— Diana, c’est ça ?
— Non, Diane. Qu’est-ce que tu veux ?
— Il paraît qu’Edward a volé à ton secours, la nuit dernière ?
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— Ne lui tourne pas autour. Il est à moi.
Je lui ris au nez.
— Tu peux rire, je m’en moque. Ne perds pas ton temps. Tu n’es pas son genre. Franchement, regarde-toi.
Elle affichait une mine dégoûtée.
— Tu n’as rien trouvé de mieux ? lui demandai-je. Parce que si tu crois que je vais te laisser la place, tu peux toujours courir.
Elle eut un sourire mauvais.
— Tu l’as apitoyé sur ton sort, c’est ça ? questionna-t-elle.
J’eus la respiration coupée, mes jambes se mirent à flageoler, des larmes embuèrent mes yeux, je m’accrochai au chambranle de la porte.
— Pauvre petite chose, ajouta Megan.
J’entendis vaguement le bruit d’un moteur. Elle ricana.
— Parfait, voilà Edward. Il va te voir sous ton meilleur jour.
Il sortit de la voiture et vint nous rejoindre aussitôt.
— Que fais-tu ici ? demanda-t-il à Megan.
Je gardai volontairement la tête baissée.
— J’ai appris le malheur qui frappait Diane, je suis venue lui présenter mes condoléances pour son mari et sa fille.
Elle transpirait de sincérité.
— Tu as fini ?
Le ton de sa voix fut tellement cassant que je levai la tête, il la fusillait du regard. Elle affichait désormais un visage débordant de sollicitude. Elle se tourna vers moi, posa une main sur mon bras.
— Je suis désolée, je ne voulais pas remuer le couteau dans la plaie. N’hésite pas, si tu as besoin de nous. Et puis, dès que tu te sentiras mieux, nous irons prendre un verre entre filles. Ça te fera du bien…
— C’est bon Megan, la coupa Edward. On a compris. Prends les clés et va à la maison.
Elle me fit une bise. Le baiser de Judas. Elle tourna les talons, mais se ravisa très vite.
— Edward, tu viens ?
— Non, je dois parler avec Diane.
Elle encaissa en souriant. Mon moral se regonfla d’un coup. Elle s’approcha de lui.
— Prends ton temps, je vais nous préparer un petit dîner en amoureux.
Elle se hissa sur la pointe des pieds et l’embrassa à la commissure des lèvres. Je vis la main d’Edward se poser sur sa taille. Comme un ballon de baudruche percé, je me dégonflai à nouveau. Megan me fit un clin d’œil et partit vers chez Edward. Je savais que je le regardais avec des yeux de merlans frits, mais je n’y pouvais rien. Il se passa la main dans les cheveux, il me fuyait du regard. Visiblement, il se demandait pourquoi il était resté avec moi. J’allais lui faciliter les choses.
— Ne la fais pas attendre.
— Qu’est-ce qui t’a pris, l’autre soir ?
— Il fallait que je noie mes regrets.
Nous nous regardâmes droit dans les yeux un long moment.
— Qu’attends-tu de moi ? finit-il par me demander.
— Que tu prennes ta vie en main, et… certaines décisions.
Il s’alluma une cigarette et me tourna le dos.
— C’est compliqué. Je ne peux pas te répondre, pas maintenant.
Il partit sans un mot de plus.
— Edward.
Il s’arrêta.
— Ne m’exclus pas de ta vie.
— Même si je le voulais, ce serait impossible.
Là-dessus, il partit chez lui. Megan devait nous surveiller, elle sortit quand il arriva sur le perron. Elle l’attira à elle et l’entraîna à l’intérieur. La guerre avait commencé, et Megan avait déjà un sacré avantage. Elle le connaissait parfaitement, elle savait que lui dire et quand. Ils avaient un passé commun qu’elle pouvait utiliser comme une arme. Moi, avec lui, je marchais toujours sur des œufs. À part des querelles de voisinage plus ou moins violentes et une trêve de quelques semaines, au final qu’avions-nous partagé avec Edward ? Je m’endormis sur cette question.
