— Oui, dit Alan, déchiré entre l'envie d'en finir et la minuscule lueur d'espoir qu'il voyait poindre.
— C'est oui ? »
Alan se mordilla les lèvres avec embarras.
« Parfait, monsieur Pope. Cartes sur table. Ce matin, j'ai fait virer à votre compte, deux millions de dollars. »
Bannister avait dit vrai !
« Vous conviendrez, je l'espère, que je ne vous tends aucun piège.
— Pourquoi cet argent ? bredouilla Alan.
— Vous êtes dans une sale passe, monsieur Pope. Je veux vous aider. En outre, je ne peux traiter officiellement une affaire qu'avec un homme ayant une certaine surface bancaire.
— Quelle affaire ?
— Une affaire qui devrait vous amuser.
— Qu'attendez-vous de moi ?
— Je veux que vous rachetiez la Hackett. »
Alan se dressa d'un bond.
« Hein ?
— Vous allez racheter la Hackett Chemical Investment, répéta Price-Lynch d'une voix calme.
— Vous êtes fou ?
— A vous d'en juger.
— La Hackett vaut au bas mot 200 millions de dollars !
— Vous disposerez de la somme.
— Personne ne croira qu'ayant été employé de la firme, je puisse la racheter quelques jours après en avoir été vidé ! »
Le rire sans joie de Ham Burger eut la même sonorité que le grincement d'une crécelle rouillée.
« A partir de l'instant où vous pouvez payer, ce que l'on peut croire ou ne pas croire est sans importance, monsieur Pope. On se moque autant de votre passé que de l'origine de vos fonds.
— Et Arnold Hackett, qu'est-ce que vous en faites ? Vous l'escamotez ?
— Hackett n'est pas votre problème.
— Votre opération est irréalisable !
— Pas « mon » opération, monsieur Pope. La vôtre. Elle est toute simple. Je suppose que vous savez ce qu'est une O.P.A. ? Dès demain, en votre nom, vous allez lancer contre la Hackett une offre publique d'achat.
— Mais, monsieur Price-Lynch, même si tous les petits porteurs étaient prêts à céder leurs titres, vous n'arriveriez à rien ! Arnold Hackett est majoritaire ! Il détient 60 p. 100 du capital des titres en circulation ! Tout le monde le sait !
— Monsieur Pope, dit sèchement Ham Burger, si vous saviez aussi bien que moi ce que valent les choses et qui possède quoi, vous seriez aujourd'hui P.D.G. de la Burger à ma place. Quant à moi, je serais à la vôtre, qui n'est pas brillante, il faut bien l'avouer. Contentez-vous donc pour l'instant de faire ce que je vous dis et de grâce, ne pensez pas pour moi ! Pour prix de votre aide, vous recevrez 20 000 dollars à la fin de l'opération. Vous les prélèverez vous-même sur les 1 170 400 dollars que vous allez me restituer. »
Alan changea de couleur.
« Un seul ennui, monsieur Price-Lynch. Cet argent, je ne l'ai plus.
— Pardon ?
— Avec quoi croyez-vous que j'ai joué contre vous hier soir ?
— Vous avez gagné ! s'indigna Ham Burger.
— Contre vous, oui. Pas contre le prince Hadad.
— Vous avez joué contre Hadad ?
— Pas moi. Ma partenaire, Nadia Fischler. Elle a tout perdu.
— Vous croyez que je vais avaler ça ?
— C'est la vérité. Tout le monde est au courant au casino. Renseignez-vous.
— Voleur ! Salaud ! Vous mentez ! Je veux mon argent ! Vous me prenez pour un pitre ? »
Il était debout, poings serrés. Les yeux lui sortaient de la tête.
