— Lâche-moi, je vais l’étriper.
— Ça ne vaut pas le coup, me répondit-il en resserrant sa prise autour de moi.
Je lançai mes pieds pour pouvoir lui donner un bon coup d’escarpins pointus.
— Protège tes bijoux de famille, connard, hurlai-je.
— Enferme-la, tonna Edward. C’est une folle furieuse.
— Ta gueule.
La réplique de Félix me fit arrêter de gesticuler. Quant à Edward, il parut décontenancé et le fixa, les yeux grands ouverts. Puis il secoua la tête.
— Aussi givrés l’un que l’autre, marmonna-t-il, prêt à rentrer chez lui.
— Reste là, on n’en a pas fini, lui dit Félix.
Il me posa, et prit mon visage en coupe.
— Tu vas me promettre de rentrer chez toi, et d’y rester, d’accord ?
— Non.
— Laisse-moi régler ça. Va te mettre au lit et dors. On se voit demain. Fais-moi confiance, tout ira bien.
Il embrassa mon front et me poussa plus loin. Je titubais plus que je ne marchais, en me retournant tous les deux pas. Félix et Edward étaient toujours au même endroit, je n’entendais rien de leur accrochage.
Arrivée chez moi, je me traînai et me glissai sous la couette. Malgré mon inquiétude pour Félix, j’étais épuisée. La tension, l’alcool, la fatigue vinrent à bout de mes résistances.
Bouger dans mon lit me faisait mal au crâne. J’essayais péniblement d’ouvrir les yeux, ils me piquaient. J’avais la bouche pâteuse et des courbatures. Avant d’avoir posé le pied par terre, je savais que la journée serait interminable. Ça m’apprendrait à faire la folle en soirée. J’ouvris les rideaux pour tenter de me réveiller. À qui était cette voiture garée devant chez moi ? Je sentais qu’il me manquait un détail énorme à propos de la veille. Mon premier shoot de caféine de la journée me remettrait les yeux en face des trous. La descente des marches fut douloureuse, tant j’avais mal aux cheveux. Il y avait un corps étalé sur mon canapé. La brume se dissipa.
Félix.
Il avait un bras et un pied qui traînaient par terre. Il était toujours habillé et ronflait comme un camion. Son visage restait invisible.
— Réveille-toi, lui dis-je en le secouant.
— Tais-toi, je veux dormir.
— Comment vas-tu ? Tu te sens bien ?
— J’ai l’impression d’être passé sous un rouleau compresseur.
Il s’assit, garda la tête baissée et se frotta le crâne.
— Félix, regarde-moi.
Il leva la tête vers moi. Son arcade sourcilière était fendue, et il avait un bel œil au beurre noir. Il s’enfonça dans le canapé, se tint les côtes et grimaça de douleur. Je m’approchai de lui et soulevai son tee-shirt, un énorme bleu s’étalait sur sa peau.
— Mon Dieu, qu’est-ce qu’il t’a fait ?
Félix s’extirpa du canapé d’un bond et fonça devant un miroir.
— Ça va, je suis encore beau.
Il se toucha le visage, fit gonfler ses muscles, se sourit à lui-même.
— Je vais pouvoir frimer en rentrant à Paname.
— Ça n’a rien de drôle, il est dangereux. Tu as eu de la chance.
Il balaya mes remarques d’un geste de la main et revint s’écrouler dans le canapé, non sans grimacer. Cet imbécile avait mal partout.
— Cela dit, la prochaine fois que tu t’exiles, va chez les Pygmées ! Putain, y a pas de doute, ce mec-là est irlandais. Il a appris à marcher sur un terrain de rugby. Quand il m’a plaqué au sol, j’ai cru que je participais aux Six Nations…
— En gros, tu t’es éclaté à te battre avec ce dingue.
— Je te jure, j’étais sur le terrain, avec la foule en délire.
— Et le ballon ovale, c’était toi. C’est bien joli tout ça, mais as-tu réussi à lui en coller une ?
— J’ai hésité, je ne voulais pas abîmer sa belle gueule.
— Tu te fous de moi !
