Bill porta une main à son entre-jambe et ouvrit son pantalon, en restant allongé sur le ventre. Et il commença à se caresser le membre.
Au fur et à mesure que Ruth se déshabillait, Bill la voyait se couvrir de sang. Et pourtant, il ne se passait rien : il n’était pas excité. Mais ensuite, alors qu’il s’apprêtait à ôter la main de son sexe inerte, quelque chose se produisit dans sa tête : il entendit un ronflement lent et sourd, un obturateur qui s’ouvrait et se refermait régulièrement, et la pellicule qui avançait dans le rouleau denté en s’imprimant. Et c’est alors qu’il sentit un agréable fourmillement entre ses jambes. Et son sexe se durcit.
Et pendant qu’il se touchait, de plus en plus frénétiquement, il imagina que cette première violence était filmée. Cette nuit magnifique où il avait découvert sa propre nature. Jusqu’à ce qu’il atteigne l’orgasme.
Il resta alors immobile quelques minutes. Sa main, son ventre et le lit étaient collants à cause du liquide chaud qu’il avait fait gicler. Enfin il se retourna. Il tendit le bras vers le récepteur du téléphone, le souleva et attendit.
« Bonjour, M. Fennore, grésilla la voix du portier.
— Lester, dis à la noire de venir changer les draps ! ordonna Bill.
— Vous savez qu’on n’est pas lundi, n’est-ce pas, M. Fennore ?
— Un demi-dollar, oui je sais, Lester » répondit Bill avant de raccrocher.
L’imposant bonhomme s’installa juste devant le gros poste de radio, poussant les autres clients qui, à sept heures et demie du soir, se pressaient chez Lindy pour écouter Diamond Dogs tout en dégustant un morceau de cheesecake .
« Hep, ça c’est ma place ! lança quelqu’un derrière lui.
— Ah bon ? Et c’est écrit où ? répondit le type sans même se retourner.
— J’ai pas besoin d’l’écrire, pousse ton gros cul d’là ! insista la voix.
— Mais c’est qu’tu cherches les ennuis ! » s’exclama l’autre. Il regarda enfin derrière lui. Ses mains énormes formaient des poings et il avait une expression menaçante sur le visage. Mais dès qu’il reconnut celui qui se trouvait là, il pâlit, se leva d’un bond et ôta son chapeau :
« Oh, excusez-moi, M. Buchalter… je… je savais pas… »
Lepke Buchalter ne répondit rien et se tourna vers le comptoir.
« Leo, explique donc à cet abruti qui c’est qui t’a offert le poste ! s’exclama-t-il en parlant à Leo Lindermann, le propriétaire de ce café sur Broadway.
— Qui t’a obligé à le prendre, tu veux dire ! corrigea la femme de Leo.
— Ne te plains pas, Clara ! Avoue que tu n’y as pas perdu tant que ça ! fit Arnold Rothstein qui entrait à ce moment-là, sourire aux lèvres. Grâce à ce poste, à sept heures et demie, ton bar est plein à craquer !
— Ben oui, c’est vrai, c’était une bonne idée ! rit Clara. Mais si vous voulez du cheesecake , dépêchez-vous de passer commande, Mr. Big ! Y’en a presque plus.
— Une double portion ! » lança Rothstein tout en rejoignant Lepke.
Le gros type rentra encore plus la tête dans les épaules et commença à reculer, mais il trébucha et s’affala sur une table. Les gens réunis dans le bar — essentiellement des hommes de Rothstein — éclatèrent de rire.
« Maintenant, taisez-vous ! ordonna Rothstein en s’asseyant. Je veux entendre le p’tit gars. Monte le son, Lepke !
— Bonsoir mesdames et messieurs, et bienvenue dans votre radio clandestine, annonça la voix de Karl. Vous êtes sur le point d’entendre un nouvel épisode de Diamond Dogs .
— Chut ! » cria Lepke.
Clara et Leo Lindermann posèrent les assiettes qu’ils faisaient passer en cuisine, afin de mieux entendre.
« Vous êtes bien sur la CKC ! la voix de Karl résonna encore.
