Mes « élèves » méditent un moment, puis Béru soupire :
— Ils ont peut-être bien géré la France, les duettistes Louis XIII-Richelieu, mais ça ne devait pas être marrant. Un roi qui a une bulle de savon dans le kangourou et un cardinal, tu parles d'une fiesta sans musique, mon neveu !
— Te goure pas, Gros. Richelieu, malgré la pourpre cardinalice, en donnait pas sa part aux chiens pour ce qui est du dodo-à-ressorts.
Incrédule, qu'il est, soudain, le Mahousse. Ça meurtrit ses idées préconçues, cette pensée d'un cardinal courant le guilledou. Un moine, il veut bien, c'est de tradition ça fait paillard, chanson de carabins et tout. Mais de la part d'une éminence, il trouve que c'est choquant. Je lui explique que la noblesse d'église en ce temps-là était sans rapport avec celle d'aujourd'hui. Et, pour pousser sa réprobation aux ultimes limites, j'ajoute :
— Je peux même te dire qu'il s'était mis en ménage avec sa nièce, notre Richelieu. Si on compare sa vie sexuelle à celle du roi, on s'aperçoit que les deux hommes étaient complètement différents. Le roi séduisant repoussait les assauts des dames et Richelieu qui aimait les bergères se faisait envoyer chez Plumeau la plupart du temps.
— Et pourtant, rêvasse B.B., un cardinal, ça doit être diablement excitant !
Le Gros s'emporte contre la salacité de sa conjointe. Qu'elle le cocufie, c'est une chose, mais pas avec le clergé, nom de Dieu ! Il pourrait pas admettre.
— Physiquement, demande B.B. rêveuse, à quoi ressemblait-il, le cardinal ?
— Tenez, dis-je en lui tendant mille francs anciens, je vous offre son portrait. C'est une édition numérotée qui vaut dix nouveaux francs, ne la perdez pas !
Elle regarde la gravure avec ses bons yeux gros de vache bretonne sollicitant le taureau.
— C'est curieux, fait-elle, j'avais jamais eu l'idée de regarder.
— Ça vous donne une preuve supplémentaire de l'importance de Richelieu. Ça n'est pas le portrait de Louis XIII qui figure sur les billets trois cents ans plus tard, mais celui de son ministre.
— Il devait être bel homme, admire Berthy.
— Avec son col Claudine et son béret, y ressemble au petit chaperon rouge, ton marchand de burettes ! Et puis aussi à la Ninon, tu trouves que ça fait sérieux ? Tu rencontrerais Monseigneur Felting coiffé commak que tu écrirais au pape pour protester ou que tu te ferais musulwoman.
Mais Berthy demeure farouchement sur ses positions : Armand du Plessis, duc de Richelieu, lui a tapé dans l'œil, et désormais il est clair que les billets de dix balles auront pour elle une signification particulière. Elle ne les considérera plus jamais comme de la vulgaire monnaie.
— En conclusion, dis-je, Louis XIII fut un bon roi parce qu'il laissa gouverner la France par Richelieu. Et Richelieu fut un grand ministre parce qu'il sut où étaient les intérêts de la France et qu'il les servit corps et âme. Signalons que cet homme clairvoyant sut toujours bien s'entourer. Lorsqu'il était jeune, il eut comme confident et conseiller le père Joseph, un religieux plein d'astuces ; puis, quand il fut vieux, il prit au contraire à ses côtés un jeune gars tout ce qu'il y a de futé et dont nous parlerons longuement plus tard : Jules Mazarin. Quand il mourut, en 1642, bouffé par les ulcères, il désigna le petit Mazarin au roi pour lui succéder. Louis XIII ne devait survivre que quelques mois à son ministre. Il était tubard et lâcha la rampe après une interminable agonie en mai 1643. Cette agonie lui permit de mettre ses affaires en ordre avant de prendre congé. Il commença par faire baptiser le Dauphin alors âgé de cinq ans en lui donnant Mazarin pour parrain, ce qui était une façon éclatante de renforcer la position de celui-ci. Puis il organisa la future Régence en homme pondéré qu'il était. En somme, il tenait à sauver les meubles.