— Oui et non. Mais rassure-toi, j’ai défendu ton honneur. Je lui ai mis un bon crochet du gauche, il n’est pas prêt de rouler une pelle.
— C’est vrai ?
— Ça pissait le sang, et sa lèvre a doublé de volume. Tape-m’en cinq !
Je fis la danse de la victoire.
Sous la douche, je riais encore des exploits de Félix. Il n’avait pas arrêté de parler pendant le petit déjeuner. Il m’avait donné des nouvelles de Paris, il m’avait raconté le déménagement de notre appartement. Mes parents et ceux de Colin s’étaient servis dans nos affaires, il ne restait plus rien. Ensuite, il avait dressé le bilan pour les Gens. Les recettes semblaient au point mort. Un jour ou l’autre, il faudrait reprendre l’affaire en main.
Enroulée dans mon drap de bain, je réfléchissais à mon manque d’envie de rentrer en France. Je croisai mon reflet dans le miroir, et un détail me chiffonna. Ma nuque était nue.
— Félix !
— Quoi ? cria-t-il en montant l’escalier quatre à quatre.
— J’ai perdu mon alliance.
Je me mis à sangloter.
— Qu’est-ce que tu dis ?
— Je l’avais autour du cou hier soir.
— Ne t’inquiète pas, on va la retrouver. Tu as dû la perdre au pub, habille-toi.
Dix minutes plus tard, nous étions en route. Le pub était fermé, j’indiquai à Félix le chemin jusque chez Abby et Jack. Judith aurait la clé. J’allai frapper à la porte pendant que Félix fouillait la voiture.
— Quelle surprise de te voir aujourd’hui, me dit Abby en m’ouvrant.
— Bonjour Abby, je voudrais voir Judith, c’est urgent.
— Elle dort, mais je peux peut-être t’aider.
— Je dois entrer dans le pub, j’ai perdu quelque chose, hier soir, lui dis-je avec des larmes dans les yeux.
— Ma chérie, que t’arrive-t-il ?
— S’il te plaît, aide-moi.
J’étais dans les bras de Félix quand Abby, Jack et Judith nous rejoignirent au pub. Judith fonça sur nous, mais se concentra sur Félix.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? lui demanda-t-elle en touchant son œil. Jack, soigne-le.
— Ce n’est rien, j’ai fait des galipettes avec ton frère.
— Tu as fait quoi avec mon frère ?
— Secret boy, tout ce que je peux te dire, c’est que c’était musclé. Mais on s’en fiche, occupe-toi de Diane.
— Si tu le dis. Bon, à toi maintenant, me dit-elle en ouvrant la porte. Ça a intérêt à être important, parce que je veux tirer cette histoire au clair.
— Ça l’est.
Je pénétrai dans le pub et restai pétrifiée quelques instants.
— Tu as déjà fait le ménage ?
— Oui, c’est ouvert ce soir. Je venais juste de me coucher quand Abby m’a sortie du lit. Mais tu as perdu quoi, au fait ?
— Un bijou.
Je commençait à scruter le sol.
— Y a pas mort d’hommes, tu t’en rachèteras un.
— Non.
J’avais haussé le ton, tout en me relevant d’un coup. Judith recula d’un pas.
— Judith n’y est pour rien, me dit Félix en s’approchant de moi. Viens, on va chercher tous les deux.
Chacun de nous partit d’un côté du pub. Je me traînai par terre, je caressai le parquet dans l’espoir que mes doigts rencontrent la chaîne.
— Diane, m’appela doucement Abby en s’agenouillant à mes côtés. Diane, regarde-moi.
Elle posa sa main sur mon bras.
— Je n’ai pas le temps.
— Dis-nous ce que tu cherches, on peut t’aider.
— J’ai perdu mon alliance. Je la porte autour du cou.
— Tu es mariée ? demanda Judith.
Les mots refusèrent de sortir.
— Laissons Diane chercher seule, dit Abby.
Je m’enfermai dans ma bulle, je n’entendis plus rien de ce qui se passait autour de moi. J’avançais à genoux, je bousculais les tables et les tabourets, je grattais entre les lattes de parquet pour vérifier que la chaîne n’avait pas glissé entre-deux.
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