Je traversai le hall de la gare de Lyon et j’avais l’impression d’être une extraterrestre. En quoi était-ce dérangeant de ne pas se la jouer miss Camping ? Pas de short, ni de tongs pour moi. Plutôt ma tenue de travail de week-end, une valise cabine, une sacoche avec mon Mac, et mes oreillettes en place, juste au cas où… Heureusement, j’avais réussi à obtenir une place en première, isolée. Pourtant, sitôt le TGV parti, je dus fuir ma place ; la SNCF devrait aménager des compartiments sans gamins, impossible de me concentrer. Direction le wagon-bar, je demandai un café et trouvai un coin où m’asseoir, j’allumai mon ordinateur, prête à lancer un hot spot avec mon téléphone. Et là, bug, pas de réseau, pas de 4G. Ça y est, ça faisait à peine trente minutes que le train avait quitté Paris et j’avais le sentiment d’être perdue en pleine pampa. Si Bertrand m’écrivait, si mes collègues cherchaient à me joindre ce matin au sujet d’un de mes dossiers… J’avais plusieurs rendez-vous de prévus aujourd’hui, qui allait s’en occuper ?
Le TGV entra en gare d’Avignon à l’heure, Cédric devait venir me récupérer. La descente du train eut des allures de foire d’empoigne ; les voyageurs se bousculaient, se donnaient des coups de valise et de sac à dos : aucun savoir-vivre. Je les laissai passer avant de fermer le rang. Là, je fus scotchée, étouffée, paralysée par la chaleur. En moins de deux secondes, je fus en sueur, avec déjà l’impression d’être sale. Je repérai le panneau de la sortie et commençai à remonter le quai. Je fus stoppée dans mon élan : mon talon était piégé entre deux lattes en bois du quai. Quelle idée ! Rien de mieux que le béton ! Ça commençait mal. Je rejoignis l’ascenseur sur la pointe des pieds, évitant ainsi d’être à nouveau coincée. Mon beau-frère m’attendait à l’extérieur de la gare devant son Espace. Mon calvaire continuait : Cédric, en bermuda multipoches, tee-shirt bariolé « spécial vacances » et espadrilles, me souriait de toutes ses dents. Il avait beau être accueillant, je n’avais qu’une envie, filer par le prochain train direction Paris. Mais pour quoi faire ? Bertrand ni personne de l’agence ne m’avaient donné signe de vie, depuis que j’avais récupéré du réseau. M’auraient-ils tous déjà oubliée ? J’étais coincée. Cédric vint me coller une bise et attrapa ma valise.
— Ça s’est bien passé le voyage ?
— Épouvantable, il n’y avait pas de réseau, et plein de gamins.
Il chercha à prendre ma sacoche d’ordinateur, je la gardai contre moi en lui lançant un regard qui signifiait très clairement « pas touche ». Il se retint de rire.
— En voiture ! chantonna-t-il en refermant le coffre.
L’habitacle était un vrai champ de bataille, je repérai immédiatement les restes du pique-nique de la veille : du papier aluminium en boule, des paquets de chips éventrés, du sopalin usagé dans la portière passager. Je m’installai comme je pus, et glissai mes pieds entre des sacs plastique et des jouets que ma sœur avait laissés là après leur voyage. En un quart d’heure, j’étais encore plus en nage qu’à la gare, avec l’impression de dégouliner de partout.
— Cédric, tu ne veux pas mettre la clim, s’il te plaît ?
Il roulait les fenêtres ouvertes, qui ne laissaient entrer rien d’autre que l’air chaud.
— Désolé, c’est impossible. Elle a trop fonctionné hier, je vais l’économiser, je ne veux pas qu’elle me claque entre les mains avant le retour, ça me coûterait une blinde ici. Mais tu sais, enlever ta veste et tes chaussures serait une bonne idée pour te rafraîchir.
La veste, pourquoi pas ! Mais hors de question pour les chaussures, je n’allais pas prendre le risque de poser le pied sur un bout de jambon. Je mis mes lunettes de soleil et regardai la route sans la voir. Mon beau-frère finit par rompre le silence :
— Comment vas-tu ?
Je soupirai en jetant un coup d’œil à mon téléphone : pas d’appels, pas de mails.
— Aucune idée, lui avouai-je.
— Ces vacances ne peuvent te faire que du bien.
Je secouai la tête.
— Je sais que tu n’y crois pas, mais fais-moi confiance.
— Je ne doute pas de ta sincérité, mais je ne me sens pas à ma place.
