— Yaël !
Adrien… Je ne l’avais pas vu arriver.
— Viens, je promets de ne pas t’arroser.
Dans ma vision périphérique, je remarquai toutes les têtes tournées dans notre direction.
— OK.
Il m’ouvrit la barrière, je descendis les deux marches et me retrouvai au niveau de la piscine. Il s’éloigna et fit une bombe dans l’eau, faisant éclater de rire tout le monde, sauf moi, qui lui décochai un regard assassin. Ayant peur de glisser, j’avançai à pas précautionneux jusqu’aux filles, Alice se redressa et me fit une place sur sa chaise longue. Jeanne remarqua mes pieds nus.
— Tu t’es enfin décidée à faire tomber tes pompes. Y a pas à dire, c’est beau, mais comment fais-tu pour marcher avec un truc pareil ?
— Question d’habitude, lui répondis-je en haussant les épaules.
— Pourquoi tu ne te changes pas ? m’interrogea Alice. Mets un short et un débardeur, tu seras plus à l’aise !
— Je n’en ai pas, marmonnai-je.
— Ce n’est pas possible ! Ton dressing est prêt à éclater !
— Je n’ai que des fringues de boulot ! Ça fait belle lurette que je n’ai besoin que de ça.
Une heure plus tard, j’esquivai la balade de fin d’après-midi en troupeau à Lourmarin pour profiter de la maison et de la piscine en paix. Très peu pour moi, la crise des gamins en passant devant le glacier. Enfin un peu de calme ! Sans perdre de temps, j’enfilai mon maillot et mes lunettes, renonçant malgré tout au bonnet de bain. Avant d’entamer mes longueurs, je retirai les jouets d’enfants, les bouées et les deux matelas pneumatiques. Le silence de l’eau me vida la tête, mes nerfs commencèrent à se décharger grâce à une nage rapide, je m’épuisai avec de l’effort physique, je n’avais que ça pour compenser le manque et oublier la notion du temps. Chaque minute depuis que j’étais arrivée me semblait équivalente à une heure. Les prémices d’une crampe irradièrent mon mollet, ce qui me contraria car j’avais encore besoin de temps pour évacuer, mais je dus pourtant rejoindre le bord pour m’étirer dans l’eau. Des applaudissements retentirent dans mon dos, je tournai vivement la tête, en retirant mes lunettes. Ils étaient alignés devant la piscine. Depuis combien de temps étaient-ils là ?
— Un vrai hors-bord ! s’écria mon beau-frère.
— Ça doit défouler, ajouta Jeanne.
Je leur souris franchement, sortis de l’eau et allai vérifier mon téléphone à l’abri dans sa housse étanche. Toujours pas de réponse de Bertrand. Mon sourire s’évanouit.
— Je vais me doucher.
Je quittai ma chambre uniquement lorsque j’entendis des bruits dans la cuisine ; trop tard pour un coup de main, le dîner était prêt et le couvert mis. J’avalai deux gorgées du verre de rosé que Cédric me servit et trois fourchettes de la ratatouille maison d’Alice. J’aurais voulu la savourer : impossible. Je n’avais que mes souvenirs pour me rappeler qu’elle était délicieuse avec ses légumes gorgés de soleil. Je n’avais plus goût à rien et pour rien. Ne supportant pas de les voir traîner à table, je pris en charge la vaisselle et soulageai mes nerfs avec le ménage de la cuisine. Deux jours que les « vacances » avaient commencé et c’était déjà, à mon sens, une porcherie. Cependant, je fus très vite calmée dans mon élan par Alice et Jeanne me rappelant que les enfants étaient au lit et que l’aspirateur n’était pas recommandé lorsqu’ils dormaient. Je les avais oubliés. La conséquence fut immédiate : j’allai me coucher, tout en sachant pertinemment que je ne fermerais pas l’œil de la nuit. Je ne me trompais pas ; je tournai et virai sous mon drap, ayant chaud, puis froid, la nuit noire me gênant, et l’angoisse m’étreignant. Le silence oppressant laissait percevoir des bruits de bestioles qui me donnaient la chair de poule. Dès que je fermais mes paupières, je ne savais plus où j’étais, ni pourquoi j’étais là. Je ne tiendrais pas trois semaines à ce rythme-là, sans parler, sans travailler, sans connexion internet digne de ce nom, sans négocier, sans interpréter, avec le bruit incessant des enfants, les blagues des garçons, la joie de ma sœur, leur bonheur, leur détente, leur vie… Je me redressai d’un bond dans le lit, le cœur battant, les muscles raides. Ma place n’était pas là, elle était à l’agence. Ce n’était pas pour rien que je ne prenais plus de vacances depuis quatre ans, je ne supportais plus de ne rien faire, de ne pas être dans l’action. C’était décidé : j’allais rentrer à Paris, le plus rapidement possible. D’ici la fin de la semaine, retour à la maison. Personne ne m’en empêcherait. J’entrais en résistance.
