Robert Harris - Imperium

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Lorsque Tiron, le secrétaire particulier d'un sénateur romain, ouvre la porte à un étranger terrorisé, il déclenche une suite d'événements qui vont propulser son maître au sein d'une des plus célèbres et dramatiques affaires de l'Histoire.
L'étranger est un Sicilien victime de Verrès, gouverneur vicieux et corrompu. Le sénateur en question, c'est Cicéron, un jeune et brillant avocat déterminé à atteindre l'imperium — pouvoir suprême au sein de l'État.
À travers la voix captivante de Tiron, nous sommes plongés dans l'univers perfide et violent de la politique romaine, et nous suivons un homme — intelligent, sensible, mais aussi arrogant et roublard — dans sa lutte pour accéder au sommet.
C'est un monde qui ressemble étonnamment à celui d'aujourd'hui, toile de fond d'un véritable thriller politique autour de l'irrésistible ascension de Cicéron. « Tout ce qu'il avait, écrit Tiron de son maître, c'était sa voix, et par sa seule volonté, il en a fait la voix la plus célèbre du monde. »
Journaliste politique, romancier Robert Harris est l'auteur de
, traduits dans le monde entier. Son précédent roman,
, a été en tête de toutes les listes de best-sellers.
« Harris combine magistralement son esprit critique de journaliste politique et ses techniques d'auteur de thrillers. »
The Sunday Times

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ROBERT HARRIS

Imperium

À LA MÉMOIRE

d’Audrey Harris

(1920–2005)

et pour Sam

« Tiron, M. Tullius, secrétaire particulier de Cicéron. Il fut non seulement le transcripteur des discours de Cicéron et son assistant en matière de travaux littéraires, mais il se fit lui aussi connaître en tant qu’auteur et fut l’inventeur de l’art de la sténographie, qui permit de prendre en totalité et correctement les propos des orateurs publics, aussi rapide que pût être leur débit. Après la mort de Cicéron, Tiron fit l’acquisition d’une ferme dans les environs de Putéoles, où, d’après Hieronymus, il se retira et vécut jusqu’à l’âge de cent ans. Asconius Pedianus (dans Milon. 38) fait référence au quatrième livre d’une vie de Cicéron par Tiron. »

Dictionary of Greek and Roman Biography and Mythology , vol. III, édité par William L. Smith, Londres, 1851.

Innumerabilia tua sunt in me officia, domestica, forensia, urbana, provincialia, in re privata, in publica, in studiis, in litteris nostris…

« Les services que tu m’as rendus sont innombrables — aussi bien chez moi qu’à l’extérieur, à Rome et à l’étranger, dans mes affaires privées et publiques, dans mes études et mes œuvres littéraires… »

Cicéron, lettre à Tiron, 7 novembre, 50 av. J.-C.

PREMIÈRE PARTIE

SÉNATEUR

79 av. J.-C. — 70 av. J.-C

Urbem, urbem, mi Rufe, cole et in ista luce viva !

« Rome, accroche-toi à Rome, mon cher ami, et vis dans la lumière ! »

Cicéron, lettre à Caelius, 26 juin, 50 av. J.-C.

I

Mon nom est Tiron. Pendant trente-six ans, j’ai été le secrétaire particulier de l’homme d’État romain Cicéron. Au début, cela s’est révélé excitant, puis surprenant, puis difficile et, enfin, extrêmement dangereux. Pendant toutes ces années, je crois qu’il a passé plus de temps avec moi qu’avec quiconque, y compris sa famille. J’ai assisté à ses entretiens privés et porté ses messages confidentiels. J’ai consigné par écrit ses discours, ses lettres, ses œuvres littéraires, même ses poèmes — un tel flot de mots que j’ai dû inventer un système d’écriture abrégée afin de pouvoir le suivre, système qui est toujours utilisé pour retranscrire les délibérations du Sénat et pour lequel on m’a récemment accordé une modeste pension. Celle-ci, ajoutée à divers legs et à la générosité de quelques amis, me suffit pour vivre ma retraite. Je n’ai pas de gros besoins. Les vieux vivent d’air pur, et je suis très vieux — près de cent ans, du moins c’est ce qu’on me dit.

Au cours des décennies qui ont suivi sa mort, on m’a souvent demandé, généralement à mi-voix, comment était réellement Cicéron, mais je me suis toujours tu. Comment aurais-je pu déterminer qui était un espion du gouvernement et qui ne l’était pas ? Je m’attendais à tout moment à être arrêté. Mais puisque ma vie atteint son terme et que je n’ai plus peur de rien — pas même de la torture car je ne durerais pas un instant entre les mains du carnifex ou de ses assistants —, j’ai décidé de répondre par cette œuvre. Je me fonderai sur ma mémoire, et sur les documents qui m’ont été confiés. Comme le temps qui me reste ne pourra être que court, je me propose d’écrire vite, en utilisant mon système de notes, sur quelques dizaines de petits rouleaux du plus fin papyrus — du Hieratica, rien de moins — que je conserve depuis longtemps à cet effet. Je réclame à l’avance votre indulgence pour mes erreurs et maladresses de style. Je prie aussi les dieux de me laisser arriver à la fin avant que ma propre fin ne me rattrape. Les dernières paroles que Cicéron m’a adressées ont été pour me demander de dire la vérité à son sujet, et c’est ce que je vais m’employer à faire. S’il n’apparaît pas toujours comme un parangon de vertu, eh bien, qu’il en soit ainsi. Le pouvoir confère à un homme bien des privilèges, mais des mains propres en font rarement partie.

