Thilliez, Franck - L'anneau de moebius

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« Sylvie Kismet – 1974-2007 ».

— Dans le rêve, j’ai vu cet épitaphe. Je savais qu’elle allait mourir.

Il s’effondra à genoux.

— Pourquoi ? Pourquoi je n’ai pas réussi à te sauver ? Mon amour !

Et il pleura, pleura à s’étrangler, alors que la pluie tombait encore plus fort.

53 Mardi 8 mai, 07 H 22

Stéphane se réveilla en sursaut. Il se rua hors de Darkland et fonça à l’étage.

— Sylvie ! Sylvie ! Oh non !

Le lit vide. 7 H 24, déjà. Pourquoi se réveillait-il que maintenant ? Les somnifères, pour l’aider à s’endormir plus rapidement… Bon dieu !

On était mardi. Demain dans la nuit, il courrait dans cette même maison avec les mains en sang. Il s’agissait du sang de Sylvie, il en avait la certitude à présent.

La peur au ventre, il se précipita vers une fenêtre. Dehors, plus d’Audi grise. Il se jeta sur son téléphone portable, composa le numéro de sa femme et tomba sur le répondeur. Paniqué, il laissa un message :

— Tu es en danger, tu dois aller à la police tout de suite !

Il s’empara de vêtments propres. Jean et tee-shirt enfilés en un éclair. Il ne prit même pas le temps de se laver, ni de se coiffer. Ses cheveux tombaient pêle-mêle sur ses épaules, sa barbe poussait salement. Dans la cuisine, il broya trois somnifères, qu’il dilua dans une bouteille d’eau.

La Ford démarra en trombe.

Jamais de toute sa vie il ne roula si vite en pleine ville. Il doublait à tout va, se rabattait de justesse, provoquant des coups de klaxons et des appels de phares. Puis arriva le bouchon, sur la Francilienne. Impossible d’avancer. Stéphane téléphona encore et encore. Nouveaux messages sur le répondeur. Dans les autres voitures, ses voisins de galère le fixaient bizarrement, les yeux ronds.

— Quoi ? hurla-t-il. On me prend pour un taré ? On va me prendre toute ma vie pour un taré ? Mais je suis taré, complètement taré !

Enfin le périphérique. 8 h 43. Puis Paris intra-muros. La capitale déroula ses longues avenues, ses boulevards, ses rues. L’agence immobilière. Stéphane se gara sur le trottoir, juste devant l’entrée, et se précipita à l’intérieur du bâtiment.

— Sylvie ! Je veux voir Sylvie Kismet ! Je suis son mari et je veux la voir tout de suite !

L’hôtesse le considéra avec méfiance, avant de saisir son téléphone et de composer un numéro interne.

— Pas de réponse, finit-elle par dire en raccrochant. Si vous voulez bien patienter…

Haletant, Stéphane retourna dehors, devant l’entrée. D’ordinaire, Sylvie arrivait gare du Nord, prenait le métro, avant de terminer à pied jusqu’à l’agence. Un retard, un simple retard. Il se mit à aller et venir nerveusement. Il n’y avait rien de mieux à faire que d’attendre.

Après d’interminables minutes, il l’aperçut enfin, au bout de la rue, impeccable dans son tailleur beige. Il courut dans sa direction.

— Sylvie ! Oh !

La jeune femme lui adressa un regard étonné, qui très vite se teinta de crainte.

— Laisse-moi ! ordonna-t-elle en continuant à marcher. Rentre à la maison ! Une grosse journée m’attend, ce n’est pas le moment !

Stéphane lui emboîta le pas.

— Tu es en danger. Le… Le tueur va s’en prendre à toi.

— Ben voyons.

— Tu dois me croire !

— Je te crois. Tout ce que tu voudras. Rentre chez nous.

Arrivé au niveau de la Ford, Stéphane lui attrapa le poignet.

— Tu dois venir avec moi ! Il faut fuir loin d’ici ! Il faut…

Sylvie ne se laissa pas faire. Ses joues s’empourprèrent.

— Fiche-moi la paix ou je fais un scandale !

Stéphane n’hésita pas une seconde. Il observa autour d’eux, puis la tira jusqu’à la voiture et la poussa à l’intérieur. Cette fois, Sylvie hurlait pour de bon.

— Mais qu’est-ce que tu fais ? Arrête ! Arrête !