Ça ne voulait rien dire, mais Megan n’avait pas passé la nuit chez lui. Elle venait d’arriver. Edward était depuis un bon moment sur la plage, armé de son appareil photo. Je ris toute seule en regardant Megan essayer d’avancer dans le sable chaussée de ses stilettos. Je crus faire pipi dans ma culotte quand Postman Pat lui sauta dessus. Ce chien extraterrestre était définitivement mon meilleur ami. Il s’était baigné et roulé dans le sable peu de temps avant, et le magnifique manteau en cachemire de Megan venait d’en faire les frais. D’un seul coup, la lumière fut. Je savais ce que je partageais avec Edward, et Megan était incapable de rivaliser avec moi sur ce terrain.
Mon bonnet et mon écharpe, en pure laine de mouton évidemment, seraient mon atout séduction. Incroyable. Je marchais vers la plage, le cœur léger et déterminée à montrer à cette dinde qu’elle ne m’avait pas écartée. Elle ne me remarqua pas, juste derrière elle. Elle parlait toute seule.
Pas moyen de moisir dans ce trou. Je vais le rapatrier à Dublin vite fait bien fait. Et il piquera son chien pourri par la même occasion.
Ah la saleté !
— Salut Megan ! dis-je en passant devant elle.
Je sifflai. Postman Pat courut vers moi. Il me sauta dessus, je restai debout et le caressai. Il jappa dans tous les sens quand il me vit attraper un bâton. Je le lui lançai, fis un clin d’œil à ma rivale et partis sur la plage. Edward me remarqua de loin. Je lui fis un signe de la main et continuai à jouer avec le chien. Il savait que j’étais là, ça suffisait. Subtilement, je m’approchai de lui, mais sans le regarder, toujours en me concentrant sur le chien.
— Diane, l’entendis-je m’appeler.
Je dissimulai non sans mal mon sourire. Avant que je n’aie le temps de me retourner vers lui, Postman Pat me fonça dessus. Normal, j’avais le bâton dans la main. Je m’écroulai dans le sable. Je fus secouée par un fou rire totalement incontrôlable. C’était exactement ce que je voulais. Et mon acolyte y mit du sien en venant me lécher le visage. On m’enleva le bâton des mains, et Postman Pat déguerpit. J’ouvris les yeux. Edward était au-dessus de moi, une jambe de chaque côté de mon corps. Je remarquai ses traits tirés, ses yeux cernés. Mais il me souriait.
— Si tu voyais dans quel état tu es !
— Si tu savais comme je m’en moque !
Il me tendit les mains, je les attrapai, et il m’aida à me relever. On resta liés quelques instants. Puis, avec son pouce, il ôta un peu de sable de sur ma joue. Je retrouvai sur son visage les marques de tendresse qu’il avait eues pour moi ces derniers temps. C’était l’occasion.
— Tu marches un peu avec moi ? lui proposai-je.
Sa main, toujours sur ma joue, retomba et il jeta un coup d’œil en direction de la mer, puis se retourna vers moi.
— J’allais rentrer, j’ai des tirages à faire.
La récréation était finie. Il alla récupérer son matériel photo. Je soupirai. Mais quelle ne fut pas ma surprise de le voir de nouveau s’approcher de moi.
— Tu es toujours intéressée par les photos des îles d’Aran ?
— Bien sûr.
— Viens avec moi alors, je vais te les donner.
Nous remontâmes toute la plage, sans échanger un mot. Durant quelques instants, j’oubliai presque Megan. Elle nous attendait, appuyée contre sa voiture.
— Que fais-tu là ? lui demanda Edward brutalement. Tu détestes la plage jusqu’à preuve du contraire.
— Je voudrais te voir, il faut que je te parle de mes projets.
— Je n’ai pas le temps là, j’ai du boulot.
— Je peux attendre.
Edward poursuivit son chemin, je le suivis, et Megan me suivit. En quelle langue fallait-il lui parler pour qu’elle comprenne qu’elle dérangeait ? Il ouvrit sa porte et pénétra chez lui. Je restai sur le seuil. Megan me bouscula sans qu’il s’en rende compte et le suivit dans l’entrée.
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