— Le retour des Bourbons fut imposé à la France, poursuit le méritant San-Antonio, l'homme qui remplace le beurre, Michelet, Octave Aubry et les maris en voyage. Or, tu ne l'ignores pas, chez nous, on n'aime guère les gars imposés.
— Parce que nous sommes assez imposés nous-mêmes s'empresse de calembourer le Béru bourru.
— Au demeurant, m'acharné-je à continuer, ce roi, c'était pas un mauvais bougre. Il avait mené une vie triste en exil. Il était souffrant et radinait entre deux cannes dans une France qui avait rudement changé. Mais il fut mal conseillé. Tous les nobles qui rentraient at home et qui trouvaient les fermiers pieutés dans leur plumard à baldaquin l'avaient mauvaise et entendaient récupérer leurs biens. Le gros Louis ne pouvait pas se permettre le luxe d'être trop libéral. Alors il y a eu ce qu'on a appelé la Terreur Blanche.
— C't'un film d'Alfred Gonocock, ce machin-là !
— Ç'a été beaucoup plus terrible qu'un film d'Hitchcock, gars. Les règlements de comptes ont ensanglanté encore la pauvre France épuisée. Le Maréchal Ney, accusé de haute trahison pour avoir aidé l'Empereur au lieu de le stopper à son retour de l'île d'Elbe, a été passé par les armes.
— Ce serait maintenant il s'en tirerait, assure Bérurier, délicat sociologue lorsqu'il veut s'en donner la peine.
Puis, tapotant d'un doigt impertinent la figure de Louis XVIII :
— A propos de c't'enflé, plus rien à dire, on peut tourner la page ?
— Attends, signalons qu'il accorda aux Français la Charte, ou constitution, faisant de sa monarchie une monarchie constitutionnelle.
— Pas de salades, j'suis pas technicien, tranche le Mahousse.
Sa physionomie s'éclaire.
— Et bien entendu, M'sieur Bibendum avait lui aussi les pruneaux en chômage, comme son frangin Louis XVI ?
— Pas du tout. Il se comportait très honorablement au pucier.
— Pas possible ! Avec une brioche pareille, pour gâter bobonne y faisait le grand tour, non ?
— Il devait avoir sa technique, je suppose. Sa maîtresse attitrée, Madame du Cayla, le menait par le bout du nez.
— Valait mieux qu'elle l'attrapasse par ce bout-là, y avait sûrement plus de prise qu'ailleurs !
— Au sujet de cette dame, laisse-moi te rapporter une anecdote savoureuse…
— Dis-la toujours, je jugerai, engage mon camarade, non sans prudence.
— Elle se prénommait Zoé, Madame du Cayla. Un jour, un ministre entra dans le cabinet de travail du roi alors que Louis XVIII attendait sa maîtresse. « C'est toi, ma petite Zoé », demanda le souverain. Il fut fort gêné en découvrant sa méprise. Le ministre (je crois que c'était Decazes) raconta sa mésaventure au Palais et on le surnomma Robinson.
— Quelle idée !
— Parce qu'il avait été cru Zoé !
— Et alors ?
Décourageant, l'Hénorme. Je sais que l'à-peu-près en question ne mérite pas la Légion d'Honneur à son auteur, mais quand même…
— Robinson, insisté-je, parce qu'on l'avait cru Zoé ! Robinson Crusoé, tu y es ?
— J'osais pas comprendre, méprise mon ami. C'est vachement faiblard. On sent qu'ils usaient pas encore San-Antonio à c't'époque !
Je remercie d'une courbette.
— Une dernière chose à propos de Louis XVIII : il est mort en 1824.
Bérurier a la plus inattendue des réponses, la plus sans réplique des répliques.
— C'était son droit, dit-il simplement.
Et nous passons à Charles X par la seule magie d'un feuillet tourné.
— Voilà, je te présente sa Majesté Charles X !
— Bel homme, apprécie Bérurier, en bavant sur le portrait équestre, tu es sûr que c'était le frelot de l'autre ?
— Mais oui. Ça te choque ?
— Un peu, mon neveu. Louis XVIII avait la silhouette barrique et une bouille de veau trop cuit, tandis que ce M'sieur, oh pardon : quelle prestance ! Quelle élégance ! La tête un peu trop allongée, p't'être, comme son cheval ! Vise-moi ces jarrets élancés, ces oreilles dressées, ces naseaux frémissants et cette longue queue panachée !
— Mais de qui parles-tu ? fais-je interloqué.