— Leo, je t’ai dit que j’étais actionnaire de cette radio ? fit Rothstein.
— Cent fois, Mr. Big ! répondit Leo.
— Eh bien il faudra t’y habituer : je vais te le dire encore quatre cents fois, vu que j’ai parié cinq cents dollars ! s’esclaffa Rothstein. (Puis, après avoir jeté un œil autour de lui, il se tourna vers Lepke). Et Gurrah, il ne vient pas ?
— Il a été bloqué à Brownsville pour une affaire urgente, répondit Lepke. Il écoute sûrement le programme chez Martin. Et comme j’le connais, j’suis sûr qu’il est en train de râler parce que les sandwiches sont dégueulasses !
— Bonsoir, New York… » fit la voix chaleureuse de Christmas dans le poste.
Soudain, chez Lindy, on n’entendit plus un souffle.
« Cette histoire se passe par une nuit obscure, New York, poursuivit la voix de Christmas. Parce que la vie des gangsters, c’est pas juste les belles bagnoles et les filles renversantes… Il y a aussi les sales boulots. Ceux que personne ne veut faire… et pourtant il faut les faire, et bien !
— C’est vrai ! commenta un voyou avec deux longues cicatrices qui lui barraient le visage, coupant son œil droit, aveugle.
— Silence, connard ! interrompit Lepke. Qu’est-c’que t’en sais, toi, des boulots bien faits ?
— L’histoire de ce soir est triste et dure… et si elle vous effraie trop, eh bien… vous n’êtes pas faits pour New York. Alors suivez mon conseil : ne changez pas seulement de fréquence, mais aussi de ville…, continuait Christmas.
— Il sait y faire, le gosse, hein ? » chuchota Lepke à l’oreille de Rothstein.
Celui-ci sourit avec un sourire plein de fierté :
« J’ai misé sur le bon cheval !
— C’est une histoire qui illustre tout ce qu’on est obligé d’inventer pour survivre dans cette jungle. Évidemment, je ne donnerai aucun nom : j’ai appris que pas mal de fonctionnaires de notre bien-aimée police nous suivent… Bonsoir, capitaine McInery, comment va votre épouse ? Et bonsoir au sergent Cowley, de la part de la CKC… Vous êtes là aussi, M. Farland, M. le procureur du district ? Vous prenez des notes ? »
Tous les gangsters réunis chez Lindy se mirent à rire.
Même chose chez Martin, à Brownsville. Là, comme Lepke l’avait prédit, Gurrah Shapiro venait de jurer en mordant dans un sandwich qui ne valait pas la moitié d’un énorme combo sandwich de chez Lindy.
Les gangsters réunis dans le club-house du Bowery et ceux de la salle de billards de Sutter Avenue riaient de concert.
« Bref, reprit Christmas, un soir, il y a quelque temps de cela, un type devait disparaître… définitivement, si vous voyez ce que je veux dire. Mais ceux qui devaient le faire disparaître étaient sous surveillance : il y a comme ça de sales jours où tous les flics ont les yeux braqués sur nous. Ça arrive. Mais parfois, il faut aussi se dépêcher de faire taire certains bavards — ça aussi, ça arrive. Alors, que faire ? Se servir de son cerveau. Et il arrive que le hasard te donne un coup de main. Même si c’est un hasard cruel. Dans notre cas, il se trouve que le père du gars qui doit faire disparaître le bavard est mourant et se trouve dans son appartement, juste au-dessus du garage que le fils dirige. Du coup, qu’est-ce qu’il fait, le gars ? Il attire celui qui doit disparaître dans son garage et, avec l’aide de complices, il le liquide. Ensuite, il file deux gros biffetons à un jeune qui va conduire une voiture volée jusqu’à un terrain vague et l’abandonner là, avec le cadavre à l’intérieur. Et comme ça, le lendemain, quand les flics font irruption dans la maison du suspect, ils trouvent tout le monde au chevet du père. Alors ils enlèvent leur casquette, s’excusent et baissent la voix. Le cas est archivé et ne sera jamais résolu… »
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