Agnès Martin-Lugand - Les gens heureux lisent et boivent du café

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Les gens heureux lisent et boivent du café: краткое содержание, описание и аннотация

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« Ils étaient partis en chahutant dans l'escalier. […] J'avais appris qu'ils faisaient encore les pitres dans la voiture, au moment où le camion les avait percutés. Je m'étais dit qu'ils étaient morts en riant. Je m'étais dit que j'aurais voulu être avec eux. »
Diane perd brusquement son mari et sa fille dans un accident de voiture. Dès lors, tout se fige en elle, à l'exception de son cœur, qui continue de battre. Obstinément. Douloureusement. Inutilement. Égarée dans les limbes du souvenir, elle ne retrouve plus le chemin de l'existence. C'est peut-être en foulant la terre d'Irlande, où elle s'exile, qu'elle apercevra la lumière au bout du tunnel.
Entre «
» et «
», l'histoire de Diane nous fait passer par toutes les émotions. Impossible de rester insensible au parcours tantôt dramatique tantôt drôle de cette jeune femme à qui la vie a tout donné puis tout repris, et qui n'a pas d'autre choix que de faire avec.

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Elle continua de jacasser, une vraie pipelette. Puis, comme si une mouche l’avait piquée, elle se leva d’un bond.

— Je te laisse, Abby et Jack m’attendent.

Elle était déjà partie dans l’entrée.

— Attends, tu oublies tes clopes.

— Garde-les, c’est de la contrebande, j’ai un petit accord avec les dockers, me dit-elle en me faisant un clin d’œil.

— Tu ne vas pas rentrer à pied, il fait nuit. Tu veux que je te ramène ?

— Tu rigoles ? Un peu d’exercice pour mes cuisses. À demain.

Judith revint le lendemain comme prévu. Puis le surlendemain. Trois jours qu’elle envahissait mon espace vital. Paradoxalement, sa présence ne m’étouffait pas. Elle me faisait rire. C’était une provocatrice-née. Elle mettait en valeur ses formes dignes de celles d’une actrice italienne et jurait comme un charretier dès qu’elle ouvrait la bouche ; cocktail détonant. Elle m’abreuvait du récit de ses histoires d’amour abracadabrantes. Autant elle n’avait peur de rien et était sûre d’elle, autant elle se faisait avoir par le premier beau garçon qui passait. Un bad boy la draguait, et elle était perdue.

Ce soir-là, elle était restée dîner avec moi. Elle mangeait comme quatre et avait la descente d’un homme.

— On est entre nous, tu permets ? me demanda-t-elle en déboutonnant son jean.

J’allai ouvrir au chien qui réclamait sa balade nocturne.

— Pourquoi mon frère t’a-t-il confié son clébard ?

— Je lui devais un service.

Elle me regarda, suspicieuse. Sans relever, je m’installai sur le canapé en repliant mes jambes sous mes fesses.

— Edward a-t-il toujours été comme ça ? demandai-je brusquement.

— Que veux-tu dire par « comme ça ? » reprit-elle en mimant des guillemets avec ses doigts.

— Genre rustre, sauvage, taciturne…

— Oh, ça ? Oui, toujours. Il traîne ce caractère de merde depuis l’enfance.

— Sympa, je plains vos parents.

— Abby ne t’a rien dit ? Ce sont eux — elle et Jack — qui nous ont élevés. Notre mère est morte en me mettant au monde, Edward avait six ans. Notre père ne voulait pas s’occuper de nous, alors il nous a confiés à mon oncle et ma tante.

— Je suis désolée.

— Ne le sois pas. J’ai eu des parents merveilleux, je n’ai manqué de rien. Tu ne m’entendras jamais dire que je suis orpheline.

— Vous n’avez jamais vécu avec votre père ?

— On a bien passé quelques journées avec lui, quand il daignait sortir de son bureau, mais c’était l’enfer. À cause d’Edward.

— Il n’était pas heureux de le voir ?

— Non, il pense que nos parents nous ont abandonnés. Il en veut à la terre entière. Malgré toute l’admiration qu’il avait pour papa, dès qu’ils étaient dans la même pièce, ça chauffait.

— Comment ça ?

— Edward est son portrait craché. Alors ça a toujours fait des étincelles, entre eux. Ils passaient leur temps à se gueuler dessus.

— Et toi, tu étais au milieu ?

— Oui, tu imagines l’ambiance.

— Et aujourd’hui, c’est toujours conflictuel ?

— Papa est mort.

— Oh…

— Ouais, on cumule.

Elle rit légèrement, s’alluma une cigarette et regarda dans le vague quelques instants avant de reprendre.

