— Je n’en sais rien, lui annonçai-je sans lui jeter un regard.
— Quelle mouche t’a piquée ? Rien à voir avec celle des dernières semaines. Tu oublies un peu vite à mon goût l’esprit d’équipe vanté par Bertrand et toi samedi soir, c’est vraiment dommage.
Lorsque je levai la tête, il avait déjà tourné les talons. Je perdais les pédales, totalement. Je devais de toute évidence empêcher cette situation de pourrir davantage. Marc allait cesser de perturber mon travail. J’attrapai mon sac à main en annonçant à mon assistante que finalement je partais déjeuner. Puis je me plantai devant le bureau du service traduction.
— Je n’ai pas oublié l’esprit d’équipe. Excuse-moi. J’ai un léger souci à régler… À mon retour, je m’occupe de ta trad’ !
Je quittai l’agence d’un pas déterminé et hélai le premier taxi qui passa. Le chauffeur fit les frais de ma mauvaise humeur :
— Pressez-vous, je n’ai pas que ça à faire !
— La petite dame, elle va se calmer, sinon je l’arrête là. Compris ? me rétorqua-t-il en me dévisageant dans le rétroviseur.
Je me renfrognai sur ma banquette. Quand il s’immobilisa, je lançai un billet sur le siège passager, et claquai la portière de toutes mes forces. J’ouvris tout aussi brusquement la porte de la brocante et entrai.
— Marc ! criai-je.
Il apparut dans le fond de sa boutique et avança nonchalamment vers moi. Sans dire un mot et sans me lâcher du regard, il retira ses lunettes et les déposa sur un meuble au passage. Puis, tranquillement, il s’appuya contre un mur, mit une main dans sa poche et osa se fendre d’un sourire en coin. Non, mais j’hallucine. Il se prend pour qui ?
— Je t’attendais, Yaël. Vas-y, je t’écoute.
Où était passé le fuyard de la porte cochère ?
— Pourquoi as-tu fait ça ? hurlai-je, refusant de me laisser impressionner par son attitude désinvolte. Tu n’avais pas le droit ! Tu m’empêches de travailler ! Je n’arrive pas à me concentrer.
Vu son rictus, il était satisfait, limite fier de lui.
— Tu m’en vois désolé.
Son ironie m’exaspéra.
— C’est intolérable ! m’énervai-je de plus belle. Et ta phrase à deux balles : « Oublie ça. » Tu as pêché ça où ?
— Si seulement je le savais.
— De toute façon, c’était complètement débile de dire ça.
Il haussa un sourcil.
— Je te l’accorde, je dirais même stupide, déclara-t-il, un sourire idiot aux lèvres.
Son insolence nonchalante me tapait sur les nerfs. Il mettait le Bronx et ça l’amusait !
— Ne rie pas ! m’égosillai-je. On est adultes maintenant !
— Être adultes ne change pas grand-chose à notre situation, me rétorqua-t-il, brusquement sérieux.
Ça me coupa la chique. Il se redressa et fit deux pas en rivant ses yeux aux miens. Il faisait quoi, là ? Je ne savais plus quoi faire, quoi dire, de plus en plus désarçonnée. Je m’attendais à tout, sauf ça. Il était tellement sûr de lui. Bizarrement, j’avais beau me dresser sur ma hauteur artificielle, je me sentais de plus en plus petite, face à son regard pénétrant. Tout ça devenait trop dangereux. J’étais venue là pour remettre les choses à leur place, pas pour…
— Tu es calmée ?
Calmée de quoi ?
— Euh…
Il se rapprocha encore, ses yeux toujours ancrés dans les miens. J’étais bien incapable de me défaire de son emprise, ma respiration se fit plus courte.
— On va dire que oui, répondit-il à ma place, toujours aussi sûr de lui. Alors, Yaël ? Que proposes-tu pour régler le problème ?
Craquer .