Le lendemain, je traversai la matinée en me faisant discrète. Cachée derrière mon écran, je consultai les horaires de train et cherchai une voiture de location pour rejoindre la gare sans rien demander à personne. Absorbée par mon petit projet pour me faire la malle, le boucan des enfants et des garçons ne me dérangea presque pas. Sauf que dans l’après-midi, je compris très vite que mon plan ne serait pas tout de suite mis à exécution.
— Prends ta carte bleue, on va faire du shopping ! m’annonça joyeusement Jeanne.
C’est quoi cette histoire ?
— Je n’ai pas envie ! Laisse-moi tranquille à la fin !
— Parce que tu crois que tu as le choix ! Tu as pris tes runnings ?
— Oui.
— Mets-les, on descend à pied au village.
Un quart d’heure plus tard, nous laissions les garçons et les enfants à la maison. Je restai sans voix durant le trajet en les écoutant m’exposer l’objectif de ce shopping : me rhabiller. Il était inconcevable que je reste engoncée dans mes tenues de travail toutes les vacances. C’était une manie chez elles de vouloir me rhabiller ! Non ! En fait, ce qu’elles voulaient aujourd’hui, c’était me déshabiller ! Ayant une vague idée du contenu de mon compte en banque, elles partaient du principe que je pouvais me faire plaisir dans les boutiques de Lourmarin, pas toujours réputées pour les bonnes affaires. Sur le chemin, Alice et Jeanne m’encadraient, me tenant chacune par le bras. À croire qu’elles avaient peur que je parte en courant. Malgré l’idée plus que tentante de m’enfuir, je ne chercherais pas à le faire ; mon envie de leur faire plaisir était plus forte et j’en étais la première surprise, d’ailleurs. Elles savaient où elles allaient, et dans le cas où je l’aurais souhaité, je n’aurais pas pu m’arrêter et partir flâner dans les ruelles du village. Alice passait son temps à dire bonjour, elle connaissait tout le monde. Ou plutôt, elle n’avait perdu personne de vue depuis notre enfance et adolescence.
— On a fait du repérage hier, m’apprit Jeanne.
— La voilà ! s’exclama ma sœur à l’intention d’une commerçante.
Je voyais déjà le tableau ! Ça devait être l’ex-Parisienne bobo qui avait voulu se mettre au vert ! J’allais lui en donner, moi, des leçons de Parisienne !
— Je vous attendais ! Yaël ! Quel plaisir de te recevoir ! m’accueillit-elle avec un accent très, très chantant.
Ah, j’avais été mauvaise langue. Elle me fit une bise et m’incita à pénétrer dans sa boutique. Cette femme était toute douce et tout sourire, avec une jolie petite robe bleue, accessoirisée d’un sautoir en argent. J’étais tombée dans un sacré traquenard !
— Va dans la cabine ! m’ordonna Jeanne. On s’occupe de tout !
Durant près de deux heures, je me laissai faire en essayant tout : des robes, des jupes, des shorts, des débardeurs… Un second commerçant se joignit à la fête en fournissant des sandales et des spartiates. À force de m’habiller et de me déshabiller, j’étais en nage, j’avais soif, je m’en plaignis alors que je sortais de la cabine affublée d’une robe légère, assez près du corps, fleurie et à fines bretelles.
Читать дальше