— Jusqu’à la fin, ils se sont affrontés, mais Edward est resté aux côtés de notre père durant toute sa maladie. Il passait des heures à son chevet. Je crois qu’ils ont réglé leurs comptes. Je n’ai jamais su ce qu’ils s’étaient dit. Edward ne veut pas en parler, il m’a juste assuré que papa était parti paisiblement.

— Quel âge aviez-vous ?

— Moi seize et Edward vingt-deux. Il a aussitôt décrété que c’était lui le chef de famille et qu’il devait subvenir à mes besoins. Abby et Jack n’ont rien pu faire, il est venu me chercher, et on a emménagé ensemble.

— Comment a-t-il fait pour tout gérer ?

— Aucune idée, il faisait ses études, travaillait et s’occupait de moi. En vieillissant, il s’est forgé une carapace pour se protéger de tout et de tout le monde.

— Il n’a pas d’amis ?

— Quelques-uns, triés sur le volet. C’est presque impossible pour lui d’accorder sa confiance. Il est convaincu qu’il sera trahi ou abandonné. Il m’a appris à me débrouiller toute seule et à ne compter sur personne. Il m’a toujours protégée et n’a jamais hésité à jouer des poings pour me défendre de types trop entreprenants à son goût.

— Il est violent ?

— Pas vraiment, il se bat quand on l’emmerde, genre quand on le pousse à bout.

— Je crois bien que c’est ce que j’ai fait, marmonnai-je.

Elle me regarda en plissant les yeux.

— Tu n’as quand même pas peur de lui ?

— Je ne sais pas, il est vraiment désagréable avec moi.

Elle éclata de rire.

— Ça, c’est sûr que ta venue le fait chier, mais ne t’inquiète pas, il a des principes. Entre autres, ne jamais lever la main sur une femme. Il serait plutôt du genre à secourir la demoiselle en détresse.

— J’ai du mal à imaginer que celui dont tu me parles soit mon voisin.

Judith repartait pour Dublin le lendemain. Elle m’avait retrouvée pour ma balade quotidienne avec Postman Pat. Nous étions assises dans le sable. Une fois de plus, elle cherchait à en connaître davantage sur moi.

— Tu caches quelque chose. Que fabriques-tu ici ? Je n’arrive pas à accepter que ni Abby ni moi n’ayons réussi à te tirer les vers du nez.

— Il n’y a rien à dire. Ma vie n’est pas intéressante, je t’assure.

Je partis à la recherche de Postman Pat. Il avait encore échappé à ma surveillance. Je courus en direction du sentier des cottages, j’avais toujours peur qu’une voiture le renverse ou, pire, qu’Edward arrive et trouve son chien laissé en liberté.

Je remis la main dessus et le tirai par son collier pour le ramener vers la plage. À cet instant, le 4X4 d’Edward arriva devant les cottages. Pour bien prouver l’autorité que j’avais sur le canidé, je le tins fermement jusqu’à ce que son maître soit à côté de nous. Il lui fit la fête, et Edward me fusilla du regard. On resta là à se jauger, le chien passant de l’un à l’autre.

Un hurlement strident retentit. Judith arrivait en courant. Elle sauta sur son frère. Je crus distinguer l’esquisse d’un sourire sur le visage d’Edward. Elle finit par le lâcher. Elle lui attrapa le menton et le fixa en fronçant les sourcils.

— Tu as une petite mine.

— Arrête ça.

Il se dégagea de son emprise et se tourna vers moi.

— Merci pour le chien.

— De rien.

Judith se mit à applaudir en nous regardant alternativement.

— Oh putain ! Quelle conversation ! Edward, tu as aligné plus de deux mots. Et toi, Diane, tu es plus causante, d’habitude.

Je haussai les épaules.

— Judith, ça suffit, râla Edward.

— On se calme, le dogue !

— Abby et Jack nous attendent.

— Laisse-moi le temps de dire au revoir à ma nouvelle copine.

Edward leva les yeux au ciel et partit devant. Judith me prit dans ses bras.

— Je reviens dans deux semaines pour les vacances de Noël, j’irai te voir et tu passeras aux aveux.

— Je ne crois pas.

Je lui rendis son étreinte, la présence de cette fille me faisait du bien.

Je restai sur la plage à les regarder partir. Judith sautillait à côté de son frère, heureuse d’être avec lui. Lui, à sa manière, devait l’être tout autant.

5

Je n’avais pas eu de nouvelles de Félix depuis plus d’une semaine. C’était le comble, je cherchais après lui. Au bout de trois tentatives d’appel, il décrocha enfin.

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