Marc Levy - Vous revoir

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— J’ai horreur de l’à-peu-près !

— Je savais bien que je vous trouvais sympathique ! Je vais chercher ces rafraîchissements et je reviens.

Il posa les roses dans l’évier de la cuisine et se débarrassa de son tablier. Après avoir sorti deux canettes de soda du réfrigérateur, il fit une courte halte devant la glace du couloir, le temps de remettre un peu en ordre les derniers cheveux qui lui restaient.

— Elles sont fraîches ! dit-il en s’asseyant à la table.

Lauren le remercia.

— Votre mère n’a pas porté plainte, je n’avais aucune raison de le coffrer votre architecte !

— Pour un enlèvement, l’État aurait dû se porter partie civile, n’est-ce pas ? demanda Lauren en buvant une gorgée de limonade.

— Oui, mais nous avons eu un petit problème, le dossier s’est égaré. Vous savez ce que c’est, les commissariats sont parfois très en désordre !

— Vous ne voulez pas m’aider, n’est-ce pas ?

— Vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous cherchiez !

— Je cherche à comprendre.

— La seule chose à comprendre, c’est que ce type vous a sauvé la vie.

— Pourquoi a-t-il fait ça ?

— Ce n’est pas à moi de vous répondre. Posez-lui la question. Vous l’avez sous la main… c’est votre patient.

— Il ne veut rien me dire.

— Il a ses raisons, j’imagine.

— Et quelles sont les vôtres ?

— Je suis comme vous, docteur, tenu au secret professionnel. Je doute qu’au moment de prendre votre retraite vous vous libériez de cette obligation.

— Je veux juste connaître ses motivations.

— Vous sauver la vie ne vous suffit pas ? Vous faites bien ça tous les jours pour des inconnus… vous n’allez pas lui en vouloir d’avoir voulu essayer une fois !

Lauren abandonnait la partie.

Elle remercia l’inspecteur pour son accueil et se dirigea vers sa voiture. Pilguez la suivit.

— Oubliez ma leçon de morale, c’était de l’esbroufe. Je ne peux pas vous raconter ce que je sais, vous me prendriez pour un fou, vous êtes médecin, moi un vieil homme, je ne tiens pas du tout à me faire embarquer par les services sociaux.

— Je suis tenue au secret professionnel, souvenez-vous !

L’inspecteur la jaugea. Il se pencha à la portière pour raconter l’aventure la plus folle qu’il avait vécue de sa vie ; l’histoire commençait une nuit d’été, dans une maison au bord de la mer, dans la baie de Carmel…

— Qu’est-ce que je peux vous dire d’autre ? poursuivit Pilguez, il faisait trente degrés dehors et presque autant au-dedans. Et j’ai frissonné, docteur ! Vous dormiez dans le lit de ce petit bureau, tout près de l’endroit où nous nous trouvions, et pendant qu’il me racontait son histoire abracadabrante, j’ai senti votre présence, tantôt à ses côtés, parfois même comme si vous étiez assise près de moi. Alors je l’ai cru. Probablement parce que j’en avais envie. Ce n’est pas la première fois que je repense à cette affaire. Mais comment vous expliquer ? Elle a changé mon regard, et peut-être même un peu ma vie. Alors tant pis si vous me prenez pour un vieux cinglé.

Lauren posa sa main sur celle du policier. Son visage rayonnait.

— Moi aussi j’ai cru devenir folle. Un jour, je vous promets que je vous raconterai une histoire tout aussi incroyable, elle s’est passée le jour de la fête de la pêche au crabe.

Elle se hissa pour l’embrasser sur la joue et la voiture disparut dans la rue.

— Qu’est-ce qu’elle voulait ? demanda Nathalia qui venait d’apparaître devant la porte de la maison, le visage ensommeillé.

— C’est au sujet de cette vieille histoire.

— Ils ont rouvert l’enquête ?

— Elle, oui ! Allez viens, je vais te préparer ton petit déjeuner.

18.

Le jour suivant, Paul se présenta à l’hôpital en milieu de matinée. Arthur l’attendait dans sa chambre, déjà tout habillé.