C’est bien le pouvoir et cet homme que, tel Virgile, je vais chanter. Par pouvoir, j’entends le pouvoir politique, officiel — celui que nous connaissons en latin sous le nom d’imperium —, le pouvoir de vie et de mort dont un individu est investi par l’État. Ils ont été des centaines à le rechercher, mais Cicéron s’est révélé unique dans l’histoire de la République en ce qu’il l’a poursuivi sans autre ressource pour l’aider que son propre talent. Il ne venait pas, contrairement à Metellus ou Hortensius, de ces grandes familles aristocratiques qui bénéficiaient de générations de faveurs politiques à faire revaloir au moment des élections. Il ne disposait pas, tel un Pompée ou un César, d’une armée puissante pour soutenir sa candidature. Il ne possédait pas l’immense fortune de Crassus pour lui faciliter la tâche. Tout ce qu’il avait, c’était sa voix — et par sa seule volonté, il en a fait la voix la plus célèbre du monde.

J’avais vingt-quatre ans quand je suis entré à son service. Il en avait vingt-sept. J’étais esclave de maison, né dans la propriété familiale située dans les collines près d’Arpinum, et je n’avais jamais vu Rome. Lui était avocat, épuisé nerveusement et luttant pour surmonter des handicaps naturels considérables. Rares étaient ceux qui auraient parié sur nos chances respectives de réussir un jour.

La voix de Cicéron, loin d’être l’instrument redoutable qu’elle deviendrait par la suite, était criarde et parfois sujette au bégaiement. Je crois que le problème venait de ce que les mots se bousculaient dans sa tête, et que, dans les moments de tension, ils se coinçaient dans sa gorge comme deux moutons qui, poussés par le reste du troupeau, cherchent à passer un portail en même temps. Quoi qu’il en soit, ces mots étaient le plus souvent trop affectés pour que son public en saisît le sens. Son auditoire agité le surnommait « le Fin Lettré », ou « le Grec » — termes qui n’étaient pas censés être des compliments. Quoique nul ne doutât de son talent d’orateur, il n’avait pas la carrure pour soutenir ses ambitions, et la tension que faisaient subir à ses cordes vocales des plaidoiries de plusieurs heures, souvent en plein air et par tous les temps, le laissait enroué, presque aphone pendant des jours. Une insomnie chronique et une digestion difficile ajoutaient encore à ses malheurs. Pour parler crûment, s’il voulait s’élever dans la politique, comme il y aspirait désespérément, il lui fallait une aide professionnelle. Il décida donc de s’éloigner pendant quelque temps de Rome, de voyager à la fois pour se détendre et pour consulter les plus grands professeurs de rhétorique, dont la plupart vivaient en Grèce et en Asie Mineure.

Comme j’étais chargé de m’occuper de la petite bibliothèque de son père et que je me débrouillais pas mal en grec, Cicéron demanda s’il pouvait m’emprunter, comme on emprunte un livre, et m’emmener avec lui dans l’Est. Mon travail consisterait à superviser tous les préparatifs, louer les moyens de transport, payer les professeurs, etc., puis, au terme d’une année, je devais revenir à mon ancien maître. Mais au bout du compte, comme tant de livres utiles, on ne m’a jamais rendu.

Le jour de notre embarquement, nous nous retrouvâmes dans le port de Brindes. Cela se passait pendant le consulat de Servilius Vatia et de Claudius Pulcher, dans la six cent soixante-quinzième année de la fondation de Rome. Cicéron n’avait alors rien du personnage imposant qu’il est devenu plus tard et dont la physionomie était si célèbre qu’il ne pouvait marcher dans les rues les plus tranquilles sans se faire reconnaître. (Je me demande bien ce qu’il est advenu des milliers de bustes et de portraits qui ornaient autrefois tant de demeures privées et bâtiments publics. Se pourrait-il qu’ils aient tous été détruits et brûlés ?) Le jeune homme qui se tenait sur le quai en cette matinée de printemps était maigre et voûté, doté d’un cou anormalement long dans lequel une pomme d’Adam grosse comme le poing d’un bébé ne cessait de monter et descendre chaque fois qu’il déglutissait. Il avait les yeux globuleux, le teint olivâtre et les joues creuses ; bref, c’était l’image même de la mauvaise santé.

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