« Je vous livre aux flics ! Je vais vous en faire coller pour dix ans ! Je vous laisse jusqu'à ce matin dix heures pour me restituer les sommes que vous m'avez escroquées ! Dix heures, vous m'entendez ? Démerdez-vous comme vous voulez avec votre putain ! Et un conseil… N'essayez pas de filer ! Vous êtes déjà sous surveillance ! »
Il balaya d'un revers de main le verre dans lequel il avait bu et sortit au pas de charge. Pétrifié, Alan attendit que se calment les battements de son cœur. Il essaya de réfléchir, de mettre de l'ordre dans ses idées. Price-Lynch lui en avait trop dit. Il était désormais au courant d'un secret dont il ne pouvait rien faire — à quoi bon aller prévenir Hackett ? — mais dont la détention était dangereuse. Les mots de Ham Burger lui revinrent : « Vous êtes déjà sous surveillance. » La meilleure façon de savoir était encore de mettre la menace à l'épreuve. Il jeta dans un sac un jean, quelques chemises et des objets de toilette. Il était trois heures et demie. Dans un peu moins de sept heures, il frapperait à la porte de Terry. La seule chose qui lui importait avant de se retrouver derrière cinq barreaux était son rendez-vous, et ce temps à passer avec elle, que personne ne pourrait lui voler lorsqu'il l'aurait pris. Au cas où il aurait une chance de sortir libre de l'hôtel, il fallait qu'il trouve un endroit pour terminer la nuit. Il se souvint alors de son bateau ! Qui songerait à venir le chercher sur un yacht ? Il se dirigea vers la porte, posa sa main sur la poignée. Derrière le vantail, quelqu'un frappa trois coups secs.
La duchesse l'avait habitué à ses escapades, mais Hubert de Saran était anxieux. Mandy se trouvait à ses côtés au cœur de la bagarre quand il avait brandi un magnum de champagne vide pour le jeter sur une moto. Le temps de le lancer — il avait d'ailleurs raté sa cible — elle n'était plus là. Dans la cohue qui avait suivi l'arrivée de police-secours, la disparition de la duchesse était passée inaperçue. Chacun recensait ses plaies et ses bosses, faisait l'inventaire des bijoux disparus, des vestes déchirées. Pensant qu'elle avait eu une aventure furtive, le duc était retourné discrètement au Majestic. Il avait pris une douche et enfilé sur son pyjama une robe de chambre en soie frappée à ses armoiries. Maintenant, assis devant son téléphone, il se demandait s'il allait appeler la police. Il entendit grincer la clef dans la serrure. Le temps de se retourner, la duchesse était dans le salon.
« Mandy ! Que vous est-il arrivé ? J'étais mort d'inquiétude ! »
Il vit avec stupeur que sa robe de mousseline noire était en lambeaux, qu'un talon manquait à l'une de ses chaussures, que ses cheveux décoiffés étaient maculés de taches.
« Mandy ! »
D'un geste de la main, elle lui fit signe de se taire. Elle s'appuya contre le mur, ferma les yeux et respira doucement par le nez avec une espèce de sifflement. Sa poitrine se soulevait avec des saccades convulsives. Il s'approcha d'elle.
Elle dégageait une odeur d'huile et de cambouis.
« Mandy, que vous ont-ils fait ?
— Laissez-moi souffler, Hubert… »
Il l'examina de plus près. Elle avait des marques suspectes sur le cou ressemblant à des traces de strangulation. Elle surprit son regard.
« Ce n'est rien, dit-elle d'une voix qui n'était plus la sienne. Regardez… »
Elle souleva les pans de sa robe du soir ravagée. Le duc blêmit en voyant les zébrures rouges qui marquaient sa peau.
« Ils m'ont fouettée, Hubert. »
Les yeux exorbités, il ne pouvait s'arracher à la vision de ces longues cuisses de nacre rayées de stries où perlaient des gouttes de sang.
« Ils vous ont violée ? » demanda-t-il en tremblant.
Elle confirma de la tête.
« Sur leurs motos.
— Combien étaient-ils ?
— Je ne sais plus.
— J'appelle la police !
— N'en faites rien, Hubert », protesta-t-elle faiblement.
Elle fixa intensément un point situé derrière le dos du duc et ajouta dans un râle extasié :
« C'était formidable, Hubert… Formidable ! »
Honor Larsen s'encadra dans l'embrasure de la porte qu'il bouchait presque totalement de sa carrure colossale. Il vit le sac que Alan tenait à la main.
« Vous alliez partir ?
— Pas du tout ! »
Larsen était toujours en smoking. Alan l'avait vu faire le coup de poing contre les motards qui avaient envahi le Beach. Pourtant, il était frais et impeccable.
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