— Tu en as mis du temps !

— Ça fait une heure que je suis en bas. Ils m’ont dit que tu ne pouvais pas sortir avant la visite des médecins, et la visite des médecins est à dix heures, alors je ne pouvais pas monter plus tôt.

— Ils sont déjà passés.

— Le vieux râleur n’est pas là ?

— Non, je ne l’ai pas vu depuis mon opération, c’est un de ses collègues qui s’occupe de moi. On y va ? Je n’en peux plus d’être ici.

Lauren traversait le hall d’un pas décidé. Elle inséra son badge dans le lecteur magnétique et passa derrière le comptoir de l’accueil. Betty releva la tête de ses dossiers.

— Où est Fernstein ? demanda-t-elle d’une voix déterminée.

— Je connaissais l’expression « aller au-devant des ennuis » mais toi tu y cours !

— Réponds à ma question !

— Je l’ai vu monter dans son bureau, il avait des papiers à prendre, il m’a dit qu’il repartait bientôt.

Lauren remercia Betty et se dirigea vers les ascenseurs.

*

Le professeur était assis derrière son bureau. Il rédigeait une lettre. On frappa à la porte. Il posa son stylo et se leva pour ouvrir. Lauren entra sans attendre.

— Je croyais que cet établissement vous était interdit pendant encore quelques jours ? J’ai peut-être dû mal compter, dit le professeur.

— Quelle serait la sanction infligée à un médecin qui mentirait à ses patients ?

— Tout dépend, si c’est dans l’intérêt du malade.

— Mais si c’était dans l’intérêt du médecin ?

— J’essaierai de comprendre ce qui l’a motivé.

— Et si le patient est aussi une de ses élèves ?

— Alors il perdrait toute crédibilité. Dans ce cas, je crois que je lui conseillerais de démissionner, ou de prendre sa retraite.

— Pourquoi m’avez-vous caché la vérité ?

— J’étais en train de vous l’écrire.

— Je suis en face de vous, alors parlez-moi !

— Vous songez probablement à cet hurluberlu qui passait ses journées dans votre chambre. Après avoir hésité à l’interner pour démence précoce, je me suis contenté de le neutraliser. Si je l’avais laissé vous raconter son histoire, vous auriez été capable de faire des séances d’hypnose pour en avoir le cœur net ! Je vous ai sortie du coma, ce n’était pas pour que vous y replongiez toute seule.

— Foutaise ! cria Lauren en tapant du poing sur le bureau du professeur Fernstein. Dites-moi la vérité !

— Vous la voulez vraiment, la vérité ? Je vous préviens qu’elle n’est pas facile à entendre.

— Pour qui ?

— Pour moi ! Pendant que je vous maintenais en vie dans mon hôpital, il prétendait vivre avec vous ailleurs ! Votre mère m’a assuré qu’il ne vous connaissait pas avant votre accident mais, quand il me parlait de vous, chacun de ses mots me prouvait le contraire. Vous voulez entendre la chose la plus incroyable ? Il était si convaincant que j’ai failli croire à cette fable.

— Et si c’était vrai ?

— C’est bien là le problème, ça m’aurait dépassé !

— C’est pour cela que vous m’avez menti tout ce temps ?

— Je ne vous ai pas menti, je vous ai protégée d’une vérité impossible à admettre.

— Vous m’avez sous-estimée !

— Ce serait bien la première fois, vous n’allez pas me le reprocher ?

— Pourquoi n’avez-vous pas essayé de comprendre ?

— Oh, et puis à quoi bon ! C’est moi qui me suis sous-estimé. Vous avez toute la vie devant vous pour ruiner votre carrière à élucider ce mystère. J’ai connu quelques étudiants brillants qui ont voulu faire progresser la médecine trop vite. Ils se sont tous brisé les reins. Vous réaliserez, un jour, que dans notre profession le génie ne se distingue pas en repoussant les limites du savoir, mais en réussissant à le faire à un rythme qui ne bouscule ni la morale ni l’ordre établi.

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