Il m’apprit qu’ils avaient roulé en convoi avec Adrien et Jeanne. Tout s’était parfaitement déroulé jusqu’au moment où Adrien avait écouté 107.7 qui annonçait les traditionnels bouchons de la vallée du Rhône. Il avait alors pris la tête de la caravane pour sortir de l’autoroute et emprunter la nationale. Ça avait viré au cauchemar, et servi à rien puisqu’ils s’étaient retrouvés au beau milieu d’une fête de village. Jeanne avait gueulé, pleuré, et Cédric avait repris les choses en main, renvoyant Adrien au rôle de voiture-balai. Je sentais bien qu’il faisait tout pour me faire rire et me mettre dans un état d’esprit « vacances ». Il se fatiguait pour rien ! Ça ne l’empêcha pas de continuer, il poursuivit en m’apprenant que Marc n’arriverait que le lendemain.
— Pourquoi ? lui demandai-je pour lui prouver que je l’écoutais un minimum.
— Son divorce était prononcé ce matin.
— Ah bon ?
— Tu n’étais pas au courant ?
— Il m’en a vaguement parlé le jour où je l’ai retrouvé. Mais, non, je ne savais pas que c’était pour aujourd’hui.
Le profond soupir de Cédric me fit tourner la tête vers lui, il avait l’air totalement désappointé.
— Quoi ? lui demandai-je.
— Rien, Yaël. Rien…
Une bonne heure plus tard, nous traversions Lourmarin avant de prendre un tout petit peu de hauteur par rapport au village. Le trajet était intact dans mes souvenirs, je crois que j’aurais pu y revenir les yeux fermés, alors même que ça faisait des années que je n’y avais pas pensé, ne serait-ce qu’une seule fois. La voiture quitta la route principale, empruntant un chemin privé, plus chaotique, qui menait à la maison. Cédric mit le frein à main, et alla ouvrir le portail. Lorsque nous pénétrâmes dans le jardin, il klaxonna, pire qu’à une sortie de mariage. L’effet fut immédiat, un troupeau déboula autour de la voiture, tous parés de leur maillot de bain. Alice ouvrit ma portière et me tira par le bras pour que je sorte rapidement.
— Je suis tellement contente que tu sois là, me dit-elle en m’embrassant et me serrant contre elle.
Ce n’est pas un exploit non plus ! Il ne faut pas exagérer ! Je tapotai gauchement son dos, en me retenant de lever les yeux au ciel.
— Lâche-la que je la foute à la flotte, histoire de la mettre dans l’ambiance, ricana Adrien.
En guise de bonjour, je le fusillai du regard.
— N’essaie même pas !
— Je vais le retenir pour le moment, mais ça ne va pas durer, me dit Jeanne en me faisant une bise. Allez, va vite te changer ! Ce n’est pas une tenue !
Les trois enfants s’approchèrent à leur tour et me firent des bisous chlorés.
— Yaya, tu vas m’apprendre à nager ? me demanda Marius.
— On verra.
Cédric porta ma valise jusque dans la maison, l’odeur de lavande et de rose que notre mère affectionnait tant me sauta au nez. Mis à part un rafraîchissement des peintures, rien n’avait changé. Les murs étaient dans des tons clairs et naturels et le sol en vieilles tomettes que mon père avait réussi à trouver après des mois de recherches. Malgré leur amour pour la région, mes parents n’avaient jamais donné dans la déco provençale ! Pas de jaune, ni de dessins d’olives noires sur le linge de table et encore moins de cigales en porcelaine. Mon père l’avait conçue de plain-pied, avec de nombreuses portes-fenêtres, « toujours plus de lumière », nous disait-il, même si l’été les volets restaient désespérément clos ! Une vaste entrée desservait la partie où nous vivions le plus clair du temps ; le séjour/salle à manger avec une mezzanine, le tout donnant sur la terrasse. La cuisine quant à elle était séparée. Un couloir desservait les chambres et les salles de bains. Tout avait été fait et organisé pour le confort — trop rustique à mon goût — et qu’on ne manque jamais de rien, sans oublier de conserver l’esprit maison de vacances ; d’où la vaisselle ébréchée, la caisse de jouets pour les enfants d’Alice dans le salon, la bibliothèque avec les vieux bouquins de ma mère et les prospectus de tourisme de la région. Autour de la piscine et sur la terrasse, nous savions que nous ne trouverions jamais des meubles de jardin Luxembourg de chez Fermob, mais plutôt des chaises longues en plastique blanc dont les matelas étaient dépareillés et qui risquaient à tout moment de s’effondrer. Quant aux murs, chacun avait le droit à sa croûte immonde dénichée sur un petit marché par ma mère ! Bref, tout ce que j’adorais…
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