Je traduis avec beaucoup de mal. J’ai la tête en vrac. Que vais-je dire à Ric ? Quelle victoire vais-je lui offrir ? S’il tente le coup malgré mon repérage, il se fera prendre. Je n’ai rien résolu du tout. Je ne l’ai pas sauvé. Je ne l’ai pas coiffé au poteau. Je suis simplement désormais parfaitement consciente du traquenard absolu dans lequel il va se jeter. Quoi qu’il fasse, je vais le perdre. S’il échoue, il finira en prison. S’il réussit malgré tout, il s’enfuira sans moi puisque je n’ai pas su lui inspirer confiance, et je le perdrai aussi.
Il me faut un autre plan pour éviter la catastrophe. Le seul qui me vienne sur l’instant, c’est d’assommer Ric et de le ligoter pour l’empêcher d’accomplir son forfait. Ensuite, je le séquestrerai pour toujours. Je compte sur le syndrome de Stockholm pour qu’au fil des années, il finisse par m’aimer.
Xavier nous a raccompagnées jusqu’à la boulangerie. Sur le trajet du retour, à la fois soulagés et ravis de leur exploit, lui et Mme Bergerot n’arrêtaient pas de rire et de commenter la comédie que nous venions de jouer. Je n’ai pas dit un mot.
Sophie nous attendait sur le trottoir. En voyant le grand véhicule, Mohamed est sorti de sa boutique. Lorsqu’il a compris que c’était nous, il m’a rapporté les trois lettres.
— Tout s’est bien passé ? m’a-t-il demandé.
— Personne n’aura d’ennuis, c’est déjà ça.
— Tu n’as pourtant pas l’air très heureuse.
— Il n’y a pas de quoi l’être.
— Voilà tes lettres. Je ne sais pas ce qu’elles contenaient mais, vu les destinataires, je suis content de ne pas avoir eu à les poster. Récupère les timbres avant de les détruire.
— Merci Mohamed.
Je l’embrasse.
Sophie fonce sur moi :
— Alors ?
— Rien. Je n’ai pas un seul carat pour Ric.
— Qu’est-ce que tu vas faire ?
— Aucune idée.
Je la prends dans mes bras.
— En tout cas, je n’oublierai jamais ce que tu as fait pour moi aujourd’hui. Si j’ai une sœur sur cette terre, ma vieille, c’est toi.
Je la serre comme si je n’allais plus jamais la revoir de ma vie.
— Qu’est-ce qui t’arrive ? On l’a quand même fait. C’était pas rien ! T’auras qu’à dire à ton mec que tu as tenté l’impossible pour lui et que ce n’est pas ta faute si c’est sans espoir.
« Sans espoir, exactement comme moi. »
— Sophie, s’il te plaît, n’efface pas les photos de ton reportage. Ça fera des souvenirs.
— Tu peux même compter sur moi pour faire des agrandissements et te faire chanter avec.
— Vilaine garce.
— Sale pouffiasse.
— Je t’aime.
Elle m’étreint à son tour. Xavier s’approche :
— Julie, je m’excuse mais il va falloir que je retourne au boulot. Je suis grave à la bourre.
Je le prends dans mes bras. Ce trottoir ressemble de plus en plus à un quai de gare où se dérouleraient des adieux déchirants.
— Xavier, merci pour tout. Ta voiture est un chef-d’œuvre et tu es un mec en or.
— Aucun problème, c’était cool. Je ne sais pas trop ce que tu cherchais en faisant tout ça, mais j’espère que tu as eu ce que tu voulais.
— Vous voir m’aider, vous voir risquer autant pour moi, c’est le plus beau trésor que j’ai découvert dans ce musée.
Je l’embrasse de tout mon cœur :
— J’ai une chance incroyable de vous avoir comme amis et je suis une idiote de vouloir plus.
Je vais pleurer sur son costume. Il referme ses grands bras autour de mes épaules.
— Julie, si Ric ne se rend pas compte tout seul de la fille fantastique que tu es, compte sur moi pour lui ouvrir les yeux à coups de pied.
On se sépare. Xavier et Sophie remontent chacun dans leur véhicule, celui de Sophie tient presque dans la largeur de celui de Xavier. Drôle de cortège qui finit par disparaître en klaxonnant au bout de la rue.
