Marc Levy - Vous revoir

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Ils marchèrent le long de l’eau.

— Vous êtes différent, dit Lauren.

— De qui ?

— De personne en particulier.

— Alors ce n’est pas très difficile.

— Ne soyez pas idiot.

— Quelque chose chez moi vous gêne ?

— Non, rien ne me gêne, vous semblez toujours serein, c’est tout.

— C’est un défaut ?

— Non, mais c’est très déroutant, comme si rien n’avait l’air de vous poser de problème.

— J’aime chercher des solutions, c’est de famille, ma mère était comme moi.

— Vos parents vous manquent ?

— J’ai à peine eu le temps de connaître mon père. Maman avait un certain regard sur la vie, différent, comme vous dites.

Arthur s’agenouilla pour ramasser du sable.

— Un jour, dit-il, j’avais trouvé dans le jardin une pièce d’un dollar, je croyais être drôlement riche. J’ai couru vers elle, mon trésor serré dans la paume. Je le lui ai montré, j’étais si fier de ma découverte. Après m’avoir écouté lui dicter la liste de tout ce que j’allais acheter avec une telle fortune, elle a refermé mes doigts sur la pièce, retourné délicatement ma main et m’a demandé de l’ouvrir.

— Et alors ?

— Le dollar est tombé par terre. Maman m’a dit « voilà, c’est ce qui arrive quand on meurt, même à l’homme le plus riche de la terre. L’argent et le pouvoir ne nous survivent pas. L’homme n’invente l’éternité de son existence que dans les sentiments qu’il partage ». Et c’était vrai ; elle est morte hier, il y a des années de cela, depuis si longtemps que j’ai cessé d’en compter les mois sans en perdre un seul jour. Elle apparaît parfois dans l’instant d’un regard qu’elle m’a appris à poser sur les choses, sur un paysage, un vieillard qui traverse la rue en portant son histoire ; elle surgit dans un rayon de pluie, dans un reflet de lumière, au détour d’un mot dans une conversation, elle est mon immortelle.

Arthur laissa filer les grains de sable entre ses doigts. Il y a des chagrins d’amour que le temps n’efface pas et qui laissent aux sourires des cicatrices imparfaites.

Lauren s’approcha d’Arthur, elle prit son bras et l’aida à se relever, ils continuèrent à marcher sur la plage.

— Comment fait-on pour attendre quelqu’un aussi longtemps ?

— Pourquoi me reparlez-vous de ça ?

— Parce que cela m’intrigue.

— Nous avons vécu le début d’une histoire, elle était comme une promesse que la vie n’a pas tenue ; moi je tiens toujours mes promesses.

Lauren lâcha son bras, Arthur la regarda s’éloigner seule, vers la grève. Il attendit quelques instants pour la rejoindre, elle jouait à effleurer les vagues du bout du pied.

— J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?

— Non, murmura Lauren, au contraire. Je crois qu’il est temps que je rentre, j’ai vraiment du travail.

— Et ça ne peut pas attendre demain ?

— Demain ou cette après-midi, qu’est-ce que cela change ?

— Une envie peut tout changer, vous ne croyez pas ?

— Et de quoi avez-vous envie ?

— De continuer à marcher sur cette plage avec vous à accumuler les gaffes.

— Nous pourrions dîner ensemble ce soir ? suggéra Lauren.

Arthur plissa les yeux comme s’il hésitait. Elle lui donna une tape sur l’épaule.

— Je choisis l’endroit, dit-il en riant, juste pour vous prouver que tourisme et gastronomie ne font pas toujours mauvais ménage.

— Où allons-nous ?

— Au Cliff House, là-bas, dit-il en montrant au loin une falaise.

— J’habite cette ville depuis toujours et je n’y ai jamais mis les pieds !

— J’ai connu des Parisiens qui n’étaient jamais montés sur la tour Eiffel.

— Vous êtes déjà allé en France ? demanda-t-elle, les yeux émerveillés.

