rayon quincaillerie.
Il est proprement scalpé, le formidable, l’inexpugnable coffre-fort (extra-fort). Aussi nettement qu’une boîte de petits pois qu’on a toujours besoin chez soi pour les improvisteurs.
C’est un moment impressionnant, tu sais, que je vis là. Ce coffre bouclardé depuis tant d’années ? Qui survoltait la curiosité et la convoitise. Ce coffre que Fornicato et son pote le barbu désespéraient de venir à bout [4] T’en fais pas, c’est par défoulade.
est à ma dispose à présent. Béant. Offert.
Je pose le revolver vide et m’approche.
Une épouvantable odeur émane de l’intérieur de l’énorme boîte d’acier. La lumière acerbe d’une grosse ampoule suspendue juste au-dessus de l’ouverture m’en révèle le contenu.
Pas de papiers, de documents, titres, bijoux, fric ou autre.
Simplement un cadavre.
CHAPITRE MILLE
DANS LEQUEL JE VIENS DE TROUVER UN CADAVRE
Parfaitement : un cadavre !
CHAPITRE CINQ
DANS LEQUEL…
Un cadavre vraiment bizarre, tu sais. Pas exactement squelette, non : parcheminé, momifié, voilà, j’cherchais le mot : momifié. Si tu veux, c’est un compromis (à qui ?) entre le gus tel qu’il était de son vivant et sa squelettude.
Y a la peau devenue cuir, des paupières collées au fond des orbites, plus de lèvres, des cheveux par plaques, etc.
Moi, j’aime pas beaucoup « etc. » en littérature. Trop minable comme procédé. Si j’en use ici, c’est uniquement par décence ; te faire comprendre que je pourrais pousser la description un peu beaucoup plus davantage, mais que, par respect t’humain j’y renonce. Alors, à titre exceptionnel, je dépose furtivement en ces pages un « etc. » foutriqueux mais non négligeable puisqu’il m’aide à escamoter des minabilismes.
Читать дальше