— Concini, poursuis-je, s'appelait le Maréchal d'Ancre.
— C't'un surbiazo qui conviendrait plutôt à Lazareff, note mon ami au passage. Pourquoi qu'il avait choisi ce nom ? Il faisait dans la presse, lui aussi ?
— Il s'agissait du nom des terres picardes qu'il avait acquises avec le blé remis par Marie de Médicis.
— Il devait drôlement la réussir, la veuve Henri IV, j'ai idée, pour qu'elle se laisse aller à lui cloquer le Trésor Public, à ce petit futé ! Le Tourbillon florentin, selon moi, n'avait pas de secret pour lui.
— C'est bien mon avis. Mais tout ça il allait le payer, espère un peu. Gros, L'Histoire, par moment, c'est moral comme les Contes de Perrault. Concini jouai ! les gros bras au Louvre sans prendre garde au petit Louis XIII qui grandissait en douce. Il lui faisait savater les miches et donner le fouet à tout berzingue, le prenant pour un locdu. Cupide mais insouciant : c'est latin, quoi !
— Tu disais donc que le môme Louis XIII grandissait, coupe Bérurier.
— Oui. On l'avait marié de bonne heure avec la petite Anne d'Autriche, histoire de mettre fin aux guerres avec l'Espagne.
— Je vois pas le rapport, s'étonne B.B.
— Anne d'Autriche était la fille du roi d'Espagne. Vous vous souvenez, dear Berthe, combien ce pays était puissant alors. Ses possessions s'étendaient à travers toute l'Europe et cernaient la France, ce qui nous gênait pour respirer. Une fois de plus, on essayait de résoudre des difficultés politiques en mariant deux gosses. Mais c'était reculer pour mieux sauter, si j'ose me permettre cette image à propos d'épousailles.
— Tu t'égares, fait sinistrement observer le Mastodonte. L'Espagne, en s'en tamponne le plexus, vu qu'on sait maintenant ce qu'elle est devenue. Si y aurait pas le Real de Madrid on n'en causerait plus qu'à l'époque des vacances. Parle-nous de Louis XIII et laisse filer le bouchon avec les Espagos.
Je virgule un coup d'œil à ma Félicie. Elle baigne dans son jus, M'man. C'est de l'attraction inédite, les gars ! Vous pouvez tripoter les boutons de votre poste de téloche et chatouiller le canal de la deuxième chaîne, jamais vous ne capterez du pareil sur les ondes hertziennes. M. Margaritis l'engagerait dare-dare, mon Béru, pour son super gala de fin d'année, s'il le voyait. Et tous les autres aussi : Maïs-Thé-Céleri de Sa Noix en tête !
— Louis XIII, donc, laisse pousser ses petites ailes en remâchant sa rancœur. Et puis, un beau jour de 1617, n'en pouvant plus, il organise avec son ami de Luynes l'assassinat de Concini. Ce dernier se présente au Louvre un matin, comme tous les matins, avec les dégourdis de sa suite. Un seigneur le cramponne par le bras : « Au nom du roi, je vous arrête » qu'il lui dit. « Moi ? » que répond le maréchal d'Ancre, mais en italien. Il ne s'est pas plutôt exclamé que les pistolets se mettent à défourailler. Concini meurt. Ses suivants deviennent des fuyants et les seigneurs de la cour se répandent dans les couloirs en criant : Vive le Roi ! Car effectivement, Louis XIII, fort de son coup d'éclat, se met à régner vraiment.
« En apprenant l'assassinat de son Jules, la Régente se dit que ça risque de chauffer pour ses plumes.
« Vous avez eu l'occasion de constater à quel point, jadis, les liens du sang importaient peu. Des mères qui empoisonnaient leurs enfants, des enfants qui trucidaient leurs parents ou leurs frangins, on en rencontre à chaque chapitre. C'est pourquoi Marie, oubliant les belles séances de « J'te veux, tu m'as » passées en compagnie de Concini clame que le roi a bien fait, ramasse son embrasse-en-ville et file à Blois.
« Pendant qu'elle accomplit cet acte de bravoure, la nouvelle se répand dans Pantruche. Oh ! cette joie, mes amis ! Le peuple de Paris qui ne pouvait encadrer ni la reine mère ni son gigolpince, se met à danser d'allégresse. On n'en croit pas ses oreilles. On veut en croire ses yeux ! Alors on court au cimetière où les restes de Concini viennent d'être inhumés. On les déterre ! Pas d'erreur ! C'est bien lui ! Joies ! délices mais pas d'orgues ! On traîne le cadavre dans la rue ! On le souille ! On le larde ! On le découpe ! On le mange ! Parfaitement, vous avez bien entendu ! il s'est trouvé des exaltés pour se faire cuire le cœur de Concini et pour le dévorer devant la foule en délire. »
— Le cœur ? dit B.B. avec une moue. Pourquoi pas un morceau plus riche !
