Cet ouvrage se propose d’utiliser les techniques du roman pour relater une fois de plus l’histoire véridique de l’affaire Dreyfus, sans doute le plus grand scandale politique et la plus incroyable erreur judiciaire de ces derniers siècles, qui a fini par obséder la France et, finalement, le monde entier dans les années 1890. L’affaire intervient vingt-cinq ans seulement après la victoire des Prussiens sur les Français dans la guerre de 1870, et leur annexion de l’Alsace et de la Lorraine — véritable choc sismique qui ébranle l’équilibre des forces européennes et annonce les Première et Seconde Guerres mondiales.
Aucun des personnages qui apparaissent dans les pages qui suivent, même les plus insignifiants, n’est entièrement le fruit de mon imagination et, d’une façon ou d’une autre, la quasi-totalité de ce qui est relaté s’est produit dans la réalité.
Naturellement, il est bien évident que, pour faire de l’histoire un roman, j’ai été contraint de simplifier, de supprimer purement et simplement certains intervenants, d’adapter les faits et d’inventer nombre de détails personnels. En particulier, George Picquart n’a jamais écrit de compte rendu secret de l’affaire Dreyfus ; il n’a donc pas pu le déposer dans la salle des coffres d’une banque de Genève avec instruction de le garder sous scellés pendant un siècle après sa mort.
Mais un romancier peut imaginer les choses autrement.
Robert Harris, 14 juillet 2013.
LA FAMILLE DREYFUS
Alfred Dreyfus.
Lucie Dreyfus, épouse.
Mathieu Dreyfus, frère.
Pierre et Jeanne Dreyfus, enfants.
L’ARMÉE
Général Auguste Mercier, ministre de la Guerre, 1893–1895.
Général Jean-Baptiste Billot, ministre de la Guerre 1896–1898.
Général Raoul Le Mouton de Boisdeffre, chef de l’état-major.
Général Charles-Arthur Gonse, chef du 2 eBureau (contre-espionnage).
Général Georges Gabriel de Pellieux, commandant militaire du département de la Seine.
Colonel Armand du Paty de Clam.
Colonel Foucault, attaché militaire à Berlin.
Commandant Charles Ferdinand Walsin Esterhazy, 74 erégiment d’infanterie.
LA SECTION DE STATISTIQUE
Colonel Jean Sandherr, chef de la section, 1887–1895.
Lieutenant-colonel Georges Picquart, chef de la section, 1895–1897.
Commandant Hubert-Joseph Henry.
Capitaine Jules-Maximilien Lauth.
Capitaine Junck.
Capitaine Valdant.
Félix Gribelin, archiviste.
M meMarie Bastian, agent de renseignement.
LA SÛRETÉ (POLICE D’INFORMATION ET DE SURVEILLANCE)
François Guénée.
Jean-Alfred Desvernine.
Louis Tomps.
EXPERT EN GRAPHOLOGIE
Alphonse Bertillon.
LES AVOCATS
Louis Leblois, ami et avocat de Picquart.
Fernand Labori, avocat de Zola, Picquart et Alfred Dreyfus.
Edgar Demange, avocat d’Alfred Dreyfus.
Paul Bertulus, juge d’instruction.
PROCHES DE GEORGES PICQUART
Pauline Monnier.
Blanche de Comminges et sa famille.
Louis et Martha Leblois, amis d’Alsace.
Edmond et Jeanne Gast, cousins.
Anna et Jules Gay, sœur et beau-frère.
Germain Ducasse, ami et protégé.
Commandant Albert Curé, vieux camarade de l’armée.
LES DIPLOMATES
Colonel Maximilian von Schwartzkoppen, attaché militaire allemand.
Commandant Alessandro Panizzardi, attaché militaire italien.
LES DREYFUSARDS
Émile Zola.
Georges Clemenceau, homme politique et homme de presse.
Albert Clemenceau, juriste.
Auguste Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat.
Jean Jaurès, leader des socialistes français.
Joseph Reinach, homme politique et écrivain.
Arthur Ranc, homme politique.
Bernard Lazare, écrivain.
— Commandant Picquart, pour le ministre de la Guerre…
La sentinelle de la rue Saint-Dominique sort de sa guérite pour ouvrir la grille, et je franchis dans un tourbillon de neige la cour venteuse avant de m’engouffrer dans le hall chauffé de l’hôtel de Brienne, où un jeune et élégant capitaine de la garde républicaine se lève pour me saluer. Je répète, sur un ton plus pressant encore :
— Commandant Picquart, pour le ministre de la Guerre… !
Le capitaine ouvrant la marche, nous foulons de conserve le dallage noir et blanc de la résidence officielle du ministre, gravissons le grand escalier tournant en passant devant les armures qui datent d’avant le Roi-Soleil, devant l’horrible Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard , concentré de kitsch napoléonien peint par David, et faisons halte au premier étage, près d’une fenêtre donnant sur les jardins. Le capitaine m’abandonne afin d’annoncer mon arrivée, m’accordant un instant le loisir de contempler le spectacle rare et éblouissant d’un jardin assourdi par la neige matinale en plein cœur de la ville. Les lumières électriques jaunes du ministère, qui se reflètent sur les arbres vaporeux, prennent elles-mêmes un caractère magique.
— Le ministre vous attend, mon commandant.
Je reviens à contrecœur à l’affaire qui m’amène.
Le cabinet du ministre est une vaste salle ornée de lambris ouvragés gris-bleu et d’un double balcon surplombant le jardin enneigé. Deux hommes d’un certain âge, en uniforme noir, se réchauffent les jambes, dos tourné à la cheminée. À mon entrée, ils lèvent les yeux vers moi. L’un d’eux est le général Raoul Le Mouton de Boisdeffre, chef de l’état-major, spécialiste de tout ce qui touche à la Russie, architecte de notre alliance naissante avec le nouveau tsar, et qui a passé tellement de temps à la cour impériale qu’il commence à ressembler à un comte russe aux favoris bien raides. L’autre, la soixantaine passée, est le ministre de la Guerre, le général Auguste Mercier.
Je m’avance jusqu’au milieu du tapis et salue.
Mercier présente un visage buriné curieusement figé, tel un masque de cuir. J’ai parfois l’impression étrange qu’un autre homme m’examine par les fentes à peine ouvertes de ses yeux tombants. Il me dit d’une voix posée :
— Eh bien, commandant Picquart, cela n’a pas pris longtemps. À quelle heure en a-t-on terminé ?
— Il y a une demi-heure, mon général.
— C’en est donc bien fini ?
— C’est fini, dis-je avec un hochement de tête.
Et c’est ainsi que tout commence.
— Venez vous asseoir près du feu, ordonne le ministre. Approchez-la, ajoute-t-il en désignant une chaise dorée. Retirez votre manteau et racontez-nous tout ce qui s’est passé.
Il s’assoit, figé par l’attente au bord de son siège, buste penché en avant, mains croisées devant lui, les avant-bras appuyés sur les genoux. Le protocole l’a empêché d’assister en personne à l’événement. Il se trouve dans la position d’un imprésario qui aurait manqué le spectacle qu’il a lui-même organisé. Lorsqu’il dit vouloir savoir « tout ce qui s’est passé », il ne pense pas à une simple chronologie des faits — cela, il l’obtiendra en lisant le rapport officiel —, non, il m’a choisi pour cette tâche parce qu’il voit en moi ce qu’il appelle le « genre littéraire », c’est-à-dire, dans mon cas, un officier qui lit des romans étrangers. Il a faim de détails, de réflexions, de commentaires, de couleurs.
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