Bill but encore un coup. La tête lui tournait et il se sentait de plus en plus exalté. Il avait l’impression d’être invincible. Et aussi un peu ivre :
« Et Arty Short, c’était qui, avant le Punisher ? s’exclama-t-il d’une voix pleine de mépris. Un maquereau ! Rien d’autre qu’un maquereau qui tournait des petits films de putains minables. Comme tous les autres maquereaux de Los Angeles. Merde, d’après toi, tu serais qui, sans le Punisher ? Un mac, Arty. T’es qu’un mac, pas un réalisateur ! Un mac de merde ! »
Arty se figea. Bill s’approcha de lui, en le fixant droit dans les yeux. Il avait un regard sombre, froid et impassible. Arty recula un peu. Bill se planta face à lui. Arty, secouant la tête, tenta de détourner le regard. Bill le saisit par le cou :
« “Je ferai de toi une star”, c’est vrai, c’est c’que tu m’as dit ce jour-là, fit Bill sans lâcher prise. T’arrêtes pas de m’le répéter, et t’arrêtes pas de t’répéter aussi que t’as été un sacré malin. Mais est-ce que tu t’demandes des fois c’que j’ai pensé, moi, ce soir-là, avant que tu parles ? Dis, t’y as jamais réfléchi, Arty ?
— Tu me fais mal… » protesta le réalisateur.
Bill se mit à rire :
« Tu veux savoir ce que j’ai pensé, moi, quand je t’ai découvert là ? »
Il le fixa un instant en silence avant d’approcher les lèvres de son oreille :
« Je me suis dit que j’allais te tuer, Arty » chuchota-t-il.
Alors il relâcha sa prise, le laissant reprendre son souffle, retourna s’asseoir et se versa une autre rasade de whisky.
« Et ça, tu devrais y réfléchir ! Si t’avais pas eu ton idée brillante, à l’heure qu’il est, tu serais un maquereau crevé ! »
Arty esquissa un demi-sourire et un petit rire gêné, avant d’aller s’asseoir devant Bill :
« Mais pourquoi est-ce qu’on en arrive là ? Pourquoi tu t’emballes ? De quoi on parle ? De deux mille dollars par film ? Eh ben, si c’est ça…
— À partir de maintenant, on fait cinquante cinquante, l’interrompit Bill.
— Hein ?
— Tu deviens sourd, Arty ?
— Pardon, mais réfléchis un peu… j’ai un tas de frais, moi ! La pellicule, le personnel, la location du studio…
— On décomptera les frais et on partagera ce qui reste moitié moitié.
— Mais tu comprends pas…
— Si, je comprends très bien. On tiendra un livre de comptes où on inscrira la moindre épingle à cheveux. Si les techniciens veulent une augmentation, on en parle ensemble. S’il faut acheter de la pellicule, on le fait ensemble. S’il faut fabriquer un décor, on compte chaque poteau et chaque pot de peinture. Je contrôlerai le moindre centime, Arty ! Et si t’essaies d’me rouler, j’te casse la gueule et j’me trouve un autre réalisateur. C’est clair ? » et Bill descendit une autre gorgée de whisky.
Arty secouait la tête et regardait le sol, cherchant des arguments :
« Mais c’est que… c’que tu comprends pas, c’est que… c’est pas qu’une question de livres de comptes… c’est toute une organisation, c’est compliqué… » Arty passa une main sur la peau grêlée de ses joues. Il respira à fond. Puis il leva les yeux et regarda Bill. Maintenant, il était tout rouge :
« Moi, j’ai les relations ! » cria-t-il d’une voix étranglée.
Se penchant par-dessus la table, Bill l’attrapa par le col de la veste et l’attira vers lui :
« Et moi, j’ai la bite ! Et les couilles ! Et la rage, Arty ! »
Il le lâcha.
« Moi, j’ai la rage » répéta-t-il à voix basse.
Puis les deux hommes demeurèrent un instant silencieux. Bill avait le regard du vainqueur. Arty rentrait le cou et la tête dans les épaules.
« Bon d’accord, finit par lâcher Arty. On est associés ? »
Bill se mit à rire :
« T’as fait l’bon choix, mon ami ! »
Arty sourit et descendit un autre verre de whisky.
« Allez, alors il faut fêter ça avec les Jumelles ! s’exclama-t-il.
