— Alors qu'est-ce qui s'est passé ? halète B.B.
— Ils ont fait une belote, vu le cas de force majeure ? suppose le Gros.
— Paraîtrait que ce soir-là le roi aurait réussi à assurer son service. Des témoins affirment qu'il a pu honorer la reine.
— Des témoins de complaisance, mouais, grommelle le Sceptique. Le roi leur aura donné un petit château à chacun pour qu'ils fassent courir le bruit qu'y avait pas plus Casanova que lui !
« Parce que je vais vous dire une bonne chose, m'sieur-dames, on est impuissant ou on ne l'est pas. Quand on l'est pas, on l'est pas. Mais quand on l'est, tu peux te faire projeter le Parc aux Cerfs en Vistavision ou prendre des infusions de cantharide à tous tes repas, c'est pas ce qui te mettra du remontant dans le fil à plomb, Bonhomme ! Il lui a peut-être fait un concerto de guitare à l'Anne d'Autriche (d'autant qu'elle était Espago, tu dis), il lui a peut-être fait la machine à cacheté ; les enveloppes, le petit dépanneur radio, le doigt magique, la morsure brûlante, la compresse humide, le malaxage vertical, le pas de vis à l'envers ou le taille-crayon à moustaches, oui, je veux bien en convenir, mais il ne lui a sûrement pas fait la plongée sous-marine, le sifflet pétrifié, l'embrocation cosaque ou le bâton du Maréchal Polisson ; sûrement pas ! »
— Je suis assez porté à admettre ta thèse, approuvé-je. La preuve en est qu'il est resté vingt-deux ans sans pieuter avec sa bonne femme.
— Vingt-deux ans sans homme ! s'égosille Berthy.
Son Gros la calme du geste. Ce qui l'intrigue, ça n'est pas la force d'âme de la souveraine, mais le fait que Louis XIII soit retourné dans son lit après ces vingt-deux ans de chasteté.
— Qu'est-ce qui lui a pris de remettre le couvert ? demande mon ami. Il a eu le retour d'âge bénéfique, ou quoi ?
— Il devait assurer sa descendance, Gros.
— Va-t'en l'assurer avec une peau de banane ! flétrit le Mastodonte. Qu'est-ce qu'il pouvait espérer ?
— La réussite de ses projets puisque, effectivement un Dauphin lui est né. Et quel Dauphin ! Vingt-deux ans de bouteille, mais ça a donné Louis XIV !
Ma grosse gonfle fait un signe de dénégation.
— Pas à moi, dit-il ! Raconte ça aux mômes des écoles si tu veux, mais pas à moi. Ton Dauphin, il se l'est fait tricoter par un pote ! Et sa nuit avec la reine c'est pour sauver les appâts rances. Fallait qu'il soye homologable, le Louis XIV ! Né de père inconnu, pour un roi de France, ça fait trop désordre.
— Là encore j'adopte ton argument, Béru.
— Ce que je me demande, fait B.B. c'est comment la reine s'est arrangée pendant tout ce temps-là. Elle était frigidaire ?
— Pas le moins du monde. Mais Dieu merci il y avait de la visite au Louvre. Buckingham, d'abord, ce beau seigneur anglais qui tomba amoureux d'elle et qui inspira si fort mon confrère Alexandre Dumas. Et puis d'autres gentilshommes bien de leur personne.
— Et le roi ? Il avait pas de vices cachés, vous êtes certain !
— C'est peu probable. Il était pieux, grave et chaste. Il eut deux favorites cependant, mais ses rapports avec elles demeurèrent platoniques. La première fut Mademoiselle de Hautefort.
— Hautefort et fais reluire ! plaisante le Contrôleur des Wagons-lits !
— Ça n'a pas été le cas ; il se contentait de lui faire des vers. La seconde fut Mademoiselle de La Fayette !
— Celle des Galeries ?
— Une ancêtre. Mais la vie dans l'entourage de Louis XIII était tellement poilante qu'elle a fini par entrer dans les ordres, parce que le couvent était plus rigolo. Après elle, il a eu un favori !
— Nous y voilà, fait Berthe, pincée. Je n'osais pas le suggérer, mon cher ami, mais je pensais que ce Louis XIII avait des mœurs olé-olé !
