— Diane.
— Quoi ?
— Tu l’aimes ?
— Je crois… il y a un truc qui me pousse vers lui. Quand on était tous les deux, j’étais bien… mais, ça ne change rien, même s’ils ne sont pas mariés, ils sont ensemble.
— Non, tu te trompes.
Judith s’écroula dans le canapé, s’alluma une cigarette et m’observa en plissant les yeux.
— S’il apprend que je t’ai raconté ça, il me tue. Mais, je m’en fous. Assieds-toi.
Je lui obéis.
— Tu sais, son caractère de chien n’est pas dû qu’à la mort de nos parents. La relation qu’il a eue avec Megan lui a foutu sa vie en l’air. C’est bien pour ça que j’ai débarqué comme une furie, après l’appel affolé d’Abby.
— Mais qu’est-ce que c’est que cette nana ?
— Une arriviste. Une tueuse. Une garce. Elle a toujours voulu réussir dans la vie et avoir une position sociale. Par tous les moyens et en utilisant tout le monde. Elle est partie de rien, elle s’est faite toute seule, elle a bossé comme une malade pour en arriver où elle en est. Elle est chasseuse de têtes dans le plus gros cabinet de recrutement de Dublin. Elle renierait père et mère sans aucun problème pour parvenir à ses fins. Elle est sans pitié, intelligente, vicieuse, et surtout manipulatrice.
— Et c’est le genre de femme qu’il aime ?
— Je n’en sais rien, mais c’est la seule relation de couple qu’il a eue.
— Cette femme serait l’amour de sa vie ?
— En quelque sorte. Ce qu’il faut que tu saches, c’est qu’avant qu’il la rencontre, Edward ne voulait pas s’engager.
— Pourquoi ?
— Il a toujours pensé que les relations de couple étaient vouées à l’échec. Pour lui, tu aimes et ensuite tu souffres parce que tu seras trahi et abandonné. Alors il a toujours enchaîné les aventures sans lendemain, jusqu’au jour où il a croisé son chemin. Au début, il la voulait comme trophée de chasse. Elle l’a fait mariner. C’est une vraie mante religieuse. Elle l’a serré de tous les côtés avant de céder à ses avances. Edward a été séduit par sa détermination, son assurance et sa rage. Et puis après, elle a enfoncé le couteau en l’abreuvant de belles paroles, elle a joué la sainte-nitouche, qui veut fonder une famille, qui croit à l’amour…
— Et toi, tu ne la croyais pas ?
— J’ai commencé à mener ma petite enquête sur elle. Je ne la sentais pas. Trop mondaine, trop mielleuse pour être honnête. J’ai appris qu’en fait elle connaissait Edward de vue et qu’elle le voulait. Son image d’artiste sombre et torturé allait lui servir. Pour elle, c’était le moyen d’adoucir sa réputation de requin. J’ai tout balancé à Edward et j’ai failli le perdre. On ne s’est pas adressé la parole pendant des mois.
— Comment ça s’est fini entre eux ?
— Sacrée histoire. À cette époque, Edward traversait une période de doute dans son boulot. Il bossait pour un magazine, mais il voulait se mettre à son compte. Megan était farouchement opposée à son projet. J’ai toujours pensé qu’elle avait peur que son train de vie diminue. Enfin, bref. Mon frère a toujours été ce qu’il est, mais là, forcément ça atteignait des sommets. Il était frustré, il piquait de colères effrayantes. Il ne faisait pas bon être dans la même pièce quand ils s’engueulaient. Il avait pourtant besoin d’elle et de son soutien. Mais voilà, à se comporter comme un trou du cul, il l’a poussé à la faute. Tu me diras, il ne lui fallait pas grand-chose.
— Tu peux développer ?
— Edward était parti en reportage. Quand il est revenu, il l’a trouvé dans leur plumard avec un de ses collègues.
— Quelle horreur.
— Il a pété la gueule du mec. Celui-là, il ne doit la vie qu’aux supplications de Megan. Après, Edward a chargé toutes ses affaires dans sa bagnole. Elle l’a supplié de rester, elle lui a promis que ça ne se reproduirait plus, qu’ils pouvaient surmonter ça ensemble, qu’elle l’aimait plus que tout. Tu te doutes bien qu’il n’a rien voulu entendre.
— Un peu normal, non ?
— Il avait prévu de la demander en mariage dès que ses problèmes de boulot seraient réglés. Tu peux imaginer sa descente aux enfers.