Je balançai mon sac à main par terre et franchis la dernière distance qui nous séparait. Un gémissement de soulagement s’échappa de ma bouche au moment où je me jetai sur la sienne, ses bras se refermèrent sur moi. Je lâchai prise, incapable de me contrôler, ni de maîtriser la fièvre qui s’était emparée de mon corps dès que je l’avais vu. Marc m’entraîna vers le fond de la boutique en répondant furieusement à mon baiser, une étagère chancela à notre passage, un objet se brisa sur le sol.
— On s’en fout, me dit-il. Viens par là.
Il ouvrit la porte et m’attira dans l’escalier de l’immeuble. Heureusement il habitait au premier, je n’aurais pas tenu jusqu’au deuxième étage, lui non plus d’ailleurs. Sitôt la porte de l’appartement fermé, il me plaqua contre elle, se colla à moi en passant ses mains sous mon top en soie, en dévorant mon cou, mes épaules. Je déboutonnai sa chemise, la repoussai sur ses épaules et parsemai son torse de baisers. Plus rien d’autre n’existait, j’oubliais tout le reste, pourquoi j’étais venue. Depuis combien de temps n’avais-je pas eu envie d’un homme à ce point ? Peut-être jamais. Après avoir balancé mes escarpins, je le poussai vers le séjour.
— Ta chambre, murmurai-je en dézippant ma jupe.
Nos vêtements volèrent les uns après les autres. Nous étions totalement nus au moment de nous écrouler sur le lit. Marc et ses lèvres explorèrent la moindre parcelle de ma peau, mes mains s’agrippant parfois aux draps, parfois à ses épaules, mes yeux roulant sous mes paupières. Je n’en pouvais plus, j’avais le sentiment que mon corps allait exploser sous la puissance du désir.
— Viens… s’il te plaît, le suppliai-je.
Dans la seconde, Marc m’obéit et nos lèvres se retrouvèrent pour mieux étouffer nos gémissements de plaisir. Faire corps avec lui… j’avais ma réponse ; je n’avais jamais ressenti une telle fusion. La jouissance me donna le vertige, il me suivit de peu. Il reprit sa respiration, le visage niché dans mon cou durant quelques secondes, tandis que je fixais le plafond. Mes mains encore accrochées à ses épaules retombèrent au ralenti le long de mon corps. Puis il se retira, je refermai mes jambes et ne bougeai plus, Marc remonta un drap sur moi avant de s’allonger à mon côté. Il restait parfaitement silencieux, je sentais qu’il me regardait, attendant certainement un geste, un mot de ma part, j’étais absolument incapable de parler, la gêne m’envahissant, la réalité refaisant surface. La descente était violente. J’étais venue pour régler le problème. Échec total . J’eus conscience de mon incapacité à réfléchir rationnellement avec lui à quelques centimètres de moi, le corps encore marqué de ses mains. Que venais-je de faire ? D’un mouvement brusque, je m’assis au bord du lit, dos à lui, les bras autour des seins.
— Je dois retourner au travail.
Il y eut de longues secondes, interminables, pendant lesquelles je sentis mon corps se contracter de plus en plus. Ce silence se solda par un profond soupir de Marc.
— Bien sûr, finit-il par lâcher d’un ton las.
Comment faire pour me lever et récupérer mes vêtements aux quatre coins de son appartement ?
— Ne bouge pas, je vais te chercher tes affaires.
Je soufflai de soulagement, il m’épargnait la honte de me rhabiller devant lui, en plein jour. Je me sentais tellement mal à l’aise, d’un coup. À croire qu’une autre avait pris possession de mon corps depuis que j’avais franchi le seuil de sa brocante. J’entendis le bruissement des vêtements qu’on renfile.
— Tout est là, m’annonça-t-il quelques minutes plus tard. Je t’attends à côté.
La porte de la chambre se ferma. Avec une lenteur infinie, je me levai. Puis j’enfilai ma lingerie en dentelle et mon top. Mes gestes étaient brusques ; je crus ne jamais réussir à remettre la fermeture Éclair de ma jupe. Je tanguai dangereusement une fois perchée sur mes escarpins. La main sur la poignée de la porte, je pris quelques secondes pour respirer calmement. Marc fumait une de ses roulées à la fenêtre du séjour, perdu dans ses pensées ; je toussotai :
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