Thilliez, Franck - L'anneau de moebius
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— Qui est l’assassin ? demanda Vic.
Siriel porta la gélule entre ses dents et la croqua dans une grimace. Vic voulut se lever. Nouvelle détonation, à cinquante centimètres, cette fois.
— Il paraît que ce genre de poison donne la mort en quelques minutes, sans provoquer aucune souffrance. Nous allons voir… Celui que vous recherchez n’est pas le monstre. Les monstres, ce sont ceux qui regardent, qui tournent la tête vers les accidentés de la route, qui s’abreuvent du malheur des autres. Le monstre, c’est la société. Et la société doit payer.
Le feu rampait déjà le long des parois et embrasait les livres. Vic regroupa ses genoux contre son torse. Il n’y avait rien à tenter. Siriel avait tout préparé, dès que Vic avait sonné à l’interphone.
— Quand va-t-il tuer à nouveau ? demanda le flic.
— Bientôt… Très bientôt. La machine vengeresse est en marche. J’ai pu voir sa prochaine victime. Et je me régalerai de sa souffrance, dans l’autre monde.
Il sortit un DVD de sa poche et le regarda en souriant.
— Tout se trouvait là-dedans, murmura le vieil homme. Un simple DVD, qui n’attendait que vous et contenait l’ensemble des réponses à vos interrogations.
Il le lança dans la cheminée.
— Le voilà qui s’envole en fumée, devant votre impuissance. Avez-vous déjà réussi à mettre en image un fantasme ? Cette… substance insaisissable que tout l’argent du monde ne peut vous apporter ? Moi, j’y suis parvenu… Je me suis offert le film de… de mon fantasme. Et mon exécuteur, celui de sa souffrance. Voilà pourquoi… nous nous sentons si proches, lui et moi.
Siriel se plia en deux. Un filet de bile coulait de sa bouche, il se frotta avec son mouchoir.
— Pas si… indolore que ça… Bon sang…
— Dites-moi de qui il s’agit ! s’écria le lieutenant en se décalant vers la droite, poussé par les flammes qui se rapprochaient dangereusement.
— Vous… Vous m’avez dit qu’il chauffait les corps… Bravo pour votre déduction… N’avez-vous pas retrouvé de l’eau, à proximité ?
— Si ! Des petites flaques, sur le sol. D’où ? D’où proviennent-elles ?
Siriel plissa les yeux. Les flammes s’élevaient à présent devant la porte du hall. Une épaisse fumée noire roulait sous le plafond.
— Il faut toujours être… attentif aux détails. Il ne chauffe pas les corps pour retarder je ne sais quoi. Le croyez-vous aussi stupide ? Sortez de… de votre science policière, et étudiez un peu plus ce que la nature nous a offert…
— Nos sens ?
— Voyez même au-delà de… de nos cinq sens, cherchez plus loin… Par quoi comble-t-on le manque ? Si vous étiez un bon enquêteur, vous auriez essayé de… de ressentir ce que votre tueur a ressenti… devant ces corps brûlants. Alors, vous auriez compris. Vous auriez fait jouer les opposés, vous vous seriez sublimé.
— Dites-m’en plus ! Parlez ! Parlez encore ! Qui est-il ?
Siriel se cabra dans une violente contraction, avant de chuter sur le sol, les yeux dans le néant. Vic se jeta sur lui et le secoua.
— Parlez, bon sang !
Mais le vieillard était mort.
Le flic se releva et jeta un œil vers la cheminée. Le DVD était calciné et tordu sous l’effet de la chaleur. Autour, tout brûlait, les livres, les documents, les meubles. Rien, plus rien à sauver. Il fonça à travers le rideau de feu qui s’étendait devant lui et l’empêchait de sortir. Le tissu de sa veste s’embrasa. Il hurla et l’ôta en continuant sa course dans la galerie de tableaux. Enfin, il parvint à l’extérieur.
L’air frais. La forêt. La vie.
Vic eut soudain très froid. Sa veste, dans les flammes. Et, surtout, le carnet de Stéphane. Parti en fumée…
Il se dirigea vers le portail, haletant. Siriel avait sacrifié son existence, ses collections, pour qu’aucun secret ne s’échappe de sa maison. Il avait emporté l’horreur de ses actes avec lui.