— Comment s’en est-il sorti ?
— Ben, comme tu le vois. Il est passé dans un refuge prendre son clébard. Il a taillé la route jusqu’aux îles d’Aran. Il a disparu de la surface de la terre pendant plus de deux mois. Personne ne savait où il était. J’avais même commencé à réfléchir à un avis de recherche. Et puis un jour, il a débarqué ici pour réclamer à Abby et Jack les clés de la maison de nos parents. Et il s’y est installé. À partir de là, il a décidé que plus aucune femme ne le ferait souffrir et qu’il resterait seul.
— Pourquoi Megan est-elle là ? Qu’est-ce qu’elle veut ?
— Lui. À sa façon, elle l’aime. Elle ne l’a jamais oublié. Ça fait cinq ans qu’elle fait tout pour le récupérer. Elle est même venue pleurer dans mes pattes. Megan reste la seule femme qu’il ait aimée. Malgré tout ce qu’elle lui a fait, je sais bien qu’ils se voient de temps en temps quand il vient à Dublin pour le boulot. À croire qu’elle le traque ! Elle sait toujours où le trouver. Et comme par hasard, quand ils se rencontrent, Edward ne passe jamais la nuit chez moi. C’est comme un drogué qui rechute après une cure.
— Elle le tient, quoi qu’elle fasse.
— Je dirais plutôt qu’elle le tenait. Parce que tu es arrivée et tu l’as changé. Je ne sais pas comment tu as fait. Tu dois avoir un secret. Tu lui sortais par les trous de nez à Noël, et il t’a amenée dans son refuge. Les îles d’Aran sont comme une terre sacrée pour lui.
— Ça me fait une belle jambe !
Je n’arrivais pas à rester en place. J’attrapai mon paquet de cigarettes et en allumai une. Je pris une profonde bouffée pour tenter de me calmer.
— Je suis inquiète pour lui, déclara Judith. Au moment même où il était prêt à se laisser aller avec toi, à tenter quelque chose, Megan débarque, lui jure par tous les saints qu’il n’y a que lui dans sa vie et qu’elle est prête à venir vivre ici. Il va devenir dingue.
— Il n’a pas essayé de me retenir quand elle est arrivée et il m’a envoyée paître quand je suis allée lui demander des explications. Pour moi, c’est très simple, son choix est fait. Elle vit chez lui, non ?
— Non, il l’a envoyée à l’hôtel. J’ai vu sa réaction cette nuit, il était fou d’inquiétude quand le patron du pub lui a téléphoné. Et après, quand il t’a vu avec l’autre type… franchement, il m’a fait peur.
— Admettons que je te croie, je fais quoi maintenant ?
— Mais tout. Tu dois tout faire. Tu le veux, oui ou non ?
Je me tournai vers la baie vitrée pour chercher Edward du regard. Il était toujours sur la plage plus seul et plus beau que jamais.
— Bien sûr.
— Alors bouge-toi. Séduis-le, va remuer tes fesses sous son nez, fais-lui comprendre que c’est toi la femme de sa vie, et pas cette garce. Sors les crocs, et le reste. Ça ne va pas être une bataille à la loyale, entre elle et toi, tous les coups seront permis. Il va falloir t’armer de courage pour briser sa carapace. Et sache qu’il peut aussi bien vous envoyer bouler toutes les deux et disparaître dans la nature.
Judith venait de partir. Elle m’avait fait jurer sur la Bible de passer au plus vite à l’attaque. Sauf qu’avant de me jeter dans la bataille, je devais impérativement me remettre de ma gueule de bois. Alors que je m’apprêtais à me coucher comme les poules, on frappa à ma porte. Cette maudite journée n’allait donc jamais finir. J’étais tellement sur les nerfs que je faillis éclater de rire en découvrant la fameuse Megan devant moi. Aucun répit. Elle me regarda des pieds à la tête, et j’en profitai pour l’inspecter. C’était la première fois que je la voyais de si près. Elle était d’une beauté froide, la tête haute, le regard fier et affûté. N’importe quelle femme à côté passait pour une gamine à la sortie du lycée. C’était la femme d’affaires sexy en week-end, avec son jean de luxe, ses escarpins vertigineux sans aucune tache de boue et ses ongles manucurés. Autant le reconnaître, mon look lendemain de fête ne jouait pas en ma faveur.
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