Mme Bergerot et moi restons seules sur le trottoir.
— C’est pas tout ça, ma fille, dit l’ex-femme d’affaires russe, mais il va falloir se remettre au travail.
— Je ne sais pas comment vous remercier.
— Je n’ai rien fait. Le plus dur a été de me retenir de faire pipi.
J’ai envie de la prendre dans mes bras mais je n’ose pas.
— Je peux vous poser une question ?
— Bien sûr, mais dépêche-toi, c’est bientôt le coup de feu de la sortie des écoles…
— Pourquoi avez-vous accepté de vous lancer dans ce truc insensé ?
Elle hésite, puis dit doucement :
— Tu sais, Julie, je n’ai pas eu la chance d’avoir d’enfant. Je te connais depuis longtemps et ton arrivée à la boutique a fait du bien à tout le monde, surtout à moi. Tu es un peu la fille que Marcel et moi aurions aimé avoir. Alors cet après-midi, en une fois, j’ai fait un peu de toutes les folies que les parents font pour leurs petits. Et maintenant, file ouvrir.
Mme Bergerot rajuste son manteau et sa coiffure. Elle ne ressemble pas à une grande dame, elle en est une.
J’ai toujours regardé les choses et les gens en sachant que j’allais les perdre. Mon plan a lamentablement échoué. Je vais tout de même aller voir Ric pour lui avouer ce que j’ai tenté. Je ne crois pas que cela changera la situation. Il me suffit de repenser à son dernier regard pour avoir peur.
Je frappe à sa porte. Elle finit par s’entrouvrir.
— Julie, je t’avais dit que je reviendrais vers toi plus tard.
— Je sais, Ric. Je me souviens précisément de tout ce que tu m’as dit. Mais il faut que je te parle, ce soir. Après je ne te dérangerai plus jamais.
Déstabilisé, il me laisse entrer et déclare :
— Je n’ai pas beaucoup de temps.
« Je m’en doute. »
— Je m’en doute, avec ce que tu prépares.
De surprise, il lève un sourcil.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je sais que tu vas t’introduire au domaine Debreuil pour un cambriolage.
Il blêmit.
— Tu vas tenter de forcer la vitrine numéro 17.
— Julie, qu’est-ce que tu racontes ?
— Ne m’interromps pas, s’il te plaît. Ensuite, tu n’entendras plus parler de moi. Je suis simplement venue te prévenir que cette vitrine est vide. Elle ne contient aucun bijou. Il faut aussi que tu saches que tu n’arriveras jamais à pénétrer dans cette salle. Elle est protégée par une porte blindée, des gardes et des systèmes électroniques dans tous les sens.
Il tire une chaise et se laisse tomber dessus. Je reste debout et j’enchaîne :
— Tu n’as aucune chance, Ric. Je ne sais pas quelle fortune tu veux dérober mais tu n’y parviendras pas. J’ai même pensé te proposer mon aide. Pour toi, j’aurais été prête à ramper dans les gaines d’aération ou à faire le guet, mais c’est inutile.
— Comment sais-tu tout cela ? Comment connais-tu cet endroit ? Tu travailles pour eux ?
— Non, Ric. J’y suis allée cet après-midi, pour toi. J’ai tout visité. J’ai tout vu.
— Bon sang, comment as-tu fait ?
— Peu importe. Ce qui compte, c’est que j’ai pu mesurer concrètement l’infaisabilité de ton opération. Ric, laisse-moi tomber si tu veux mais, je t’en supplie, renonce à cette folie-là.
En proie à des sentiments aussi violents que contradictoires, il s’agite sur sa chaise. Il me regarde :
— Pourquoi as-tu fait ça ?
— Parce que je t’aime, Ric. Parce que je préfère tout risquer avec toi plutôt que de faire semblant d’être heureuse sans toi. Si tu disparais, tu pars avec ma vie. Elle n’aura plus d’intérêt pour moi. Je ne sais pas pourquoi tu veux dérober ces bijoux, et je t’avoue que cette question me torture depuis des mois. Mais je sais qui tu es. Je le perçois quand tu parles, quand tu cours, même quand tu dors.
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