Mais avant de mourir, il avait pris soin de transmettre sa haine. Un tueur qui officiait à sa place, et qui ne s’arrêterait certainement jamais.
Soudain, au milieu de la propriété, Vic releva le front. Un craquement, derrière lui. Il se retourna. En face, les troncs noirs perçaient les ténèbres. Le vent soufflait dans les feuilles. De son canon, le policier balaya l’espace. Il se décida à marcher rapidement en direction de sa voiture.
Quand, d’un coup, ses narines se mirent à palpiter.
L’odeur. L’odeur de cadavre.
Il se cachait quelque part.
Vic braqua dans le vide, à gauche, à droite, devant, derrière. Ses jugulaires battaient à tout rompre.
Un rapide bruissement de feuilles. Sans réfléchir, Vic ouvrit le feu trois fois d’affilée. La vibration du Sig lui foudroya l’épaule. Et alors, un autre feu se propagea : celui de la douleur. Vic se plia en deux, la main sur l’avant-bras, les mâchoires prêtes à exploser. C’était comme si, d’un coup, son sang s’était transformé en un flot d’aiguilles. Son arme tomba sur le sol. Plus rien n’existait, hormis le brasier intérieur.
Quand celui-ci se dissipa enfin, Vic tremblait dans la terre, recroquevillé comme un chien.
Au-dessus de lui, la lune disparut, comme soudain éclipsée. Pourtant, aucun nuage ne perturbait la voûte céleste.
L’odeur de putréfaction s’intensifia instantanément.
Le tapis végétal crissa, à sa gauche. Juste contre son oreille. Puis quelque chose de froid se posa sur sa tempe.
DERNIER RÊVE : CIMETIÈRE
52. LUNDI 7 MAI, 21 H18
Il pleuvait. Le genre de pluie glaciale qui tombe drue, inonde la terre et fait se courber les fleurs. Stéphane était tourné vers l’entrée du cimetière de Lamorlaye. Il fixait la longue procession noire de costumes, de chapeaux et de parapluies qui s’engouffraient dans les véhicules avant de disparaître pour rejoindre la ville.
Stéphane se tenait là, immobile, les bras le long du corps, les poings serrés, tandis que le froid venait lui mordre les joues, les cheveux, la nuque.
— Tu vois, tout ceci n’a servi à rien, dit-il. Strictement à rien. Si seulement j’avais pu être plus clair, plus… Mais comment l’être avec toutes ces horreurs dans ma tête ? Avec tout ce qui s’est passé ? Comment rester sain d’esprit ?
Vic Marchal, costume noir, chemise blanche et cravate foncée, vint se positionner devant lui et l’abrita avec son large parapluie.
— Tu as fait le maximum. Tout est tellement… illogique. En quoi faut-il croire ?
Le regard perdu, il porta une cigarette à ses lèvres et l’alluma calmement. Les gouttes tambourinaient sur la toile, au-dessus de leurs têtes.
— On va le coincer, Stéphane. Je te garantis qu’on va choper ce salopard. On est tout prêt désormais.
— Ça ne changera rien. Elle est morte. Il l’a assassinée et rien ne la ramènera.
Stéphane caressa longuement son visage humide, en soupirant douloureusement.
— Le pire c’est que j’ai déjà fait ce rêve… Mon tout dernier cauchemar où je nous voyais là, tous les deux, devant la tombe, sous cette même averse, ces mêmes parapluies, ces mêmes personnes. Avec les mêmes fleurs qui ornaient la même tombe, la même couleur de marbre, les mêmes vases. Comment peut on savoir les choses si précisément et ne pas empêcher qu’elles arrivent ?
— Parce qu’il te manquait des éléments les plus importants. On ne peut reconstituer le puzzle sans en posséder toutes les pièces.
Lentement Stéphane se retourna vers la sépulture, recouverte de fleurs et de plaques. Il se baissa et ramassa les bouquets posés au sol, qu’il essaya de regrouper délicatement. Puis, avec peine, il caressa du dos de la main l’inscription gravée dans le marbre.
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