— J’en ai rien à foutre, fit Bill en haussant les épaules.
— Eh, les morues ! cria Arty. Sortez des chiottes ! »
Les filles ouvrirent la porte, leur habituel sourire aux lèvres.
« Commencez donc ! » ordonna Arty en indiquant le lit du menton.
Elles se jetèrent sur le lit en riant et commencèrent à s’embrasser et à se déshabiller.
Arty quitta le fauteuil et se mit à les regarder. Il se tourna vers Bill :
« Viens donc, associé ! l’invita-t-il.
— Ça m’dit rien, répondit Bill. T’as qu’à t’les taper, toi ! »
Arty colla une claque sur les fesses rebondies de la blonde.
« Allez, associé, regarde toute la viande qu’y a ! » rit-il.
Puis il se laissa faire par les jeunes femmes qui l’entraînèrent sur le lit, le déshabillèrent et le comblèrent de leurs attentions.
Bill continua de boire. Et il regarda l’érection d’Arty : tellement prête, tellement immédiate, tellement mécanique. À présent qu’il pouvait avoir toutes les salopes qu’il voulait, Bill n’arrivait plus à baiser, dans la vie normale. Il ne bandait plus. Il n’était jamais assez excité. Il avait aussi essayé en frappant quelques garces, mais il ne parvenait pas à avoir une érection décente.
La brune avait attaché un phallus artificiel devant son sexe et pénétrait la blonde par derrière, tandis que celle-ci suçait le membre d’Arty.
« Tu devrais te faire monter un miroir ! conseilla Arty à Bill.
— Oui oui » fit distraitement Bill, buvant à nouveau.
La bouteille était presque vide. Il n’y avait que sur les plateaux qu’il y arrivait à tous les coups. Désormais, même la violence ne lui suffisait plus. Ce qui l’excitait, c’était le ronflement sourd de la caméra. La célébrité.
« Fais-le venir ! » demandait pendant ce temps Arty à la brune.
La fille quitta le lit et rejoignit Bill à pas lents et provocants, la verge artificielle rigide ballotant devant elle. Elle se planta devant lui. Phallus pointé en avant. À la hauteur du visage de Bill.
« Tu l’as jamais fait avec un mec ? » lui demanda-elle en passant la main sur ses seins minuscules.
Bill se leva d’un bond et lui flanqua un poing un plein visage :
« Va t’faire foutre, pétasse ! » hurla-t-il. Et puis il la cribla de coups de pied.
« Cochrann ! Merde, Cochrann ! cria Arty. Me l’abîme pas, bordel ! »
Bill s’arrêta, haletant. Il avait la tête qui tournait. Il avait trop bu. La fille était encore à terre, recroquevillée en position fœtale pour se protéger des coups.
« Cassez-vous ! ordonna Bill d’une voix empâtée par l’alcool.
— Cochrann, merde, qu’est-c’qui t’arrive ? s’exclama Arty, poussant la blonde et s’asseyant au bord du lit.
— Dehors ! » brailla Bill. Il avait le regard embrumé et les yeux rougis. Il titubait.
La brune se releva et porta une main à sa lèvre. Elle saignait un peu. Elle ôta le phallus artificiel et commença à se rhabiller, imitée par la blonde. Arty demeurait assis sur le lit et secouait la tête. Puis il soupira, se leva et se rhabilla.
« Demain je serai au montage, l’informa Arty tout en ouvrant la porte de la chambre. T’as envie de venir jeter un œil ? »
Bill acquiesça sans le regarder.
Arty et les filles sortirent en fermant la porte derrière eux.
Dès qu’il fut seul, Bill se laissa tomber sur le lit. Le visage enfoncé dans l’oreiller et les yeux clos. Le noir dans lequel il plongeait semblait tourner autour de lui. C’est alors que, dans ce tourbillon noir, l’image d’une femme commença à se former. Ou plutôt, celle d’une fillette. Avec une robe blanche à volants bleus. Une robe d’écolière. De longues boucles noires retombaient sur ses épaules. Une fille de treize ans. Ruth. Au début, Bill eut peur d’être tourmenté par l’un de ses cauchemars habituels. Ruth venait le tuer, une fois encore. Mais non, la jeune juive lui souriait et puis commençait à se déshabiller. Sa robe s’en allait par lambeaux, comme si elle l’arrachait.
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