— Si vous pensez à celui que je pense, Noble Dame, c'était trop tard car on les lui avait déjà coupées !
Maman est toute pâlotte !
— C'est effrayant la populace en colère, dit-elle.
Béru hoche la tête.
— Notez, fait-il, que le Concini serait été mort de tuberculose, évidemment c'aurait pas été ragoûtant. Mais du moment qu'on l'avait abattu en pleine santé, ma foi…
Je considère l'Enflure avec effroi.
— Tu aurais été capable de manger le cœur de Concini, Béru ?
— Pourquoi pas ? dit-il. Y a bien eu des gars qui l'ont fait. Faut se reporter à l'époque, Gars, et tenir compte de la rogne des gens. Fais un tour d'horizon dans ta conscience couleur d'hermine et dis-moi un peu si par moment tu boufferais pas la rate du ministre des finances quand tu reçois ta feuille rose !
Évidemment, vu sous cet angle, l'argument se défend. L'anthropophagie, c'est le point culminant de la haine, c'est son bouquet final. Sa noblesse, peut-être, après tout ? Quand on déteste trop quelqu'un, au point qu'aucun supplice terrestre n'est plus apte à étancher cette haine, le manger doit constituer l'ultime recours.
Béru pousse plus loin encore sa plaidoirie en faveur des gastronomes qui consommèrent le cœur de Concino Concini.
— Y a une chose qu'il faut aussi considérer, San-A, c'est qu'ils l'ont fait cuire. Je trouve ça assez élégant, somme toute.
— On avait affaire à des gourmets, admet Berthy. Notez que personnellement, à part les tripes, j'aime pas les abats…
— C'est Louis XIII qui aurait dû le becter, son Consigné.
— Concini, rectifie ma Félicie.
Béru lui vote une courbette, laquelle déguise son bide dénudé en accordéon.
— Merci, voilà déjà que j'estropiais son blaze. Bon continue. Concini est clamsé et la reine mère à Blois, ensuite qu'est-ce qui se passe ?
— De Luynes, le grand copain du roi, gouverne. Il le fait tant bien que mal, car c'est un batailleur, pas un diplomate.
— Et le roi, pendant ce temps, il vend des moules ?
— Presque ! C'est un gars bizarre, ce Louis XIII. Il a de l'allure, il est intelligent, sensible. Il s'efforce d'établir son autorité, mais il souffre d'un complexe terrible : il est impuissant.
Nous enregistrons dans l'auditoire un double cri de commisération. Ce sont les Bérurier qui s'apitoient.
— C'est rarissime, hein ! fait le Gravos. Vu que jusqu'alors il y avait plutôt carambolage au palais ! Lorsque tu songes aux prouesses de François I er, d'Henri IV et console, t'as peine à croire que Louis XIII avait le slip en berne !
— Quand je vous disais que le 13 porte malheur ! explose Berthy. Et un roi, vous pensez si ça la fout mal !
— Exactement ce que pensait la pauvre Anne d'Autriche ! assuré-je. Voilà une jouvencelle qui franchit les Pyrénées pour faire dodo avec le roi de France. Connaissant la réputation de ses aïeux, elle escomptait des délices rarissimes, la petite chérie. Toutes ses copines, avant le départ, lui disaient qu'elle avait de la chance et qu'elle allait avoir les doigts de pied en bouquet de violettes. On le savait que le Louvre c'était une préfiguration du One Two Two de la rue de Provence, et qu'on y passait des nuits vibrantes. Ces rois de France, c'étaient les plus grands démolisseurs de sommiers de la création. Leur véritable sceptre se trouvait où vous devinez. Le rêve de toutes les princesses in the World, c'était de venir en goûter un peu, de la vie française. Or, la gentille Anne d'Autriche se pointe. A l'arrivée, ça carburait : jolie bouille, le jeune roi. Belle prestance. La hanche fine, la jambe longue, la moustache déjà Louis XIII et l'élégance prometteuse. Et puis, la nuit arrive et qu'est-ce qui se passe ? Sa Majesté rentre dans sa chambre et se met au plumard toute seule ! il faut que la mère Médicis (qui est italienne, donc qui aime l'amour) vienne tirer son chiare par les nougats pour l'expédier chez Annette. Et lui, il y va, l'oreille basse. Le reste aussi. Y a rien de plus déprimant pour un monsieur dont la virilité appartient à la famille des mollusques que de se farcir une nuit de noces. Surtout quand toute la France regarde, attend, retient son souffle. Il voudrait être ailleurs, le monsieur en question. Bien loin, dans ses pantoufles à ligoter son France-Soir, le grand orgasme du soir !
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