— Et c'est peut-être pourquoi on trouve tellement de Louis XIII chez les antiquaires aujourd'hui, conclut pertinemment Béru.
Lecture :
Exclusif : Un document inédit d'Alexandre du Mât
LES SURPRENANTES RÉVÉLATIONS DU MOUSQUETAIRE BÉRUGNAN…
Par une froide matinée du mois de décembre 1637, Anne d'Autriche se tenait embusquée dans l'embrasure d'une fenêtre du Louvre.
Une neige molle coulait sans bruit le long des vitres. Elle fondait instantanément au contact du sol, pour se transformer en une boue visqueuse dans laquelle glissaient les sabots des chevaux. Le ciel était d'un noir d'encre. Anne, qui s'ennuyait prodigieusement dans ce palais glacial, laissa retomber le rideau pour s'approcher de la vaste cheminée où un feu de bûches pétillait. Il était insuffisant pour chauffer la vaste pièce et surtout le cœur de la reine qui songeait à son Espagne natale toute baignée d'un soleil glorieux. Les années de vie à la cour de France avaient fini pas altérer son moral. Cela faisait plus de vingt ans qu'elle s'étiolait, sans joies véritables et surtout sans enfants, entre un mari impuissant, triste comme un bonnet de nuit, et un cardinal aux pensées tortueuses qui ne lui pardonnait pas d'avoir jadis repoussé ses avances.
Une de ses dames d'honneur s'avança vers elle.
— Madame, dit-elle, il y a là un mousquetaire qui insiste pour vous parler.
— Que me veut-il ? demanda Anne d'Autriche, surprise.
— Il n'a pas voulu le dire, Madame. Il prétend que c'est secret.
La reine fronça les sourcils. S'agissait-il encore d'un piège de Son Éminence ? Pourtant, un mousquetaire ne pouvait être la créature du Cardinal, car l'antagonisme entre les gardes de Richelieu et les mousquetaires du roi continuait de couver et il se produisait fréquemment des étincelles. Anne se dit que, par contre, le machiavélique ministre était fort capable de lui dépêcher un faux mousquetaire afin de tromper sa confiance et d'endormir sa méfiance.
— Quel est son nom ? demanda-t-elle.
— Sergent Bérugnan, Madame.
Anne d'Autriche hocha la tête [40] L'expression « Branler le chef » nous a paru trop osée pour parler d'une reine.
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— J'ai ouï ce nom, fit-elle. Mais je ne connais point l'homme. Dites à La Porte de venir immédiatement.
Quelques instants plus tard, le fidèle valet de chambre de la reine se présenta.
— Sa Majesté a besoin de moi ?
— Pierre, fit la souveraine qui, bien que reine, savait se montrer familière, connaissez-vous un sergent des mousquetaires nommé Bérugnan ?
Pierre La Porte était pour Anne le plus précieux des auxiliaires. Ses fonctions de valet de chambre de la reine n'étaient que théoriques. En fait, il lui servait de confident, de conseiller, de Bottin, d'espion et de pense-bête [41] Si nous osons nous permettre.
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Ce garçon était à ce point précieux que la reine et ses amies l'avaient surnommé S-V-P.
— Si fait, Majesté, répondit La Porte, je connais.
— Alors traversez l'antichambre et faites-moi savoir si l'homme qui s'y trouve et Bérugnan ne font bien qu'un [42] A cette époque, on manquait de simplicité même dans le langage courant.
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La Porte s'inclina très bas. Son absence dura à peine une minute. Il réapparut moins d'un quart d'heure plus tard avec un visage serein.
— L'homme de l'antichambre et le mousquetaire Bérugnan ne forment qu'une seule et même personne, Majesté, affirma le précieux valet.
— Vous pensez donc que je puis avoir confiance en lui ? demanda Anne d'Autriche.
La Porte dessinait une figure géométrique dans la buée des vitres. Cette figure était un carré. Pour préciser, il s'agissait d'un carré de valet.
— Sans aucun doute, Majesté, répondit-il.
— Très bien, dit la reine. Faites entrer ce mousquetaire et laissez-nous seuls.
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