— À Paris, à Venise, à Tanger…

Et Arthur entraîna Lauren tout autour du monde, le temps de quelques pas que la mer montante effacerait derrière eux à la tombée du jour.

*

La salle aux boiseries sombres était presque vide. Lauren entra la première. Un maître d’hôtel en livrée vint l’accueillir. Elle demanda une table pour deux. Il lui suggéra d’attendre son hôte au bar. Étonnée, Lauren se retourna, Arthur avait disparu. Elle revint sur ses pas et le chercha dans l’escalier, elle le trouva sur la plus haute marche, il l’attendait, un sourire aux lèvres.

— Qu’est-ce que vous faites là ?

— La salle du bas est sinistre, celle-ci est beaucoup plus gaie.

— Vous trouvez ?

— Tout l’endroit est sinistre, n’est-ce pas ?

Lauren hocha la tête, partagée.

— C’est exactement ce que je me disais. Allons ailleurs.

— J’ai réservé auprès du maître d’hôtel ! dit-elle, gênée.

— Alors ne lui dites surtout rien, cette table sera la nôtre, nous essaierons de nous en souvenir toujours, ce sera là l’endroit où nous n’aurons pas partagé notre premier dîner !

Arthur entraîna Lauren sur le parking de l’établissement. Il lui demanda si elle voulait bien appeler un taxi. Il n’avait pas de téléphone sur lui. Lauren prit le sien et appela la compagnie.

Un quart d’heure plus tard, ils se firent déposer sur la jetée du Pier 39, décidés à tester tous les lieux à touristes de la ville. S’ils n’étaient pas trop fatigués, ils iraient même prendre un verre dans Chinatown, Arthur connaissait un immense bar où des autocars d’étrangers se déversaient du début à la fin de la soirée.

Ils marchaient sur les planches quand Lauren crut reconnaître Paul au loin, il était accoudé à la balustrade, en pleine conversation avec une ravissante jeune femme aux jambes infinies.

— Ce n’est pas votre ami ? demanda-t-elle.

— Si, c’est bien lui, répondit Arthur en faisant demi-tour.

Lauren le rejoignit.

— Vous ne voulez pas que nous allions le saluer ?

— Non, je ne tiens pas à interrompre leur tête-à-tête, venez, allons plutôt par là.

— C’est vous qui redoutez qu’ils nous voient ensemble ?

— Quelle idée, pourquoi pensez-vous une chose pareille ?

— Parce que vous avez eu l’air d’avoir peur.

— Je vous assure que non. Il serait terriblement jaloux que ma première visite ait été pour vous ; suivez-moi, je vous emmène à Ghirardelli Square, l’ancienne chocolaterie est truffée de Japonais à cette heure de la soirée.

Le long de la promenade, la fête battait son plein. Chaque année, les pêcheurs de la ville y fêtaient l’ouverture de la saison de la pêche au crabe.

Le jour avait perdu ses derniers reflets lumière de feu et déjà la lune s’élevait dans le ciel étoilé de la baie. Sur des bûchers, de grands chaudrons d’eau de mer regorgeaient de crustacés que l’on distribuait aux passants. Lauren dégusta du plus bel appétit six gigantesques pinces qu’un marin bienveillant avait décortiquées pour elle. Arthur la regardait se régaler, émerveillé. Elle arrosa ce repas improvisé de trois gobelets pleins à ras bord d’un cabernet sauvignon de la Nappa Vallee. Après s’être léché les doigts, elle se pendit au bras d’Arthur, l’air coupable.

— Je crois que je viens de compromettre notre dîner, dit-elle, un carré de chocolat et je meurs !

— Je crois surtout que vous êtes un peu pompette !

— Ce n’est pas du tout impossible, la mer s’est levée ou est-ce que c’est moi qui tangue ?

— Les deux ! Venez, allons prendre l’air un peu plus loin.

Il l’entraîna à l’écart de la foule et la fit asseoir sur un banc éclairé par un vieux réverbère solitaire.

Lauren posa sa main sur le genou d’Arthur, elle emplit ses poumons de l’air frais du soir.

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