Stéphane parvint à fermer et verrouiller la portière passager. Dehors, des badauds s’arrêtaient, incrédules. Sylvie se débattit, elle griffa Stéphane au visage. Trois marques bien distinctes sur sa joue. Puis elle tira de toutes ses forces sur la poignée pour tenter de sortir, et finit par l’arracher. Dans un réflexe malheureux, Stéphane la gifla.

— Oh ! Excuse-moi ! Je ne voulais pas.

Il démarra, fonça jusqu’au bout de la rue et s’arrêta. Là, il plaqua sa femme contre le dossier de son siège, l’air menaçant, et écrasa la bouteille d’eau avec les somnifères sur ses lèvres.

— Bois ! Bois ça !

Sylvie pleurait.

— Je… Je t’en prie… Non…

— Bois !

Elle s’exécuta et le fixa, les yeux pleins de terreur.

— Ne me fais pas de mal…

— Jamais ! Jamais je ne te ferai du mal ! Je sais que tu me prends pour un fou, mais je fais tout ceci pour te protéger. Quelques jours… Juste quelques jours, puis tout redeviendra normal, comme avant.

— Rien n’a jamais été normal. Laisse-moi Stéphane, je t’en prie. J’ai peur.

Stéphane se regarda dans le petit miroir du pare-soleil. Les griffures, sur son visage. Puis la poignée arrachée, au sol. Comme dans l’un de ses rêves.

— Comment c’est possible ?

Sylvie ressentit une profonde tristesse de voir son mari dans un tel état. La déchéance mentale avait été si foudroyante.

— Où… murmura-t-elle. Où m’emmènes-tu ?

— Pas là-bas. Certainement pas là-bas.

La voiture s’extirpa du dédale parisien, puis suivit le panneau « Lyon » avant de s’engager sur l’A6. Sylvie luttait pour rester éveillée. Stéphane la vit s’endormir. Une si jolie femme. Il la protégerait. Et personne ne pourrait l’en empêcher. Rien ne se produirait. Cette fois, il prendrait le dessus.

Mais, brusquement, il ralentit, avec l’envie douloureuse de faire demi-tour. S’il fuyait loin de Paris, comment surveiller Mélinda ? Comment la protéger, elle aussi ? Ses doigts se crispèrent. La petite ou sa femme.

Son choix était fait. La décision la plus terrible de toute sa vie. Abandonner Mélinda, sa chevelure bouclée, sa dent en moins.

— Je suis tellement désolé, ma petite. Pardonne-moi. Oh, pardonne-moi…

Quelques heures plus tard, il s’arrêta sur une aire d’autoroute. Il engloutit une demi-bouteille d’eau puis en profita pour ôter la batterie de son portable. Il chercha celui de Sylvie dans les poches de son tailleur. Introuvable, tout comme son sac à main, certainement perdu dans la lutte devant l’agence. Ses papiers, son argent… Tant pis, il y avait bien plus urgent.

Il reprit la route. Après encore trois heures de conduite apparurent les premiers reliefs.

Pas ceux des Vosges, là où le destin l’attendait probablement de pied ferme…

Mais ceux de l’Ardèche.

54. MARDI 8 MAI, 09 H 45

À l’hôpital, Vic se reposait dans un fauteuil aux côtés de son épouse depuis environ une demi-heure. Avant de venir la retrouver, il était passé faire des radiographies de la tête dans un cabinet privé. Elles n’avaient révélé aucun traumatisme. Il avait expliqué s’être cogné violemment en chutant dans les escaliers de leur immeuble.

La vérité s’avérait bien pire. L’assassin lui avait donné un grand coup de crosse à l’arriére du crâne et Vic était resté inconscient sur le sol quelques minutes, avant de pouvoir péniblement rejoindre sa voiture, tandis que la maison de Siriel partait en fumée.

Depuis, une question le taraudait. Pourquoi le meurtrier l’avait-il juste assommé, pourquoi ne l’avait-il pas éliminé ? Probablement l’avait-il épargné parce qu’il se sentait au-dessus de tout et que Vic ne faisait pas partie de son plan.

Lui, Vic Marchal, lieutenant de police à la première division, fils de l’un des flics les plus réputés du pays, risquait bien pire que l’interdiction d’exercer. À cause de lui, Noël Siriel, un personnage-clé de l’affaire, s’était suicidé. Et cela pouvait lui valoir de sérieux ennuis.

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