— Du cheval, nature ! Le peintre l'a peut-être rebecqueté sir Pégaço, note bien, mais c'est du bel animal ; fais confiance que les enfants de ce bourrin-là ne charrient pas des tombereaux de fumier. Ils sont à Antoine ou dans le potager de M. Boussac !
Satisfait, le Mahousse nous sert une nouvelle tournée de chianti.
— C'eût z'été un bon roi, ce Charles Quint, que je n'en fus point z'autrement z'étonné, décide-t-il.
— Charles X, hé ! Mauviette !
— Mande pardon, avec tous ces numéros on s'y perd. Tu vois, San-A., j'aurais été dans la monarchie, je me serais jamais laissé renier un numéro comme à un bourrin de course. Quand tu mates la liste des engagés, comme on le fait en ce moment, tout ça ressemble un peu au Tour de France. Je les imagine, les monarques, avec des maillots de couleurs, des petites gapettes et de la musette ravitaillement dans le dos. T'as envie de dire : « Vas-y, Henri IV, tu les as ! » Ou bien : « Baisse la tête, Louis XVI, t'auras l'air d'un coureur ! » Ou encore : « Change de développement, François I er, y sont pas loin ! » Avoue que ça serait de la fresque éloquente, tous ces souverains rangés sur la ligne de départ. Louis XIV en tête avec ses tifs jusqu'au pédalier et son maillot jaune de roi soleil, hein ? Et Henri III, reine de la pédale déjà de son temps ! Avec Napoléon, roi de la montagne ! Le Fausto Coppi de l'Histoire, nettement détaché dans les étapes alpestres !
Il s'anime, mon Gros Béru, s'essouffle, boit pour éteindre le feu ardent de l'exaltation. Et il reprend :
— Ça serait facile à apprendre aux mômes, l'histoire, dans ces conditions. T'aurais les suiveurs : le duc de Guise avec ses boyaux dans les mains, et le pape Pie VII fourbissant la couronne impériale pendant la course ! Sans compter la caravane publicitaire avec les Croisés, les Sournois et tout le titoum ! L'imagination, ça la leur marquerait et les gosses se feraient plus tartir sur des bouquins constipés.
— Faudra soumettre le projet à qui de droit, conseillé-je.
Il s'évente le muffle.
— Mais je suis là que je cause, que je cause, dis voir un peu Charles X !
— Avant tout, un petit fait divers pour nous mettre en verve. Il avait deux garçons : le duc d'Angoulême et le duc de Berry. Le premier avait épousé Marie-Thérèse de France, la fille de Louis XVI, c'est-à-dire sa cousine germaine et il ne pouvait pas avoir d'enfant.
Barrissement du Dodu. Il ne se tient plus de joie.
— Et en v'là encore un qu'avait un bouquet de muguet dans l'écrin à bijoux ! Ah ! C'te famille royale mon pote, tu parles d'un défilé de mollusques ! La baïonnette en pâte-à-chou, ils avaient !
Je continue en haussant le ton pour le faire taire :
— Le deuxième, le duc de Berry était donc le dernier Bourbon susceptible de perpétuer la race puisque Louis XVIII n'avait pas d'enfant, tu suis le guide ?
— Vas-y, vas-y, j'ai les trompes épanouies.
— En 1820, un ouvrier sellier nommé Louvel a assassiné le duc de Berry devant l'Opéra. Il voulait éteindre la race des Bourbons. Mais son projet échoua.
— Biscotte ? Le duc n'est pas mort ?
— Si, Gros, il a expiré au foyer de l'Opéra, en présence de la famille royale au grand complet, ce qui est mourir en beauté, convenons-en. Seulement, à quelque temps de là, la duchesse de Berry accoucha d'un fils posthume : le duc de Bordeaux, qu'on surnomma l'enfant du miracle…
— Et qui, étant duc de Bordeaux, ressemblait à son père comme deux gouttes d'eau ! chantonne l'Incorrigible. En effet, c'était pas de chance pour le pauvre assassin.
— Le règne de Charles X n'a duré que six ans. C'était un monarchiste de la vieille école. Il appliquait les méthodes d'avant 89, et ne se rappelait déjà plus qu'il y avait eu la Révolution ! Il a promulgué des lois à la mords-moi-le-blazon, comme par exemple la loi sur le sacrilège (celui qui profanait l'hostie était passible de la peine de mort) et la loi sur la presse (défense de dire du mal de son gouvernement).
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