— Vous n'y êtes toujours pas, Belle amie. Une fois pour toutes, chez lui, tout se passait dans la tête ! Qu'il eut été amoureux du jeune Cinq-Mars, ce n'est pas douteux, mais il n'y eut jamais rien de plus entre eux.
Barrissement de Béru.
— Qu'est-ce que t'en sais, mon pote ? T'es toujours là à avancer des choses, comme si que t'aurais passé plusieurs existences dans la table de nuit des rois à tenir compagnie à leurs pots de chambre !
Quelqu'un qui ne donnerait pas sa place pour un boulet de canon, c'est M'man. Elle est pliée en deux, ma brave Félicie. Ça fait un bout de moment que je ne l'ai pas vue se divertir pareillement.
— Nous nous sommes étendus sur l'impuissance de Louis XIII ; examinons maintenant sa puissance, enchaîné-je.
— Oh ! tu sais, quand un monarque met son calcite en portefeuille, sa puissance…
— Détrompe-toi, Louis XIII l'a été. Et cela grâce à un homme prodigieux : le Cardinal de Richelieu, le plus grand Premier Ministre de notre Histoire après Debré !
— C'était le frère de Drouot ? demande Son Altesse.
— Un camarade de carrefour seulement. Ce jeune prélat ambitieux entra dans les ordres presque accidentellement. Son frère, qui était évêque de Lucon, se retira dans un monastère et Armand du Plessis reprit la charge pour qu'elle ne soit pas perdue ! A cette époque, on gérait un diocèse comme maintenant une quincaillerie. On achetait le fonds, quoi ! Pour en revenir à Richelieu, je vais faire appel à l'applaudimètre Larousse afin de vous situer son importance. Alors que Louis XIII a droit, je vous le répète, à vingt et une lignes, Richelieu, lui, a droit à vingt-cinq lignes. Soit quatre lignes de plus pour le ministre que pour le roi, une fois de plus les chiffres parlent ! Ce merveilleux cadeau, ce fut Marie de Médicis, à la fin de sa disgrâce, qui le fit à la France. Elle ne se doutait pas qu'elle introduisait au Louvre son futur ennemi. Le reste de son existence, elle le passa à essayer de faire tomber du piédestal où elle l'avait juché cet homme remarquable. Elle n'y parvint pas à cause de la sagesse du roi.
— Il était trop lié avec Louis XIII, n'est-ce pas ? demande Félicie.
— Non M'man, tu n'y es pas. Leurs relations furent très étranges. Les deux hommes ne s'aimaient pas, je crois même qu'ils se détestaient franchement, et pourtant chacun d'eux n'eut jamais que l'autre pour ami sûr. Le roi avait confiance dans l'intelligence et la perspicacité de Richelieu. Richelieu avait pour but sacré de servir les intérêts du roi. Il fut une sorte de nouveau Maire du Palais. Un Mussolini dévoué à Victor-Emmanuel. Au cours de sa prestigieuse carrière, il appliqua un triple programme : anéantir les protestants en tant que parti politique, abaisser les seigneurs et affaiblir la puissante Maison d'Autriche. Il réussit dans cette dure entreprise. Et pourtant il eut le pays entier contre lui, à commencer par les deux reines. Mais, avec le soutien de son roi, il triompha de toutes les difficultés et déjoua tous les complots. Ah ! ce n'était pas une lavasse. Il avait une police très au point et il frappait vite et fort. Il n'hésita pas à faire décapiter le cher Cinq-Mars, ex-favori de Louis XIII parce qu'il avait comploté avec l'Espagne pour saquer Richelieu. La Bastille était bourrée de monde ; on y trouvait des gens de toutes les conditions car l'Éminence ne faisait pas de détail : les nobles comme les manants dégustaient lorsqu'ils ne marchaient pas droit ! Ce fut un authentique monarque. Il avait son palais, sa police, son armée. Richelieu fonda cette Académie Française où, si j'en crois certaines rumeurs je vais être reçu incessamment [39] Après la publication de ce livre fleuve — mon élection ne fait aucun doute — vous m'imaginez avec le bicorne, l'habit couleur de poisson avarié et l'épée au côté prononcer l'éloge d'un quelconque professeur STROUMPF, illustre inconnu auquel on devra un traité de puériculture ou le manuel du parfait planteur de macaroni ? Les nanas se bousculeront sous la coupole pour voir la troupe me présenter les armes, à moi qui les leur ai présentées si souvent, à elles !
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